Comment la Manche est devenue une mer de résistance lors de la Seconde Guerre mondiale (LT.fr-21/07/24)

Le goémonier Le Pirate, commandé par Louis Le Ven, est parti le 23 juillet 1943, avec six évadés. Après-guerre, son propriétaire l’a ramené à l’île Callot, à Carantec (29). ( Collection Musée maritime de Carantec)

[La Libération en Bretagne, 1/12] En 1944, la Bretagne n’a pas cessé d’être le théâtre d’embarquements clandestins d’aviateurs alliés tombés sur le sol français et de volontaires pour la France libre. Sans oublier des débarquements d’agents secrets anglais et de résistants.

Par Tangui LEPROHON.

Envois de renseignements à Londres et de volontaires pour la France libre, transports d’aviateurs alliés tombés sur le sol français, débarquements d’agents de la Résistance : en 1944, la Manche a continué à être le théâtre de discrets va-et-vient entre la Bretagne occupée et l’Angleterre. Cette intense activité, au regard des chiffres, a parfois perduré après le Débarquement allié en Normandie.

Dans les ports et sur les bateaux, les nouvelles vont vite. Lorsque la Bretagne ouvre, en 1940, le noir chapitre de l’Occupation, plus d’un marin sait qu’il y a eu d’innombrables départs vers les côtes anglaises. Ceux de six bateaux et 133 volontaires pour la France libre, les 24 et 26 juin, à l’île de Sein (29), demeurent les plus connus. Mais il est impossible de citer, ici, tous ceux qui ont eu lieu les jours précédents également dans le Finistère : le 18 juin, à Douarnenez ; le 19 juin, à Camaret, Douarnenez, Lampaul-Plouarzel, Landéda, Le Conquet, Molène, Ouessant, Ploudalmézeau, Plougasnou, Porspoder, Roscoff… Jusqu’à la Libération, ces embarquements seront suivis de dizaines d’autres. Il s’agit parfois d’initiatives individuelles. À Henvic (29), en 1940, Jacques Gueguen, sur le Pourquoi pas, effectue quatre allers-retours vers Jersey, puis Falmouth, quand l’île anglo-normande est occupée par les Allemands.

Une précieuse aide anglaise

Outre-Manche, dès le 23 décembre 1939, a été créé, au sein du War Office britannique, le MI9 (Military Intelligence, département 9) dont la section Intelligence Service 9 (IS9), plus connue sous le nom de « Room 900 », se consacre au soutien et à l’assistance aux filières d’évasion des militaires prisonniers ou isolés en territoire ennemi. Par exemple, cette « Room 900 » va superviser la mise en place du réseau Shelburn, à Plouha (22).

La filière Sibiril-Alliance détient le record des évasions vers l’Angleterre durant l’Occupation.

Au début de la guerre, des marins de la France libre, à bord de bateaux de pêche bretons, assurent les traversées depuis les côtes anglaises. Le 24 juillet 1940, l’une des premières missions est assurée par Raymond Le Corre, Henri Le Goff, Michel Baltas et Marcel Guénolé, qui quittent Falmouth pour rejoindre Le Guilvinec (29). En 1942, la Royal navy crée la 15e flottille composée de vedettes canonnières abritées dans l’embouchure du fleuve Dart, dans le Devon. Ses moyens sont progressivement renforcés et elle accomplira 69 missions sur les côtes armoricaines.

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Coups durs et succès

Cependant, la Bretagne paie cher cette singularité. La Vega en 1940, le Buhara en 1941 ou, encore, le Viking en 1943, font partie de ces bateaux de volontaires qui ont échoué dans leur tentative de gagner l’Angleterre.

À terre, les services d’espionnage et de contre-espionnage de l’Abwehr mettent à profit les dénonciations ou trahisons. Le 22 mai 1942, Suzanne Wilborts, créatrice sur l’île de Bréhat (22) du réseau La Bande à Sidonie, qui transmettait en partie ses renseignements en utilisant les bateaux partant pour l’Angleterre, est arrêtée ainsi que son mari et sa fille. En 1943, les branches bretonnes des réseaux d’évasion Pat O’Leary et Oaktree sont démantelées.

Une photo du Kermor, dans la Manche le 30 mai 1943, prise depuis le Météor. Ce sont, en effet, deux bateaux de la filière -Alliance qui ont quitté Carantec, la veille.
Une photo du Kermor, dans la Manche le 30 mai 1943, prise depuis le Météor. Ce sont, en effet, deux bateaux de la filière -Alliance qui ont quitté Carantec, la veille. (Collection Musée maritime de Carantec)

Pour autant, ces actions se poursuivent en 1944. Leur point commun ? Le courage et une parfaite connaissance de la mer et de la navigation dans des conditions parfois extrêmes. À Plouha, dans la nuit du 28 au 29 janvier, Raymond Labrosse, qui a réussi à échapper aux Allemands lors des arrestations qui ont frappé le réseau Oaktree, organise avec Lucien Dumais, un autre agent de l’Intelligence Service, le départ de seize aviateurs et de deux agents à partir de la plage Bonaparte. C’est la première opération du réseau Shelburn. En août, il évacuera 112 aviateurs et 22 agents, marins ou résistants, selon un décompte précis effectué par l’historien Alain Lozac’h (1).

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Mais il n’y a pas que le réseau Shelburn. Le 14 février, le goémonier Amity quitte Carantec (29) de nuit avec 23 hommes à bord et des documents pour la France libre. C’est la dernière traversée assurée par la filière Sibiril-Alliance qui détient le record des évasions vers l’Angleterre durant l’Occupation selon Richards Brook (2) : en quinze traversées, 152 agents, aviateurs et volontaires passeront en Angleterre. À moins de 16 kilomètres de là, à vol d’oiseau, c’est au contraire le premier d’une série de sept allers-retours qui a lieu dans la nuit du 26 au 27 février à Beg-an-Fry, sur la commune de Guimaëc (29). Sur la plage de Vilin Izella, c’est le réseau Var, monté par un agent du SOE (3), qui est à la manœuvre : un aviateur, un résistant et deux agents du SOE embarquent tandis qu’un certain François Mitterrand, alias Morland, créateur du MNPRGD (4), retrouve le sol français. Enfin, à Pleumeur-Bodou (22), le 5 août, des documents volés aux Allemands par le réseau Alibi, sont transmis une dernière fois à des officiers de la Royal navy, venus en vedette jusqu’au littoral de l’île Grande.

Pour en savoir plus

1. Auteur de Passeurs de l’ombre, édition Coop Breizh, 2023.

2. Auteur de Secret Flotillas, édité en 1996 par HMSO London.

3. Le Special Operations Executive (SOE) est un service secret britannique créé par Winston Churchill en 1940.

4. Mouvement national des résistants prisonniers de guerre et déportés.

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Enquête de la rédaction Les petites histoires qui font la grande histoire de la Libération

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Source: https://www.letelegramme.fr/culture-loisirs/histoire/comment-la-manche-est-devenue-une-mer-de-resistance-lors-de-la-seconde-guerre-mondiale-6612906.php

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