
Lors de la cérémonie d’anniversaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1795, le Chant de guerre pour l’armée du Rhin est repris. Un décret est adopté : la « garde montante » de l’Assemblée nationale l’interprétera chaque jour. L’historien Côme Simien, co-auteur de Haro sur les jacobins (PUF, 2025) nous raconte cette histoire méconnue.
Par Côme SIMIEN.
La Marseillaise est-elle devenue une première fois, le 14 juillet 1795, l’hymne de la République française, un siècle avant que la IIIe République n’en fasse à son tour, en 1879, le « chant national » ? On le lit souvent. L’affirmation mérite pourtant examen.
14 juillet 1789 : prise de la Bastille. Une date en forme de « lieu de mémoire », dès l’époque de la Révolution. De 1790 à 1794, chaque 14 juillet eut ses célébrations. On y fêtait une fin (de l’arbitraire, du despotisme, de l’Ancien Régime) et un commencement (celui d’un monde aux lueurs différentes, dans les recommencements de la liberté, de l’égalité, de la justice). On vit large. Il s’agissait de commémorer l’acte inaugural de la Révolution.
Fêtes vastes, spectaculaires souvent, à travers le pays. Par comparaison, le 14 juillet 1795, lui, fait grise mine. Un pas (ou beaucoup plus) en retrait. Rien dehors, à Paris. Le tout des cérémonies contenu dans une salle, celle de la Convention (l’Assemblée nationale). On aurait voulu faire moins qu’on n’y serait peut-être pas arrivé. Des députés, quelques spectateurs. Une fête thermidorienne. Sans le peuple.
« L’hymne des Marseillais »
Le 14 juillet 1795, c’est déjà l’automne de la Révolution. Depuis Thermidor (la chute de Robespierre et ses contrecoups), depuis aussi les insurrections sans-culottes brisées du printemps 1795, la Convention s’efforce de dépolitiser les classes populaires.
Que les droits politiques soient réservés aux maîtres de la raison, les capables, les meilleurs, les raisonnés, les raisonnables, c’est-à-dire les propriétaires, les fortunés, les éduqués – disons la bourgeoisie –, voilà l’idée. La cérémonie du 14 juillet 1795, étriquée, a ici valeur de reflet. Elle reste pourtant une fête. Alors, comme dans toute fête, on chante. Des musiciens sont là pour ça, qui exécutent une « symphonie », puis se lancent dans « l’hymne des Marseillais ».
Imaginez. Les sources évoquent des députés debout, des « bravo », des « vive la République » qui recouvrent la mélodie. Prêtons foi à ces sentiments : ils sont ceux que suscite le Chant de guerre pour l’armée du Rhin (titre originel de la Marseillaise)depuis sa composition, fin avril 1792, par Rouget de Lisle. C’est là sa force et la raison de son succès. Conçu par un officier fréquentant les élites strasbourgeoises, ce chant a été repris, en un été, celui de 1792, par les investis, les militants, ceux qui ne voulaient pas, à l’heure des grands dangers – les sans-culottes, les gardes nationaux, les soldats du rang, les membres des clubs –, que tout s’achève déjà.
Hymne de mobilisation militaire, il s’imposa ainsi en quelques semaines comme hymne de mobilisation révolutionnaire. On se mit à le chanter pour se donner du courage, dire l’union désirée ou éprouvée derrière la Révolution. On le chantait dans les fêtes locales, dans les écoles, les manifestations, les insurrections, les batailles. « L’hymne des Marseillais » devint un chant partagé, sans besoin d’une loi pour l’ordonner, quand bien même les autorités surent, elles aussi, faire un large usage de l’énergie dégagée par ce « Te Deum de la République ».
Depuis Thermidor, toutefois, on ne l’entonnait plus guère lors des occasions officielles. Avoir été le chant le plus célèbre des années 1792-1794 devait le rendre suspect. Après des mois de mise à l’écart, sa reprise, le 14 juillet 1795, redouble sans doute l’émotion ressentie par les députés. C’est un peu, n’en doutons pas, l’émotion du souvenir, celui de ce que l’on fut, de ce à quoi l’on crut, hier. Mais la raison de cette reprise et tout ce qui devait s’ensuivre est aussi à inscrire dans un contexte politique précis.
La veille, la Convention a évoqué les meurtres de la « terreur blanche », cette vague d’assassinats de révolutionnaires de l’an II, à Lyon, dans le Midi, par ceux que l’on suspecte d’œuvrer au retour des rois. Or, si les thermidoriens exècrent les anciens de 1793, ils redoutent tout autant les spectres du royalisme et de la guerre civile. D’où les applaudissements nourris au moment du quatrième couplet, où l’on croit voir et les uns et les autres : « Tremblez tyrans, et vous perfides/L’opprobre de tous les partis/Tremblez, vos projets parricides/Vont enfin recevoir leur prix. »
C’est sur l’élan de cet enthousiasme qu’un décret est adopté. La Marseillaise sera consignée dans le procès-verbal de la séance, et la « garde montante » de l’Assemblée nationale l’interprétera chaque jour. C’est tout. Et, même si la mesure est ensuite élargie aux gardes nationales et aux troupes de ligne, c’est trop peu pour écrire qu’elle est devenue, là, l’hymne officiel de toute la nation. Tenant à distance le « citoyen révolutionnaire » (qui hante le souvenir de cette mélopée), la mesure du jour, prudente, réserve la Marseillaise aux archives et au fait militaire.
Cela ne veut pas dire qu’on ne continua pas, ailleurs, c’est-à-dire en bas, dans le combat, à chanter le chant des Marseillais. Bien des affrontements de rue opposèrent encore républicains « de gauche » (chantant la Marseillaise) et muscadins hostiles aux temps nouveaux (chantant le Réveil du peuple). Au XIXe siècle, révolutionnaires français et d’ailleurs reprendront l’hymne de Rouget de Lisle pour dire leurs espoirs de lendemains meilleurs (au risque de la prison, ou de la mort). La Marseillaise, en attendant l’Internationale, fut, dès la fin du XVIIIe siècle, un chant révolutionnaire dans le monde.
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Source: https://www.humanite.fr/en-debat/bastille/comment-la-marseillaise-est-devenue-lhymne-national
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