Entretien: comment le gouvernement a ruiné la loi anti-PFAS (Reporterre-16/09/25)

Pour l’association Générations futures, les consultations publiques sur les PFAS n’ont pas été prises en compte dans l’écriture des décrets gouvernementaux. – © Elsa Biyick / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le premier décret d’application de la loi pour l’interdiction des PFAS est paru le 8 septembre, mais affaiblit sa portée. Kildine Le Proux de La Rivière, chargée de missions pour Générations futures, dénonce des textes « très décevants ».

En février 2025, les Écologistes ont obtenu le vote d’une loi pour l’interdiction des PFAS, ces polluants éternels très toxiques pour la santé humaine. Las, le décret d’application de ce texte, paru le 8 septembre, affaiblit sa portée. Reporterre fait le point avec Kildine Le Proux de La Rivière, ingénieure chimiste, docteure en pharmacie et chargée de missions scientifiques et réglementaires pour l’association Générations futures.

Entretien réalisé par Emilie MASSEMIN.

Reporterre — Lundi 8 septembre a été publié au Journal Officiel un décret visant à réduire les rejets de PFAS dans l’eau par les industriels de 70 % d’ici 2028. Que pensez-vous de ce texte ?

Kildine Le Proux de La Rivière — Ce décret devait préciser les modalités de mise en œuvre de cet objectif. Il n’est pas du tout satisfaisant. Il vise une baisse de 70 % des rejets par rapport à 2023. Or la grande majorité des industriels concernés n’ont pas mesuré leurs rejets de PFAS cette année-là. Il va donc falloir les estimer. Par ailleurs, la campagne exploratoire de 2023-2024 avait montré que quelques industriels seulement étaient responsables d’une très large majorité des rejets.

Cette baisse en pourcentage permet donc à ces gros émetteurs de rejeter encore 30 % de leur volume de PFAS en 2028, ce qui est considérable, et pénalise les industriels qui polluaient moins et se retrouvent avec un objectif très ambitieux. Enfin, le décret ne fixe aucune modalité de contrôle de ces rejets.

Ce texte a été publié sans modification, trois jours seulement après la fin de la consultation publique, dans une période de forte instabilité politique. Les plus de 450 contributions ont été balayées d’un revers de la main. Ce décret ne permet pas de protéger les Français d’une des plus grandes contaminations chimiques de leur histoire. Nous sommes en train d’étudier les voies de recours pour essayer d’obtenir un texte qui soit à la hauteur de l’esprit de la loi du 27 février.

Dimanche 7 septembre, un autre texte important a été publié pour réduire l’exposition de la population aux PFAS : un arrêté concernant une campagne de contrôle des PFAS dans les eaux usées des stations d’épuration. Vous dénoncez un « champ d’application trop restreint ». Pourquoi ?

Cet arrêté doit préciser les modalités de mise en œuvre du plan d’actions interministériel sur les PFAS d’avril 2024, qui prévoyait un programme de contrôle des émissions de PFAS dans les eaux usées traitées en 2024. Avec la publication de cet arrêté en septembre 2025, on n’est pas en avance !

Surtout, ce texte évoque uniquement les rejets d’eau, alors qu’il existe un sujet très important sur les boues, sources importante de contamination des sols lors de leur épandage sur les cultures. Pourtant, on sait que l’alimentation est le premier poste d’exposition aux PFAS de la population.

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Autre problème, la liste des PFAS à contrôler se limite aux 20 PFAS réglementés dans l’eau potable et à 2 PFAS liés aux mousses anti-incendie. Elle n’intègre pas le TFA, qui est un tout petit PFAS, très mobile et très présent dans l’eau, utilisé dans l’industrie mais aussi issu de la dégradation de certains pesticides. Il nous semblait pourtant indispensable à contrôler lors de cette campagne.

Enfin, seules les plus grosses stations d’épuration, qui traitent les eaux usées de plus de 10 000 équivalent-habitants, devront mettre en œuvre des mesures. Ainsi, une station plus petite, même si elle traite les eaux usées d’industriels rejetant des PFAS, ne sera pas tenue de surveiller la présence de ces polluants. Avec ce seuil, c’est toute un pan de l’information sur l’ampleur de la contamination qu’on perd.

Cet arrêté avait également fait l’objet d’une consultation publique en avril dernier. Nous y avons bien sûr participé. Mais là aussi, la consultation n’a absolument pas été prise en compte.

Un autre décret est attendu, qui doit encadrer l’interdiction des PFAS dans les produits de consommation courante : textiles, chaussures, cosmétiques et fart. Un projet de texte a été mis en consultation en août. Qu’avez-vous pensé de cette première mouture et avez-vous bon espoir que ce décret paraisse bientôt, malgré le changement de gouvernement ?

Nous n’avons pas d’information concernant la publication de ce décret. Le projet de texte a fait l’objet de plus de 700 contributions et nous espérons qu’elles seront lues et prises en compte. Nous avons salué le fait que toutes les substances PFAS soient concernées par les interdictions.

Il y a néanmoins quelques clarifications à apporter notamment pour expliciter l’interdiction des PFAS dans les chaussures et dans les textiles qui ne sont pas composés exclusivement de fibres textiles.

Globalement, qu’est-ce que cette première livraison de textes traduit de la volonté de l’exécutif de réellement lutter contre la pollution aux PFAS ?

Nous avions l’espoir d’un véritable positionnement politique suite à la loi de février 2025, qui avait été portée par un débat citoyen et des attentes fortes sur ce sujet de santé publique. Mais ces textes sont très, très décevants.

Au niveau européen, une restriction universelle avait été proposée en 2023. Toujours en cours d’étude, elle permettrait d’interdire toute la famille des PFAS pour la grande majorité des usages, sauf ceux où il n’existe pas d’alternative et où ils présentent un rapport bénéfice-risque favorable. Mais cette proposition de restriction a été un peu affaiblie dans sa dernière version. Y compris à l’échelle communautaire, on voit que le courage politique manque pour affronter ces substances omniprésentes et extrêmement dangereuses, qu’on ne peut détruire qu’avec une incinération à très haute température.

Lire aussi : PFAS dans l’eau potable : « Les industriels doivent payer »

À Générations futures, nous travaillons activement à informer les gens sur la réalité de la contamination de l’environnement aux PFAS. Fin juillet, le ministère de la Transition écologique a publié une carte interactive des mesures de PFAS et des sites émetteurs développée par le BRGM. Mais elle est très difficile à appréhender pour le grand public.

Nous travaillons sur un outil qui mettra réellement en lumière la pollution chimique de notre eau. Cette prise de conscience est indispensable. On est sur une pollution invisible. Or, ce sont des mobilisations comme la pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale par des riverains de l’usine Solvay dans le Gard qui font avancer les choses.

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Source: https://reporterre.net/Comment-le-gouvernement-a-ruine-la-loi-anti-PFAS

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