Comment les États-Unis ont réussi à obtenir un « changement de régime » au Népal ? (Investig’Action – 26/09/25)

Les États-Unis ont récemment dépensé plus d’un million de dollars au Népal, notamment pour former des journalistes à dénoncer la corruption et inciter les jeunes de la génération Z à l’activisme politique. L’objectif : un changement de régime. Qu’ils ont fini par obtenir…

Par Fridayeveryday

Transcription de la vidéo du site Fridayeveryday

La façon dont un problème lié à l’Internet au Népal a conduit à un changement de régime violent est choquante. Mais c’est une histoire que vous devez connaître pour comprendre ce qui se passe réellement dans notre monde.

En 2023, les stratèges de Washington ont repéré un problème inquiétant en Asie. Un petit pays, le Népal, souhaitait acquérir un réseau Internet indépendant, à l’instar de la Chine. Les États-Unis se moquaient autrefois de ce qu’ils appelaient « le grand pare-feu chinois », n’y voyant qu’une façon pour elle de limiter la liberté de la presse.

Le grand pare-feu chinois moqué un temps par les Américains

Mais ils ont réalisé qu’ils avaient commis une grave erreur. Le fait que la Chine dispose de son propre Internet signifiait que le pays pouvait développer son propre écosystème web pour le commerce, l’information et tout le reste.

Et ils s’en sont très bien sortis ! En fait, ils ont si bien réussi que le secteur Internet indépendant unique de la Chine a connu un énorme succès dans le monde entier, y compris aux États-Unis. Ainsi, TikTok a tellement battu ses rivaux américains qu’ils ont tous copié son style. AliExpress vendait deux fois plus de produits qu’Amazon, et Shein est rapidement devenu le premier vendeur d’articles de mode au monde. Quant à Temu, il était le site le plus populaire sur le net…

Finalement, un Internet souverain était un énorme avantage. Cela est devenu une évidence. En 2023, les Népalais ont compris qu’il serait plus judicieux de suivre le modèle chinois plutôt que de commettre l’erreur des Européens qui ont laissé les entreprises technologiques américaines mondiales leur dérober leurs profits.

Les États-Unis étaient horrifiés. Et si d’autres pays commençaient à vouloir la même chose que les Chinois ? Des articles sont parus, affirmant que les Népalais avaient une très mauvaise idée. Par exemple, un article publié le 1er décembre 2023 affirmait que le Népal avait beaucoup à gagner d’un Internet mondial ouvert. Alors pourquoi le pays lui fermerait-il ses portes ? C’est à ce moment-là que la version « soft power » de la CIA à Washington, à savoir la National Endowment for Democracy (NED), est passée à l’action.

L’année dernière au Népal, des agents américains ont diffusé des rapports, organisé des tables rondes et tenu des réunions d’information, tous avec le même message : « La Chine est l’ennemi. Les États-Unis sont votre ami. »

Le thème officiel de cette série d’événements consacrés à la Chine était la lutte contre la corruption et son influence autoritaire. Parallèlement, ces agents américains ont organisé des sessions de formation à l’intention des journalistes népalais et des médias locaux afin de les aider à dénoncer la corruption et les abus de pouvoir, à publier des articles, à promouvoir la responsabilité et la transparence, et à demander des comptes aux dirigeants politiques. En d’autres termes, à frapper fort sur le gouvernement.

Un troisième groupe d’agents s’est consacré aux jeunes de la « génération Z ». Leur objectif était de donner aux militants les moyens de promouvoir les valeurs démocratiques et les droits de l’homme. Les agents américains ont dispensé une formation sur l’utilisation de l’art comme moyen d’expression sociale et politique. Au total, la NED a dépensé à elle seule environ 1,6 millions de dollars pour encourager l’activisme au Népal l’année dernière.

C’est beaucoup d’argent pour ce pays. Il a été utilisé pour mettre en lumière la corruption du gouvernement, former la génération Z à s’engager politiquement et encourager les citoyens à considérer les Chinois comme les « méchants ».

Jusqu’ici, rien de surprenant. Mais ce qui a rendu cette opération américaine particulière, c’est l’accent mis sur la technologie et les communications. Ainsi, en février dernier, la NED a diffusé un long rapport, que je qualifierais trivialement de burlesque, intitulé « Data Centric Authoritarianism » (Autoritarisme centré sur les données). Il prétendait montrer comment le développement des technologies de pointe par la Chine pouvait « mondialiser la répression… » Dans un étonnant tour de force et de contorsions logiques, ce rapport de 41 pages affirmait que si un pays souhaitait mettre en place un système Internet libre et indépendant vis à vis de la domination américaine, il deviendrait un terrible régime autoritaire…

Rapport de la NED : Data Centric Authoritarianism

Á cette époque, le Pakistan et le Cambodge avaient rejoint le Népal dans la prise de conscience qu’un Internet indépendant, contrôlé de l’intérieur de ses frontières souveraines, pouvait être une très bonne chose, d’autant que les États-Unis avaient mauvaise réputation en matière d’ingérence transnationale.

La NED indiquait que le fait que le Pakistan, le Népal et le Cambodge cherchaient à mettre en place des passerelles numériques qui achemineraient tout le trafic Internet international via un point de contrôle tenu par le gouvernement était en quelque sorte une victoire pour la Chine

Comment cela peut-il être une victoire pour la Chine ? La Chine n’est pas impliquée du tout. Le rapport américain affirmait que ces mesures renforçaient le prestige de la Chine, positionnant le grand pare-feu, autrefois unique, comme un modèle potentiel pour d’autres pays à travers le monde.

En fait, il est clair que les pare-feu à la chinoise seraient bénéfiques pour les pays. Si d’autres nations contrôlaient leurs propres espaces d’information et commerciaux, cela mettrait fin à l’emprise totale de Washington sur le discours mondial, sur tout ce qui touche au monde.

Le Népal a donc avancé à petits pas. Au début de l’année, il a simplement demandé à tous les sites web et réseaux sociaux de s’enregistrer auprès du gouvernement. Les sites devaient désigner un contact local, une personne habilitée à traiter les plaintes et une personne responsable de l’autorégulation. Une petit chose, finalement…

Ces informations devaient être communiquées au ministère népalais des Communications, des Technologies et de l’Information avant le 3 septembre. C’est là que les choses ont pris une tournure étrange. TikTok, dont la société mère est chinoise, s’est empressé de s’inscrire, tout comme une application appelée We-Talk et une autre appelée Viber, qui, je crois, appartient à une société israélienne1.

Les applications américaines Facebook, WhatsApp, LinkedIn… ont refusé d’obtempérer. Étaient-elles sous les ordres de Washington ? Je l’ignore. Le gouvernement népalais n’avait d’autre choix que de mettre à exécution ce qu’il avait annoncé en les contactant. C’est à ce moment-là que les activistes de la génération Z sont passés à l’action.

Dans le chaos qui s’en est suivi, des vies ont été perdues, des biens ont été détruits, et le coût pour le Népal, un pays pauvre, a été énorme, tant sur le plan financier que sur celui de la réputation. C’est tragique. Mais réfléchissez à ceci. L’appel à manifester est venu du secteur des médias. Ce secteur a été formé par la NED à publier des articles anti-gouvernementaux. Est-ce une coïncidence ?

Le thème de la manifestation était de dénoncer la corruption et les abus de pouvoir, ce qui correspond exactement au thème suggéré, mais bien sûr, cela peut être aussi une coïncidence. Les principaux participants étaient des jeunes de la génération Z, le groupe même que la NED a formé à l’activisme politique. Encore une coïncidence ? Des allégations circulent selon lesquelles tous ces troubles sont la faute de la Chine. Tout comme l’avait suggéré une série de briefings publiés en 2024 par la NED.

Mais n’oublions pas la racine du problème. Les Népalais voulaient leur propre système Internet afin de pouvoir développer leurs propres applications. Ils pouvaient ainsi éviter toute ingérence étrangère et bénéficier d’une certaine indépendance pour leur propre population. Cela aurait été bénéfique pour eux, en particulier pour les jeunes créatifs de la génération Z au Népal. Ils auraient pu créer leurs propres outils numériques pour la musique, le commerce ou tout autre domaine.

Mais aujourd’hui, ils sont coincés dans un modèle dominé par les États-Unis qui, bien sûr, leur impose son discours selon lequel l’Occident est le meilleur et le reste du monde est mauvais. Je peux vous donner un exemple : actuellement, les téléphones des Népalais diffusent un article du New York Times intitulé « Les forces derrière les manifestations explosives de la génération Z au Népal ». Et vous savez quoi ? Cet article ne mentionne aucun des éléments dont je viens de vous parler. Pas un seul !

N’oubliez pas, pensez toujours par vous-même et lisez beaucoup, s’il vous plaît.

  1. NDLR : Viber appartient au groupe japonais Rakuten, qui l’a racheté en 2014. À l’origine, Viber a été développé par la société israélienne Viber Media fondée en 2010, avant son acquisition par Rakuten pour 900 millions de dollars. Depuis, Viber est aussi appelé Rakuten Viber et continue d’opérer sous cette société-mère japonaise↩︎

Source : Fridayeveryday

Le « soft power » américain a l’avantage d’être assez transparent sur ce qu’il entreprend. Voici les extraits cités dans l’article issus des 2 documents de la NED :

Data Centric Authoritarianism :

Source en français : https://investigaction.net/comment-les-etats-unis-ont-reussi-a-obtenir-un-changement-de-regime-au-nepal/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/comment-les-etats-unis-ont-reussi-a-obtenir-un-changement-de-regime-au-nepal-investigaction-26-09-25/

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