
Lancée par une étudiante inconnue, une pétition pour le retrait de la loi Duplomb a recueilli près de 150 000 signatures en 8 jours. Elle pourrait ainsi être examinée par une commission à l’Assemblée. Analyse d’un succès citoyen.
Par Jeanne CASSARD.
Elle a été lancée par une inconnue du grand public, sans relais médiatique, associatif ou politique. Sur le papier, la pétition exigeant le retrait de la loi Duplomb n’avait aucune chance d’aboutir. Et pourtant, le texte a recueilli plus de 146 000 signatures en huit jours. Un record. Comment en est-on arrivé à un tel succès ?
« J’ai été pris de court par l’ampleur de ce mouvement, personne ne s’y attendait », dit Jordan Allouche, lobbyiste écologiste. Ce spécialiste des mobilisations citoyennes n’avait jamais vu une pétition toucher autant de monde en si peu de temps, pour lui, c’est même un cas d’école. « Le fait qu’Éléonore Pattery soit inconnue du grand public a aussi pu jouer car ils se sont identifiés à cette jeune femme qui ne se revendique d’aucun parti politique, c’est rassembleur. »
« Rien n’est encore perdu »
Rembobinons. Jeudi 10 juillet, Éléonore Pattery, une étudiante de 23 ans en master QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) et RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) déposait sa pétition sur la plateforme en ligne de l’Assemblée nationale dédiée aux pétitions citoyennes.
En quelques phrases, elle explique que « la loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens ». La jeune femme fait référence au retour de l’acétamipride, un pesticide interdit depuis 2018 : « Nous sommes ce que nous mangeons, et vous voulez nous faire manger quoi ? Du poison. »
Faire bloc
Le lendemain, Eléonore Pattery, que nous n’avons pas réussi à joindre, publiait un message à la fois simple et touchant sur son compte LinkedIn. Face à cette loi qui réautorise des pesticides interdits, facilite la construction de mégabassines et l’élevage industriel, elle appelle à « faire bloc contre la bêtise humaine » et estime que « rien n’est encore perdu », qu’il est encore temps « de refuser l’inacceptable ».
Elle précise qu’elle n’est pas là pour « porter un simple message politique, économique ou écologique » et qu’elle n’est affiliée à aucun parti. Si elle écrit avoir « longtemps eu peur » d’exprimer son mécontentement, « cette peur, à force d’être tue, nous tue », conclut l’étudiante.
Un nouveau débat à l’Assemblée nationale ?
Malgré le long weekend du 14 juillet et bien qu’Eléonore Pattery ne soit suivie que par quelques dizaines de personnes sur LinkedIn, la pétition a commencé à être partagée par de plus en plus de monde sur le réseau social ainsi que sur Facebook. Mardi 15 juillet, des plus gros comptes comme celui de Célia Poncelin, communicante engagée pour la transition écologique, ont relayé le post d’Eléonore Pattery. Et là, le boom : 15 000 signatures supplémentaires recueillies en vingt-quatre heures.
Thomas Wagner, alias Bon Pote, vulgarisateur sur le climat très suivi sur les réseaux sociaux, a partagé la pétition. Jeudi 17 juillet au matin, la pétition en est à 45 000 signatures. Quelques heures plus tard, dans la soirée, la barre des 100 000 est franchie.
Ce quorum atteint, le texte sera examiné par une commission à l’Assemblée nationale. Les députés de la commission en question désigneront ensuite un député-rapporteur qui proposera soit d’examiner le texte au cours d’un débat faisant l’objet d’un rapport parlementaire, soit de classer la pétition. À ce rythme, l’objectif des 500 000 signataires semble tout à fait envisageable. Dans ce cas-là, un débat pourra être organisé en séance publique, toujours à l’Assemblée nationale.
« La pétition répond à ce besoin d’agir »
« La plateforme de pétition citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale est un outil peu connu qui existe seulement depuis 2020, explique le lobbyiste Jordan Allouche. On l’utilise assez rarement dans nos campagnes de mobilisation car ça a très peu d’impact. » À titre de comparaison, celle qui a le plus fonctionné depuis la création de cet outil est celle réclamant la dissolution de la BRAV-M en 2023 : elle a fait l’objet de 263 000 signatures.
Le pouvoir des réseaux sociaux
Pourquoi, alors, un tel succès ? « Ces dernières semaines, la mobilisation contre la loi Duplomb a été massive et beaucoup de gens sont révoltés par l’adoption de ce texte néfaste pour la santé et l’environnement », répond Jordan Allouche. Il voit ainsi dans ce mouvement le résultat d’une très grande frustration : « Les gens se sont sentis impuissants et cette pétition répond à ce besoin d’agir, ils se sont dits qu’ils avaient déjà tout essayé contre la loi Duplomb et que ce texte était probablement leur dernier recours. »
Par ailleurs, cette pétition commence tout juste à être relayée par des associations comme On est prêt, des politiques et des médias traditionnels. Jusqu’à encore quelques heures, tout s’est fait sur Linkedin, Facebook et Instagram.
« C’est le pouvoir magique des réseaux sociaux qui mettent en relation des gens de manière instantanée, ici on a la preuve que la mobilisation citoyenne fonctionne aussi grâce au bouche-à-oreille », ajoute-t-il. D’ailleurs, pointe-t-il, « les premières personnes à m’avoir parlé de cette pétition ne sont pas les associations environnementales avec qui je collabore régulièrement mais des amis de ma troupe de théâtre ».
Le résultat d’une campagne de mobilisation réussie
Hélène Mocquillon, chargée de mobilisation chez Générations futures, n’est pas surprise par cet élan citoyen. « Pendant des semaines, les ONG ont coordonné la mobilisation contre la loi Duplomb et nous avons vu grossir au fur et à mesure la contestation. Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas autant d’associations unies contre un même texte », dit-elle. Plus de 10 000 personnes ont manifesté contre le texte écocidaire dans 110 villes, y compris des petites communes.
« La loi Duplomb, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, on ne se bat plus pour obtenir des avancées mais pour éviter des régressions. Comme si ce n’était pas suffisant, le gouvernement en a rajouté une couche avec la publication d’un décret pour affaiblir l’Anses », déplore-t-elle.
« La loi Duplomb, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase »
C’est pourquoi, face à tant de mépris pour la santé et l’environnement, la colère n’est pas retombée malgré l’adoption du texte. « Les citoyens sont restés très motivés malgré les vacances d’été, ils s’en souviendront », ajoute Hélène Mocquillon.
D’autant que cette pétition citoyenne n’est pas la seule à faire des émules. Une autre, lancée cette semaine par cinq figures engagées contre les pesticides, y compris la porte-parole du collectif Cancer colère Fleur Breteau, exige l’interdiction des pesticides de synthèse, et une bifurcation vers une agriculture réellement respectueuse de la santé et du vivant. Elle a pour l’heure récolté plus de 8 953 signatures.
°°°
Source: https://reporterre.net/Contre-la-loi-Duplomb-une-petition-pulverise-tous-les-records
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/contre-la-loi-duplomb-une-petition-pulverise-tous-les-records-reporterre-18-07-25/