Contre les tractopelles, les jardins populaires entrent en résistance (reporterre-5/05/25)

Les jardins d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, sont menacés par les tractopelles. – © Mathieu Génon / Reporterre

Essentiels à la vie des quartiers, les jardins populaires sont toujours plus menacés par des projets urbains. Les 2 et 3 mai, à Besançon, une coalition de militants a renforcé la lutte.

Par Camille JOURDAN.

Besançon (Doubs), reportage

La défense des jardins urbains se structure davantage. De ces lieux partagés, toujours plus menacés par des projets immobiliers, est née il y a cinq ans la Coalition des jardins populaires en lutte. Elle réunissait des militants de Besançon, mais aussi de Lille, Tourcoing, Aubervilliers ou Dijon. Depuis, ces militants organisent chaque année leurs assises. « Ce qui nous rassemble dans ces jardins populaires, c’est le lien, le métissage, la vie de quartier, a rappelé Vingt [*], militant d’Aubervilliers, lors de l’ouverture de cette quatrième édition, les 2 et 3 mai. Le but de cette coalition est de s’entraider. »

Une entraide morale, technique ou encore juridique. Défendre de telles terres nécessite en effet des moyens humains et une certaine expertise. « Il est assez rare que les jardins aient la taille critique pour résister longtemps, ils finissent par disparaître », dit Guillaume, jardinier aux Vaîtes, à Besançon.

Cette résistance passe par plusieurs phases : des événements de communication pour alerter, puis des recours juridiques contre un permis de construire ou un plan local d’urbanisme. « Souvent, l’aspect juridique ne suffit pas. » Vient alors la question de l’occupation des terres, phase « énergivore ». « Sans cette occupation, on n’aurait pas gagné », dit Vingt, dont l’une de ses luttes s’est soldée en 2022 par l’abandon d’un projet de solarium à Aubervilliers.

Des usages populaires jugés illégitimes

Outre des enjeux climatiques, de biodiversité et d’autonomie alimentaire, la défense de ces jardins est aussi celle de la « multiplicité des usages » qu’ils permettent, ont insisté les différentes intervenantes de la table ronde. « Les Vaîtes sont un espace de loisirs pour les classes populaires, avec la possibilité de jardiner, mais aussi de faire des barbecues, de promener son chien, etc. », dit Claire Arnoux, coprésidente de l’association des Jardins des Vaîtes.

Les assises aux jardins des Vaîtes, à Besançon. © Camille Jourdan / Reporterre

Des loisirs qui ne seraient pas « légitimes » aux yeux des pouvoirs publics, selon Matthieu Adam, chercheur en géographie et auteur de Contre la ville durable, une écologie sans transition : « Économiquement, ces loisirs ne pèsent pas grand-chose par rapport à la valorisation de ces terres si on y érige des constructions. Pourtant, en ville, il est important de proposer des usages alternatifs au logement, à la consommation et au travail. »

Sans cela, les habitants risquent de fuir les villes pour le périurbain. Paradoxal, quand on sait que l’argument d’attractivité est souvent retenu par les élus comme justification à la bétonisation des jardins en ville, pour y construire des logements.

Risque de « gentrification verte »

Au cœur des luttes, l’enjeu de la propriété des terres, et de ses formes alternatives, a également alimenté le débat, éclairé par les recherches de Victoria Sachsé et d’Angèle Proust, docteures en géographie ayant respectivement étudié les jardins populaires à Rome et à São Paulo. Le rachat de ces jardins est en effet rarement une option pour celles et ceux qui les défendent, et qui doivent donc composer avec les propriétaires et décideurs — souvent les pouvoirs publics.

Face à ce constat, aux Vaîtes, les usagers plaident pour conserver l’autogestion de leurs jardins, alors que le nouveau projet de la ville vise à détruire une partie de ceux-ci, et à transformer l’autre en jardins « familiaux ». Cette démarche exclurait certains jardiniers actuels, un phénomène qu’Angèle Proust qualifie de « gentrification verte ».

« Beaucoup de politiques urbaines se font contre les catégories les plus modestes de la population, observe Matthieu Adam. C’est un risque important, car celles-ci voient perpétuellement les politiques faites au nom de l’écologie jouer contre elles. Les populistes d’extrême droite sont présents pour profiter des frustrations qui en découlent. La lutte des jardins est donc aussi une lutte antifasciste. »

Le 3 mai, les assises se sont poursuivies avec la visite des Vaîtes, et la projection du documentaire La Terre des vertus, film retraçant la lutte des jardins à défendre d’Aubervilliers, réalisé par Vincent Lapize. Mais le week-end a surtout été, pour les membres de la Coalition, un moment de travail : toutes et tous ont collaboré à l’élaboration d’un manifeste collectif sur leur lutte, qui devrait prochainement être rendu public.

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Source: https://reporterre.net/Contre-les-tractopelles-les-jardins-populaires-entrent-en-resistance

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