
Après le rejet de la motion de censure visant François Bayrou et son gouvernement, le PLF et le PLFSS sont adoptés. Pour imposer ses choix austéritaires, le camp gouvernemental n’a pas hésité à s’arranger largement avec les faits et à jouer avec les peurs. Divisée, la gauche traverse une nouvelle épreuve.
Par Anthony CORTES.
Et pas patatras : il reste à Matignon ! Les motions de censure déposées par la gauche à la suite du double déclenchement du 49.3 par François Bayrou pour faire adopter le budget de l’État et de la Sécurité sociale ont été rejetées. Par le refus des socialistes et de l’extrême droite de mêler leurs voix à celles des insoumis, des communistes et des écologistes, le premier ministre et son gouvernement évitent la chute.
Un sursis obtenu en nourrissant l’instabilité politique, la Macronie allant jusqu’à provoquer elle-même les risques d’une prétendue absence de budget en gelant nombre de crédits et subventions. « Un pays ne peut pas vivre sans budget, a clamé le locataire de Matignon à la tribune de l’Assemblée nationale, ce mercredi. Qui peut soutenir l’idée que les investisseurs, qui ont besoin de visibilité, les entreprises, qui attendent de la stabilité, et les foyers, qui ont besoin de retrouver un minimum de cohérence dans l’action publique, peuvent attendre ? »
Pour la droite, un budget qui a « le mérite d’exister »
Les composantes du « socle commun », sur lequel s’appuie le camp gouvernemental, ont fait corps autour de cette stratégie. À la tribune, Philippe Juvin, député LR, a souligné le « mérite » de ce budget : « Celui d’exister. »
« Sans lui, pas d’investissement dans les hôpitaux, les Ehpad, ou les communes. Sans lui, il y aura de la méfiance chez nos partenaires et ceux qui nous prêtent. Et sans emprunt possible, on ne pourra plus payer les salaires et les pensions », a-t-il averti. Marc Fesneau, président du groupe Modem, a de son côté salué des textes qui permettent de « premiers pas vers la stabilité et la visibilité que la France attendait » pour « faire pièce du désordre et du chaos » dont les opposants, selon lui, veulent faire « commerce électoral ».
« Sur tous les domaines, la France décroche. C’est la conséquence directe de la censure : notre déficit a dépassé 6 % en 2024, ce n’est plus tenable », a surenchéri Paul Christophe, député Horizons, éludant qu’il s’agit là plutôt des effets des politiques menées par son propre camp depuis 2017… « Les impacts de la censure sont colossaux : 0,2 point de croissance en moins, augmentation des taux d’emprunt, des intérêts de la dette, et j’en passe », ose même Jean-René Cazeneuve, député Ensemble pour la République (EPR).
« Un budget qui incarne le paroxysme de la politique machiniste »
À gauche, Stéphane Peu, député PCF, a tenu à rétablir les faits, dénonçant le « récit sur le désordre » mis en place par les troupes gouvernementales. « Vous oubliez que le camp présidentiel, main dans la main avec l’extrême droite, s’est opposé à la loi de finances issue de nos travaux parlementaires, a-t-il rappelé, faisant référence à l’ère Barnier. Nous avions pourtant dégagé plus de 75 milliards de recettes nouvelles sans mettre à contribution les classes populaires. Vous nous aviez promis le compromis et des méthodes nouvelles, nous savons désormais ce que valent vos promesses. Votre budget incarne le paroxysme de la politique macroniste basée sur la casse sociale ! »
« Stabilité, responsabilité… Vous n’avez que ces mots à la bouche pour justifier un budget injustifiable », a fait remarquer Aurélie Trouvé, député FI, dénonçant « le budget le plus austéritaire du XXIe siècle ».
« Vous serez responsable d’une terrible injustice : celle d’appauvrir les gens, particulièrement ceux qui ont du mal à boucler les fins de mois, d’augmenter les taxes sur les petits entrepreneurs, de ruiner un peu plus les entreprises du bâtiment en amputant le budget de la rénovation thermique du bâtiment. Mais aussi responsable d’une France à la traîne face aux défis écologiques », a-t-elle poursuivi, pour mieux contrer la réécriture de l’histoire par la Macronie.
Car le matin même, au micro de France Inter, Amélie de Montchalin, ministre déléguée aux Comptes publics, y était allée de sa contribution, non sans mauvaise foi. Prenant notamment à témoin la signature des contrats de service civique de plusieurs milliers de jeunes pour l’heure empêchée « faute de budget », selon elle. «C’est ce que nous dit la Constitution, donc on a mis sur pause la signature des contrats,a-t-elle expliqué. On ne peut pas vivre sans budget, dans ce service minimum imposé par l’absence de budget. » Et d’assurer que le budget proposé par François Bayrou prévoit « 580 millions pour financer 150 000 contrats exactement comme en 2024 ».
Un piège dans lequel une bonne part des députés et de l’opinion sont tombés. « La loi spéciale fait qu’aujourd’hui la commande publique pour beaucoup de petites entreprises est à l’arrêt. Cela bloque les recrutements dans un certain nombre d’administrations, cela retarde les projets d’investissements des collectivités », a regretté Boris Vallaud, président du groupe socialiste, pour justifier ces derniers jours la volonté des siens de voter le budget, bien que le jugeant « mauvais », pour répondre aux « craintes du terrain ».
Rétention de crédit et chantage à la responsabilité
Problème : c’est oublier une large part de la réalité. D’abord, la France n’était pas vraiment sans budget avant l’adoption du PLF 2025, puisque la loi spéciale adoptée par l’Assemblée nationale, le 16 décembre dernier, permettait la « perception des impôts et des ressources publiques nécessaires au financement des dépenses publiques essentielles » sur le modèle du budget 2024.
Ensuite, si les services civiques ont été suspendus, tout comme un certain nombre de subventions ou de financements pour les collectivités ou les associations, bloquant parfois certaines commandes publiques, c’est en raison… d’une décision gouvernementale. En effet, par une circulaire datée du 30 décembre, le gouvernement a décidé d’un « blocage des crédits », pour ne libérer que 25 % de ceux disponibles.
Faut-il y voir une volonté cynique de faire gonfler les craintes vis-à-vis d’une France sans budget ? « Les macronistes procèdent à un odieux chantage qui repose sur un sabotage de l’appareil de l’État, a dénoncé Aurélien Le Coq. Pour jouer avec les peurs, et ainsi permettre l’adoption en force de leur budget austéritaire, le gouvernement a sciemment décidé de faire de la rétention de crédits jusqu’à empêcher des ministères de fonctionner. C’est un abus de pouvoir et un détournement des moyens de l’État pour leur permettre de sauver leur siège. »
Tous les moyens sont bons pour prolonger la durée d’un macronisme aux abois. Pour empêcher toute alternative. Pour poursuivre et même parachever le déni démocratique à l’œuvre depuis les dernières élections législatives, jusqu’à ce qu’une partie de la gauche mange elle-même son chapeau. Avec le risque de voir le Nouveau Front populaire (NFP) éclater.
La FI a annoncé, mercredi, qu’elle prenait « acte de l’interruption par le PS du NFP ». Les parlementaires des autres composantes de l’union (PS, PCF et écologistes) ont pour l’heure appelé à ne surtout pas se diviser, au-delà de cette divergence sur le vote de censure de François Bayrou, et à poursuivre leur travail commun.
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