
Par Pauline BAUMER.
Habiter autrement. Au 104, La Belletière, à Nort-sur-Erdre (Loire-Atlantique), deux yourtes accueillent deux foyers depuis plusieurs années. Faute de logements en nombre et adéquats, Jean-Marc Perrigot, le propriétaire, a proposé de les loger gracieusement. Mais cet habitat léger est devenu incompatible avec le PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal), dans la zone où il est implanté. Ce qui l’a mené devant le tribunal correctionnel en février dernier. Explications.
« À La Belletière, nous avons entre 18 mois et 82 ans. Nous nous entendons tous bien, il y a une vraie vie de village ! » clament, en chœur, Odile Lambert et Emma Peraldi, deux habitantes de Nort-sur-Erdre, au nord de Nantes (Loire-Atlantique). C’est dans ce hameau que vit Jean-Marc Perrigot, au 104, depuis trente ans. Dans son terrain de 5 800 m2, il a implanté deux yourtes dans le but de permettre à des couples de se loger décemment. La première en 2015, la seconde en 2019. S’en est suivie, depuis quatre ans, une bataille juridique. Il y a un an, il recevait une convocation au tribunal correctionnel de Nantes après que le procureur s’est saisi de l’affaire et du procès-verbal dressé par la police municipale pour non-respect du PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal).
Le procès : « Nous n’avons pas compris »
« Au départ, j’ai souhaité aider une amie qui n’arrivait pas à se loger, c’était une solution transitoire », relate Jean-Marc Perrigot. Dans ses yourtes, raccordées aux réseaux d’eau, d’électricité et au système autonome de traitement des eaux usées, habitent désormais un jeune couple, Guillaume Rialland et Claire-Hélène Vivier, et une petite famille composée de Cécile Valembois et Louis Soumagnac ainsi que de leurs deux enfants, Many et Léo. « Lorsqu’on a appris que notre voisin était assigné au tribunal, nous n’avons pas compris, se souvient Emma Peraldi. C’était contraire à l’esprit de Nort. »
Une incompréhension d’autant plus forte, dans ce petit hameau où l’entraide et la solidarité sont au cœur de la vie des habitants. « Le vrai sujet c’est le logement, ajoute Philippe Brumel, un autre voisin. Jean-Marc a voulu aider des gens dans le besoin car les primo-accédants ne peuvent pas venir habiter ici. »
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Aucun but militant
Alors quand l’hypothèse de l’expulsion des couples s’est dessinée, c’était la douche froide. « Nos enfants ont grandi ici, la bienveillance du village prédomine sur la forme de l’habitat, en réalité », lâche Cécile. Pour elle et son conjoint, le soutien de Jean-Marc Perrigot est une offrande. « Nous ne sommes pas des activistes et ne faisons pas ça dans un but militant, confie-t-elle. C’était une solution temporaire, mais le transitoire est devenu plus long que prévu. »
Une conciliation a été ouverte avec la municipalité, sans que les deux parties ne trouvent un terrain d’entente. « C’est dommage, atteste Emma Peraldi. La commune aurait pu être le laboratoire d’un test autour de l’habitat léger. » La demande de Stecal (secteur de taille et de capacité d’accueil limitées) qui aurait pu autoriser la construction en habitat léger a également été refusée.
La relaxe prononcée
Finalement, le 7 avril, le juge a prononcé la relaxe. Le procureur avait demandé, le 3 février, 500 € d’amende et et la « remise en état des lieux dans les quatre mois sous astreinte de 30 € par jour de retard ». Un soulagement, pour les habitants et les voisins du 104. « C’est une propriété qui est centrale dans le village. Nous espérons que cela s’arrêtera là. »
Quelles sont les motivations du juge ?
Le juge du tribunal correctionnel de Nantes a relaxé Jean-Marc Perrigot car selon lui « l’acte de poursuite est dépourvu de base légale ». Avec cette législation floue autour de l’habitat léger et des yourtes, il est difficile de s’y retrouver. « Est-ce qu’il fallait une déclaration préalable ? un permis de construire ? C’est encore difficile de savoir aujourd’hui », note Me Stéphane Vallée. Le vice de procédure aurait été retenu dans la mesure où les informations données à la mairie et à la gendarmerie n’auraient pas été complètement exactes. « Même l’administration, qui est censée connaître la loi, n’est pas en mesure de dire ce qu’il faut faire. Alors, comment peut-elle le demander au citoyen ? » interroge Me Vallée.
Le procureur de la République n’a pas fait appel de la décision pendant le délai de dix jours qui lui était accordé. La mairie de Nort-sur-Erdre a fait un appel conservatoire, elle attendait les motivations du jugement.
Quelle est la législation au sein de la CCEG ?
Interrogé avant la décision du juge le 7 avril, Yves Dauvé, maire, indiquait vouloir faire « respecter les règles d’urbanisme » dans sa commune. Et d’ajouter : « Je ne suis pas contre l’habitat léger, toutes les réflexions sur l’habitat sont une noble cause. Mais on ne peut pas décréter seul qu’on met une yourte à tel ou tel endroit non constructible. »
Il y a un peu plus de trois ans, le PLUI a été revu au sein de la CCEG (communauté de communes d’Erdre-et-Gesvres) « afin d’éviter le mitage et de protéger les zones naturelles », explique Philippe Ménard, directeur de l’aménagement. Concernant les yourtes à La Belletière, dans le PLUI, « elles n’étaient pas autorisées car la zone est devenue agricole, il aurait fallu un cadre réglementaire et il n’existe pas aujourd’hui ». À la CCEG, les élus prennent conscience du fait que ces modèles d’habitat réversible répondraient à une problématique environnementale et financière. « Mais un cadre doit être mis. » Et qu’en est-il de la demande de Stecal formulée par le collectif ? On peut autoriser sur une zone agricole de l’habitat léger depuis la loi Alur via ces secteurs de taille et de capacité limitées. « On pourrait le faire dans des petits hameaux qui n’ont pas vocation à se développer. Mais si on l’autorise quelque part, comme dans l’ex Zad de Notre-Dame-des-Landes, pourquoi on ne le ferait pas ailleurs ? Où on s’arrête ? Avec le Zan, ces questions méritent d’être posées », conclut le directeur de l’aménagement.
Libres toits, une association en plein essor
À la suite de différentes réunions autour de la situation des habitants du 104 La Belletière, une association s’est constituée autour de la promotion de l’habitat léger. Libres toits est née le 1er avril 2022 et a fêté son premier anniversaire samedi 22 avril à Fay-de-Bretagne. Elle est composée de 350 membres et réclame la création d’un cadre juridique pour l’implantation d’habitat léger. « Les gens s’installent, autant mettre des limites et y réfléchir tous ensemble », plaide Manon Godbille, une des coprésidentes de l’association. Aujourd’hui, les membres de l’association regrettent que le concept de réversibilité ne soit pas bien compris, d’autant plus avec la loi Climat
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