
Jamy au Salon du Bourget ? La présence de l’animateur vedette de feu « C’est pas sorcier » choque de nombreux défenseurs des droits humains. « Il participe à la propagande de la guerre », dénoncent-ils.
Par Louise MOHAMMEDI.
« Mais dis donc, Jamy, elles viennent d’où les armes qui tuent nos enfants ? », feint de questionner Cécile Cée, cofondatrice du collectif Boussole féministe, dans un post sur ses réseaux sociaux.
Jamy Gourmaud, connu simplement sous le nom de Jamy, est sous le feu des critiques à cause de son partenariat avec le Salon international de l’aéronautique et de l’espace qui se tient au Bourget, en Seine-Saint-Denis, jusqu’au 22 juin. Depuis deux semaines, l’ex-présentateur phare de l’émission de vulgarisation scientifique « C’est pas sorcier », arrêtée en 2014, fait la promotion du salon sur ses réseaux sociaux — un partenariat rémunéré dont nous ignorons le montant. Il va jusqu’à donner une conférence sur le rôle du spatial dans notre quotidien, prévue le 21 juin.
Pourtant, ce salon est le rendez-vous international des industries de l’aviation et de l’armement — particulièrement cette année, puisque 2025 est « l’année du spatial », domaine intrinsèquement lié à la défense. Cette 55ᵉ édition du Bourget intervient surtout dans un contexte de tensions géopolitiques extrêmes avec la guerre russe en Ukraine, le génocide perpétré par Israël à Gaza et ses attaques sur l’Iran.
Rendre divertissant un « business de la mort »
La présence de Jamy, journaliste et vulgarisateur scientifique aux 2 millions d’abonnés sur YouTube, n’est pas anodine. Et c’est ce que dénonce Cécile Cée. « C’est un salon qui se veut familial et avoir Jamy Gourmaud comme égérie n’est pas innocent. C’est l’ami des enfants depuis une trentaine d’années et en étant au Bourget, il participe à la propagande de la guerre », estime-t-elle.
Un avis partagé par une vulgarisatrice scientifique qui préfère rester anonyme. « Quand Jamy s’associe au Salon du Bourget, son équipe et lui font de la politique, et par rayonnement, défendent l’économie de guerre », tranche-t-elle.
Depuis l’arrêt de son émission phare sur France Télévisions, Jamy Gourmaud a lancé Épicurieux avec Webedia. Ce média, lancé en 2020 et dédié à la culture générale, compte plus de 930 000 abonnés sur le réseau social Instagram. Il continue par ailleurs la vulgarisation avec une émission à son nom — « Le monde de Jamy » — chez France Télévisions.
En collaborant avec le Salon du Bourget, le vulgarisateur participe à banaliser l’idéologie militaire auprès d’une large audience « en essayant de rendre divertissante toute une partie de l’aéronautique pour mieux cacher, ou justifier, le commerce d’armes de guerre, c’est-à-dire le business de la mort », dit Mathieu Rigouste, chercheur indépendant en sciences sociales et auteur d’ouvrages de recherche critique sur l’ordre sécuritaire.

« Mobiliser une figure comme Jamy Gourmaud revient à invisibiliser les implications de ces technologies sur la planète, le climat, et bien entendu sur les vies, déplore-t-il. C’est rendre l’aéronautique fun, ludique et divertissante. »
Invisibilisation de la guerre
Avec sa présence au Salon du Bourget, le journaliste passe sous silence tout lien de l’aéronautique avec la défense et la guerre. L’objectif avancé sur ses réseaux sociaux est de promouvoir les projets lancés par le secteur aéronautique et spatial pour atteindre la neutralité carbone. « Le transport aérien mondial représente environ 3 % du total des émissions de gaz à effet de serre tous secteurs confondus », détaille-t-il dans sa vidéo.
Ce type de collaboration ne date pas d’hier. À l’époque de « C’est pas sorcier », le présentateur consacrait déjà des émissions à des avions de chasse avec la Marine nationale — sans évoquer leur coût humain et écologique. Selon Mathieu Rigouste, ces partenariats participent à la diffusion d’une idéologie militariste française « au service de la politique impérialiste et agressive et visant à justifier la guerre et les budgets qui y sont liés ».
« En ce moment, de nombreux journalistes et vulgarisateurs s’affairent à relayer et faire vivre la réalité du génocide à Gaza. Avec son partenariat, Jamy fait de l’ombre à la crédibilité et aux efforts menés à ce sujet », estime la vulgarisatrice scientifique que nous avons interrogée. L’ex-présentateur de « C’est pas sorcier » a en effet cumulé plus de 140 000 vues sur sa vidéo de moins de deux minutes consacrée à « l’avion de demain » et publiée sur le compte Instagram d’Épicurieux.
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Cette publication aborde l’avion bas carbone, c’est-à-dire un avion mieux conçu, électrique ou fonctionnant avec des biocarburants : l’influenceur mise sur le technosolutionnisme et n’évoque aucunement la nécessité de réduire le nombre de vols. « En faisant la promotion du salon du Bourget, il relaie les éléments de langage de l’industrie aéronautique, qui minimisent les limites de sa décarbonation. Ce discours, déconnecté de la réalité climatique, participe à une forme de désinformation », souligne Amélie Deloche, cofondatrice de Paye ton influence, collectif qui sensibilise et accompagne les influenceurs à devenir acteurs de la transition écologique. Il n’évoque pas, par exemple, le coût énergétique de ces avions électriques soi-disant « verts ».
Un fan des lobbies industriels
Cette collaboration avec le Salon du Bourget entre surtout en opposition avec le personnage de Jamy Gourmaud. Le vulgarisateur scientifique a amené toute une génération à la science et à l’écologie. Aujourd’hui encore, ses émissions sont utilisées au collège pour simplifier certaines notions scientifiques. « Jamy a une responsabilité envers son public. Il est perçu comme une figure de savoir, ce qui lui confère une forte légitimité. Son audience lui fait confiance et ne remet pas en question ce qu’il affirme. Cela renforce d’autant plus la portée de ses propos », signale Amélie Deloche.
D’autres lobbies ont d’ailleurs profité de son statut d’expert scientifique pour gagner en visibilité sur les réseaux sociaux. En février 2022, Jamy Gourmaud a réalisé une vidéo sur les céréales en collaboration avec Intercéréales, lobby de la filière céréalière qui promeut une vision productiviste de l’agriculture. En août 2024, il a participé à la promotion des produits laitiers avec le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), l’un des lobbies du lait les plus importants de l’agriculture française.
« Jamy a une responsabilité envers son public »
Pour Amélie Deloche, ces multiples partenariats montrent une incohérence ainsi qu’un problème éthique dans son travail de vulgarisateur scientifique. « Jamy reste une figure centrale de la vulgarisation scientifique, avec une forte légitimité aux yeux de son public. C’est ce statut qui rend ses choix de collaboration d’autant plus sensibles : en adoptant les codes de l’influence, il prête son argument d’autorité à des messages parfois en décalage avec les enjeux actuels. Aujourd’hui, Jamy n’est plus journaliste, il est créateur de contenus », souligne la cofondatrice de Paye ton influence. Il utilise les codes des influenceurs, et contrairement aux journalistes, monnaye de nombreux contenus afin de faire la promotion d’industries bien éloignées d’un monde plus respectueux du vivant.
Sollicités par Reporterre, Jamy Gourmaud et Webedia n’ont pas répondu à nos questions.
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Source: https://reporterre.net/De-C-est-pas-sorcier-au-Salon-de-l-aviation-les-liaisons-douteuses-de-Jamy
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/de-cest-pas-sorcier-au-salon-de-laviation-les-liaisons-douteuses-de-jamy-reporterre-19-06-25/