De lourdes peines réclamées contre les antibassines (reporterre-30/11/23)

Second acte du procès contre les militants antibassines, le 28 novembre 2023 à Niort. – © Thibaud Moritz / AFP

Au procès des militants contre les mégabassines à Niort (Deux-Sèvres), deux mondes s’opposent. Quand on leur reproche des « violences contre les biens » lors des manifestations, les défenseurs de l’eau répondent « intérêt général ».

Par Justine GUITTON-BOUSSION

Niort (Deux-Sèvres), reportage

Le président ne cesse de le répéter aux photographes qui bloquent l’entrée : « C’est pas un show ici, c’est un tribunal ! » Cette deuxième partie du procès de militants contre les bassines réunit des figures phares de la lutte écologiste — militants, paysans, syndicalistes… — et des agriculteurs en colère. Ces deux mondes s’opposent frontalement le 28 novembre à Niort dans les Deux-Sèvres, et dans la salle, on peut effectivement parfois se croire au théâtre. Lorsque la centaine de personnes venues en soutien, agglutinées contre des barrières à l’extérieur du palais de justice, applaudit et chante à l’arrivée des prévenus, par exemple. Ou lorsqu’une galerie de personnages est présentée aux juges.

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Il y a d’abord cet agriculteur de 30 ans, installé à Sainte-Soline depuis quatre ans, dont les cultures ont été « piétinées » lors des manifestations contre les bassines, en octobre 2022 et en mars 2023. Au micro de la salle d’audience, il évoque son « stress », voire ses « cauchemars », à l’approche de chaque nouvelle mobilisation. « On sent la pression négative autour, on sent qu’il va se passer des choses graves », confie-t-il. Adhérent de la Coop de l’eau 79 – un collectif d’agriculteurs, porteur des projets de bassines dans les Deux-Sèvres – il sera raccordé à celle de Sainte-Soline lors de sa mise en place. Cela lui permettra d’irriguer l’été, avec de l’eau pompée l’hiver dans la nappe phréatique, ses cultures de luzerne destinées à l’alimentation de son troupeau de chèvres.

Vient ensuite un agriculteur de 42 ans, également adhérent de la Coop de l’eau, qui s’est installé en janvier 2022 en remplacement d’une personne à la retraite. En mars 2022, son matériel d’irrigation a été « dégradé » lors d’une action contre les bassines. « Trois mois après mon installation, ça fait bizarre », raconte-t-il aux juges. Lui aussi sera raccordé à la future bassine de Sainte-Soline pour « donner à manger à [ses] bêtes », un élevage bovin allaitant. « Mes deux enfants m’ont demandé pourquoi il y a eu ces dégradations, poursuit-il au micro. Je leur ai dit qu’on a le droit de ne pas être d’accord sur des projets, de manifester. Mais de là à dégrader les biens des autres… »

« Vol d’une canalisation »

Appelés par les parties civiles – la Coop de l’eau et un agriculteur ayant subi un « vol de canalisation » – ces deux témoins comparaissent pour convaincre le tribunal de la « violence » des prévenus. « Toucher à des biens, à des outils de travail, chez des agriculteurs, c’est toucher au travail d’une vie, à la famille », insiste Thierry Boudaud, président de la Coop de l’eau 79.

En tout, neuf personnes sont accusées de faits différents, du « vol d’une canalisation » à l’« organisation d’une manifestation interdite sur la voie publique », en passant par la « participation à un groupement en vue de commettre des violences contre les personnes et des dégradations contre les biens ». Ils auraient été commis à des dates s’étalant du 26 mars 2022 au 25 mars 2023, correspondant à plusieurs mobilisations contre les bassines dans les Deux-Sèvres.

Et les prévenus ne sont pas n’importe qui. Sur le banc, on retrouve pêle-mêle : Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci ; Benoît Feuillu et Basile Dutertre, pseudonymes de ces deux hommes connus pour être des porte-parole du mouvement des Soulèvements de la Terre ; Nicolas Girod, l’ancien porte-parole de la Confédération paysanne ; des représentants départementaux des syndicats CGT, Solidaires, la Confédération paysanne ; ainsi qu’un comédien et un agriculteur. D’où l’attrait de la presse pour cette audience, et la remarque agacée du président du tribunal, Éric Duraffour.

« Les prévenus travaillent pour l’intérêt général »

Rapidement, les débats quittent la simple question des manifestations et de leurs conséquences pour s’intéresser à l’intérêt même de ces réserves d’eau. « Les retenues de substitution ont pu apparaître comme une solution au changement climatique, mais c’est essentiellement à cause de confusions dans la littérature scientifique », affirme devant le tribunal Julie Trottier, directrice de recherche au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique. Elle poursuit même : « Cette retenue [à Sainte-Soline] participe à l’intérêt de particuliers. Les prévenus qui sont aujourd’hui devant vous travaillent, eux, pour l’intérêt général. »

Les autres témoins de la défense se succèdent ensuite. Jean-Louis Couture, ingénieur agronome retraité, pointe les conflits d’intérêts dans les attributions de projets de bassines. Cécile Guénon, juriste en droit de l’environnement, fait remarquer que les décisions de justice sont parfois prises trop tard en matière d’environnement, quand les conséquences sont « irréversibles ». Une membre de la Ligue des droits de l’Homme assure que les pratiques policières étaient « disproportionnées » lors de la manifestation, le 25 mars 2023 à Sainte-Soline.

Le président du tribunal écoute avec attention les témoignages, puis leur pose invariablement la même question : « Ces manifestations interdites [il insiste sur l’adjectif] ont été émaillées de destructions, de grandes violences, de blessés… Est-ce que, pour vous, c’était justifié d’en arriver là ? » Las, les témoins répondent tous que ce n’est pas à eux d’en juger.

Des militants comparés à Pol Pot

« Aujourd’hui, les personnes que vous jugez ne sont pas de simples manifestants, vous avez à juger les personnes qui sont à l’origine des événements, qui les ont souhaités, organisés, menés », a déclamé Me Sébastien Rey, l’avocat des parties civiles, lors de sa plaidoirie.

L’avocat fait toutefois une distinction entre les prévenus, estimant que certains sont moins impliqués que d’autres. Ses accusations se concentrent particulièrement sur trois hommes : Julien Le Guet, de Bassines non merci, et Benoît Feuillu et Basile Dutertre, des Soulèvements de la Terre. « Ne vous trompez pas, vous n’allez pas juger de gentils militants écolos pacifistes qui se soucient de l’état de la planète. Vous allez juger des gens qui estiment que « la violence est une condition nécessaire pour qu’une lutte soit victorieuse » », poursuit-il en citant une phrase de Basile Dutertre relayée par le média Blast.

Julien Le Guet, de Bassines non merci. Bassines non merci

Dans une plaidoirie surréaliste, le deuxième avocat représentant le syndicat agricole Coordination rurale – qui s’est porté partie civile en cours de route, après la première partie du procès qui s’est tenue le 8 septembre – dépeint ensuite les prévenus comme « le gratin de l’extrême-gauche » qui « déteste la police » et « déteste les paysans », les comparant même au despote Pol Pot. « Ça tombe bien, les paysans ici vous détestent et aiment leurs gendarmes », conclut Me Carl Gendreau en désignant les parties civiles, après avoir regardé fixement les prévenus en leur disant qu’ils ne « représentaient rien » – jusqu’à se faire réprimander par le président du tribunal.

« Bannissement citoyen, bannissement politique, bannissement militant »

Après une interminable projection des preuves amassées par le parquet à l’encontre des prévenus – constituées principalement de photos d’eux sur les lieux des manifestations, de communiqués de presse où figure leur numéro de téléphone en contact pour la presse, et des articles de journaux – le procureur de la République requiert des peines allant de 60 jours amendes à 15 euros (soit une amende de 900 euros, et 60 jours de prison si elle n’est pas payée) à douze mois d’emprisonnement avec sursis. À cela s’ajoute l’interdiction de détenir une arme pendant cinq ans, la confiscation d’armes dont ils seraient propriétaires, et l’interdiction de venir dans les Deux-Sèvres pendant trois ans (hormis deux prévenus qui y vivent déjà).

« Les réquisitions du parquet transpirent l’urgence de les arrêter, de mettre un terme à leurs actions. Ce qu’on essaye de faire, c’est du bannissement citoyen, du bannissement politique, du bannissement militant », a déploré Me Marie Dosé.

« Il est temps que cessent les poursuites, les répressions sanglantes contre les dizaines de milliers de personnes qui rejoignent ces combats vitaux », pour la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, a conclu l’un des prévenus, le comédien Nicolas Beauvillain, au bout de quatorze heures d’audience.

La décision du tribunal a été mise en délibéré. Elle sera rendue le 17 janvier 2024.

Source: https://reporterre.net/Megabassines-le-gratin-de-l-extreme-gauche-en-proces

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