
Parmi les 27 députés que compte la Bretagne, trois sont des agricultrices. Sandrine le Feur et Nicole le Peih portent la voix du gouvernement et Mathilde Hignet (LFI), celle de la Nupes. Toutes partagent la colère, mais pas les réponses apportées par le Premier ministre, Gabriel Attal.
Par Christel MARTEEL.
Leur double casquette les plonge au cœur de la crise agricole qui s’exprime depuis la semaine dernière partout en France et en Bretagne.
Sandrine le Feur, députée de la quatrième circonscription du Finistère et agricultrice bio près de Morlaix, partage son temps entre la nécessité d’aller sur le terrain dialoguer avec ses collègues agriculteurs sur les points de blocus, les réunions avec le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et les plateaux télé, studios radio et autres demandes d’interview qui la propulsent depuis plusieurs jours sur le devant de la scène médiatique. Non seulement je comprends la colère, mais je subis aussi les difficultés des agriculteurs, notamment sur la question des revenus liés à l’activité agricole.
Avant que la crise n’éclate, en novembre dernier, la députée installée en bio, a porté l’amendement pour une aide de 271 millions d’euros à l’agriculture biologique qui a été adoptée en séance publique à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finance 2024, finalement passé au 49.3.
Elle a aussi porté la loi Egalim, censée permettre un prix plus juste payé aux producteurs par les industries agroalimentaires et la grande distribution. C’est une bonne loi. Mais les moyens n’ont pas été mis pour vérifier son application dans les faits
, reconnaît-elle.
Parfois chahutée par ses pairs quand elle va à leur rencontre sur les blocus, Sandrine le Feur encaisse sans se démonter et assume ses choix d’agricultrice en faveur de l’environnement et ses convictions politiques. Il n’y a pas d’agriculture sans écologie, peu importent les types de production
, martèle-t-elle. Et même si les réponses à la crise du Premier ministre Gabriel Attal l’ont convaincue, elle maintient aussi la pression sur son propre camp.
Le Premier ministre a répondu avec beaucoup de perspicacité, comme toujours avec Gabriel Attal. Ses réponses étaient attendues et dans le fond, les agriculteurs sont d’accord
, estime-t-elle. Mais sur les accords de libre-échange que dénoncent les agriculteurs, elle s’était déjà distinguée en votant contre le Ceta (accord de libre-échange entre la France et le Canada ) en 2019. Je ne suis pas favorable à ce que l’agriculture fasse partie du libre-échange à partir du moment où les règles ne sont pas les mêmes pour tous
, martèle-t-elle.
Des injonctions insupportables
Tout aussi solidaire du mouvement de contestation, Nicole le Peih est aussi la voix du gouvernement dans le pays de Pontivy. Elle – qui avec son mari, est en train de transmettre à sa fille et son gendre, son exploitation en circuit court en volaille avec un atelier de vaches charolaises allaitantes – veut alerter sur les revenus trop faibles. Imaginez que votre patron ne vous paye pas pendant des mois, comment feriez-vous ? L’agriculture est la seule profession qui accepte de continuer de travailler sans être suffisamment rémunérée. Il faut vraiment y croire pour tenir.
Assurant travailler de près avec le ministre de l’Agriculture, elle veille à ce que les mesures de baisse des charges administratives soient visibles rapidement. Les injonctions permanentes sont insupportables. Cela détruit la passion du métier
, estime-t-elle avant de poursuivre par l’exemple. La semaine dernière, lors de vœux dans une commune, j’ai rencontré un jeune agriculteur qui m’expliquait avoir été contrôlé sept fois en un an ! Cet acharnement coupe l’élan
, dénonce-t-elle.
Un moratoire sur le libre-échange
Salariée agricole, la députée France insoumise d’Ille-et-Vilaine (Redon/Bain-de-Bretagne), Mathilde Hignet, fait aussi entendre sa voix dans les médias depuis le début de la crise pour soutenir les agriculteurs et dire que le système est au bout
. Contrairement à ses deux collègues et sans surprise, les annonces du Premier ministre ne l’ont absolument pas convaincue. Les paysans parlent de dignité et le gouvernement n’y répond pas. C’est une souffrance de bosser des heures et des heures pour gagner une misère.
Soutenez-vous la mobilisation des agriculteurs ?
Elle qui mène depuis le mois de septembre son agritour
, pointe l’insuffisance de la loi Egalim. Il faut qu’on puisse encadrer les marges de la grande distribution et des industriels
. Elle réclame également un moratoire sur les accords de libre-échange. Au-delà des règles qui doivent être les mêmes pour tous, on peut imaginer des prix minimums d’entrée pour les produits importés
.
Quand Mathilde Hignet défend aussi la nécessité de poursuivre les transitions. On ne doit pas faire marche arrière. Mais il faut mettre le paquet pour accompagner les agriculteurs ».
Sandrine le Feur et Nicole le Peih pointent aussi la responsabilité des consommateurs qui ne consacrent plus que 15 % de leur budget à l’alimentation quand c’était près de la moitié, il y a quarante ans. Sandrine le Feur en profite d’ailleurs pour pester contre les grandes surfaces quand elles martèlent tout le temps que dans leur magasin l’alimentation n’est pas chère
.
En 2018, Nicole le Peih avait d’ailleurs porté un amendement (adopté) pour interdire le terme gratuit
comme outil marketing et promotionnel pour les produits alimentaires. Convaincues que ce qui touche à l’agriculture est l’affaire de tous, elles estiment aussi que faire ses courses c’est aussi un acte citoyen ».
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