
Par Alain BLOYE.
Riches. Dans une tribune récente, les économistes Olivier Blanchard, Jean Pisani-Ferry et Gabriel Zucman disent « partager le constat qu’un impôt plancher sur les grandes fortunes est le plus efficace face à l’inégalité fiscale ». En bref, taxer davantage les 1 800 personnes les plus riches en France. Il n’a pas fallu longtemps avant que les éditorialistes et autres thuriféraires du grand capital sortent l’argumentaire fallacieux visant à caractériser ces économistes (dont deux proviennent de l’économie classique, Blanchard et Pisani-Ferry, l’un ayant été économiste en chef du FMI, l’autre conseiller économique d’Emmanuel Macron en 2017) de démagogues et de populistes.
Pour les éditorialistes de LCI – qui n’ont par ailleurs aucune formation en économie -, taxer les riches aboutirait à un « exil fiscal massif », faisant fuir les chefs d’entreprise et « [détournant] l’attention ». Enfin et toujours selon ces serviteurs zélés des grandes fortunes, l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) aurait, lors de son fonctionnement entre 1989 et 2018, facilité l’exil fiscal massif du contribuable. Défendue par LFI, votée par l’Assemblée nationale le 20 février dernier, la taxe « Zucman » a été rejetée par les sénateurs. Éric Coquerel l’a annoncé : LFI inscrira cette taxe lors de sa prochaine niche parlementaire, en novembre prochain. Affaire à suivre. Notre article.
Suppression de l’ISF : au moins 4,5 milliards perdus chaque année
Un rapport de 2023 du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital (France Stratégie, 16/10/2023) indiquait que l’ISF aurait dû rapporter près de 6,3 milliards d’euros en 2022 s’il avait été maintenu. Les recettes de l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) – qui a supplanté l’ISF en 2019 – n’étaient en 2022 que de 1,83 milliard d’euros. Le manque à gagner pour l’État est donc de 4.5 milliards d’euros. L’ISF était déjà un impôt critiqué. Son mécanisme de plafonnement (la somme des prélèvements sociaux, de l’impôt sur le revenu et de l’ISF ne devant pas excéder certains seuils de revenus) « profitait aux plus fortunés ».
Il « constituait une opportunité d’optimisation fiscale » et un manque à gagner de 2 milliards d’euros. Tout de même, la suppression de l’ISF depuis 2018 a fait perdre plus de 25 milliards d’euros à l’administration fiscale, en cumulant les recettes années après années.
Quel exil fiscal ?
Même la presse la plus libérale constatait en 2019 (Les Échos, 06/02/2019), que la fiscalité n’était pas la première motivation d’un départ à l’étranger, et que chez les contribuables déclarant plus de 100 000€ de revenus, seuls 0,5 % partaient alors pour des raisons fiscales. Selon Oxfam qui reprend le rapport de France Stratégie, l’exil fiscal des contribuables français à l’ISF a été inférieur à 0,2 % entre 2009 et 2019. De surcroît, la perte de recettes de l’ISF était alors évaluée par le journal Les Échos à 20 millions d’euros par an, soit une perte de recette de 1,55 % en 2018 et 160 fois moins que le coût de la suppression de l’ISF !
En réalité, alors même que les éditorialistes dénoncent la dette publique trop importante en France et assènent leur volonté de réduire les dépenses publiques, ce sont les suppressions d’impôts sur les entreprises et sur les contribuables les plus riches qui ont creusé la dette publique. En supprimant de fait une part des cotisations sur les hauts revenus et sur les entreprises et en supprimant progressivement l’imposition sur les hauts patrimoines, les recettes de l’État ont été réduites à la portion congrue.
En parallèle, le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes françaises a été multiplié par dix entre 2003 et 2023 selon l’Observatoire des inégalités. En 2020, lors de la pandémie de Covid-19, le patrimoine total des milliardaires français a enregistré une hausse de 68 %. Depuis 2020, leur fortune totale a doublé (Franceinfo, 02/06/2021). Gabriel Zucman, économiste prônant un impôt minimal de 2 % sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros, affirme qu’une loi instaurant cet impôt « [mettrait] simplement en conformité notre principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt ».
En réalité, la France sous Macron est devenue un paradis fiscal pour milliardaires, selon l’économiste : « Si toutes nos grandes fortunes partaient demain s’installer aux îles Caïmans, elles ne paieraient quasiment pas moins d’impôts ». Les recettes fiscales de la France baisseraient de l’ordre de 0.02 points de PIB (Franceinfo, 11/06/2025).
Aux États-Unis, une simple suppression de l’exil fiscal
Toujours selon Gabriel Zucman, imposer les 1 800 fortunes les plus riches de seulement 2 % permettrait de rapporter environ 20 milliards d’euros par an. Mais il y a bien plus. La proposition de loi « Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches » dont le texte a été rejeté par le Sénat le 20 février dernier, et qui reviendra en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 12 juin prochain mettrait en place un « bouclier anti-exil fiscal » jusqu’à cinq ans après le départ. Ce dispositif rappelle l’Internal revenue service (IRS) aux États-Unis.
Cet impôt universel décrète que tous les citoyens américains et étrangers résidents doivent produire une déclaration de revenus auprès des services fiscaux américains, et ce même s’ils vivent en permanence en-dehors du pays. En effet, les États-Unis ne se basent pas sur un critère géographique mais bien sûr la nationalité pour imposer les citoyens américains, où qu’ils vivent. Il peut ainsi générer une « double-imposition » de revenus.
Ce système avait été étudié par une mission d’information à l’Assemblée nationale proposée par le groupe La France insoumise en 2019 et un amendement avait déjà été déposé lors du projet de loi de finances 2019 par LFI. En bref, la régulation américaine règle le problème de l’exil fiscal en supprimant sa possibilité.
Pour aller plus loin : Désintox – 1 % des foyers fiscaux français possèdent 96 % des dividendes
En Norvège, un impact quasi nul de la hausse de l’impôt sur la fortune
En 2023, en Norvège, l’annonce de l’augmentation du taux d’imposition pour les grandes fortunes, passant de 1 % à 1,1 % a fait l’objet d’une « panique » (Libération, 10/04/2023) et a effectivement provoqué la fuite de certaines d’une trentaine d’exilés fiscaux. Mais le Guardian s’est penché sur les chiffres. Ainsi le manque à gagner de recettes fiscales provoqué par cette fuite alors décrite comme « extraordinaire » fut en fait de… 15,31 millions d’euros.
Ce qui a été décrit comme une fuite massive de capitaux pour le Danemark n’a en fait représenté que 0, 006 % des recettes totales de ce que l’impôt sur les fortunes norvégien rapporte réellement, soit 2,6 milliards d’euros (29 milliards de couronnes norvégiennes) (Direction générale du Trésor, 2022). En parallèle, les inégalités en Norvège ont explosé entre 2000 et 2018, les 20 % les plus pauvres ayant vu leur revenu augmenter de 21 % alors que les 1 % les plus riches voyaient les leurs progresser de 187 % (Le Monde, 23 juin 2023).
On est donc bien loin des fantasmes d’éditorialistes relayant une idéologie libérale visant à supprimer l’impôt sur les plus riches et à faire plus pauvres. Cette politique est bel et bien menée par Emmanuel Macron depuis 2017 et détruit progressivement les moyens de l’État. Il n’est plus à démontrer qu’éditorialistes de tous plateaux et personnalités politiques d’extrême droite et de droite extrême se rejoignent par leurs intérêts de classe, et l’abrutissement de leurs supposées connaissances économiques.
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Source: https://linsoumission.fr/2025/06/19/desintox-taxer-les-riches/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/desintox-taxer-les-riches-est-dangereux-pour-les-finances-publiques-vraiment-li-fr-19-06-25/