
Le projet de loi d’orientation agricole en discussion au Sénat prévoit que seules les atteintes jugées intentionnelles aux espèces protégées pourront être sanctionnées pénalement. Un recul très grave pour les écologistes.
Par Jeanne CASSARD
Loutre, hérisson, mésange bleue, androsace des Alpes… Ces espèces protégées n’en auront peut-être bientôt plus que le nom. Après avoir été adoptée par l’Assemblée nationale en mai 2024, la loi d’orientation agricole est en cours d’examen au Sénat.
Son article 13, introduit par amendement par le gouvernement, prévoit que seules les atteintes « intentionnelles » ou consécutives à une « négligence grave » aux espèces protégées seront passibles de poursuites pénales.
Après les attaques contre l’Agence bio et l’Office français de la biodiversité (OFB), cette mesure est, pour les écologistes, une énième offensive contre l’environnement de la part des sénateurs Les Républicains, avec l’appui du gouvernement.
Cette disposition est « un permis de détruire la biodiversité »
Que se passera-t-il si cet amendement est adopté ? En distinguant les « atteintes intentionnelles » aux espèces protégées des « actes de bonne foi », cette disposition est « un permis de détruire la biodiversité », dénonce Laure Piolle, chargée des questions agricoles à France Nature Environnement (FNE) : il faudra alors prouver que la destruction de la nature a été volontaire et réfléchie pour condamner le contrevenant. Or, en droit, prouver que la personne avait l’intention de tuer une espèce est très difficile.
« La plupart du temps, la destruction de l’espèce est un dommage collatéral », ajoute Laure Piolle. Quant à la négligence grave, celle-ci est très rare, « ce sont les négligences simples comme les imprudences ou les manquements à une obligation de prudence qui sont retenues », dit-elle.
« L’une des pires régressions en matière de droit de l’environnement de ces dernières années »
Ainsi, « en cas d’atteinte aux espèces protégées ou à leur habitat, cet article remplace les poursuites pénales par une sanction administrative d’une amende de 450 euros maximum ou un stage de citoyenneté », résume Laure Piolle. Si un agriculteur tue une mésange bleue après avoir taillé une haie, utilisé un pesticide ou épandu du lisier, il faudrait prouver que c’était intentionnel, ce qui est quasiment impossible et donc il ne risquerait aucune poursuite pénale.
Pire, le texte ne concerne pas uniquement les agriculteurs mais tout le monde. « Si un industriel pollue une rivière, il pourra plaider qu’il ne l’a pas fait exprès et ne sera pas condamné », ajoute Laure Piolle. Même chose pour un chasseur qui abattrait une espèce protégée qu’il aurait confondue avec une espèce gibier ou un particulier qui provoquerait la mort d’un hérisson après avoir répandu des produits pour éliminer les rongeurs sur son terrain.
« Cette mesure met en danger toute la biodiversité, c’est l’une des pires régressions en matière de droit de l’environnement de ces dernières années, déplore Laure Piolle. Le gouvernement envoie un message d’impunité : puisqu’il n’y a pas de sanction, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. »

À l’instar de FNE, 38 associations de protection de l’environnement ont publié une pétition contre cette mesure, qui a déjà recueilli plus de 40 000 signatures.
Si la réglementation actuelle punit la destruction d’une espèce protégée de maximum cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, « ces condamnations sont rares, dans la grande majorité des cas, le contrevenant est seulement convoqué par l’Office français de la biodiversité (OFB) », indique Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement. Selon le débat parlementaire, en 2022, seuls 136 agriculteurs ont été impliqués dans une procédure en lien avec le droit de l’environnement.
Un article contraire au droit européen ?
Cette disposition est surtout une « fausse promesse faite aux agriculteurs car l’article 13 de la loi d’orientation agricole est contraire au droit européen », affirme Arnaud Gossement. La destruction des espèces protégée et de leur habitat est encadrée par la directive européenne du 11 avril 2024 qui précise que ce délit peut être sanctionné, même lorsqu’il n’est pas intentionnel.
Or, en vertu du principe de hiérarchie des normes, le droit européen prime sur le droit national. Ainsi, « cet article pourra être attaqué par une association environnementale devant le Conseil d’État qui n’aura d’autre choix que d’appliquer le droit européen », pressent-il.
« L’État répond de manière démagogique aux problèmes des agriculteurs »
Pour Arnaud Gossement, « avec cette mesure, l’État répond de manière démagogique aux problèmes des agriculteurs, ce dont ils ont besoin avant tout c’est d’être mieux accompagnés, pas de bénéficier d’une sorte d’impunité ».
Mais pour le sénateur écologiste Daniel Salmon, « en réintroduisant la notion de négligence grave pouvant conduire à une sanction pénale, les sénateurs Les Républicains ont fait en sorte que le texte soit difficilement attaquable au niveau européen ». Selon lui, « tout va dépendre de quelle version sera finalement adoptée par les sénateurs ». Le texte devrait être voté par le Sénat le 18 février, soit quatre jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris.
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Source: https://reporterre.net/Destructions-d-especes-protegees-l-Etat-ouvre-la-porte-a-toutes-les-derives
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