
Dans un rapport publié ce mardi, l’Observatoire des multinationales documente les allers-retours entre le public et le privé, monnaie courante en Macronie, et leur rôle dans l’approfondissement de la crise démocratique.
Par Cyprien BOGANDA.
Christophe Castaner, Cédric O, Muriel Pénicaud… On ne compte plus les responsables macronistes qui ont fait le choix de se reconvertir dans le privé, avec tous les risques de conflit d’intérêts que cela comporte. Ex-ministre de l’Intérieur, le premier a été embauché comme conseiller par l’entreprise chinoise de fast-fashion chinoise Shein ; ancien secrétaire d’État au Numérique, le second a posé ses valises comme lobbyiste dans une start-up d’intelligence artificielle ; ancienne ministre du Travail, la troisième a intégré le conseil d’administration du géant de l’enseignement privé Galileo à sa sortie du gouvernement.
Ce ne sont pas des cas isolés : selon un rapport de l’Observatoire des multinationales publié ce mardi 27 mai, 34 % des ministres et secrétaires d’État des quinquennats d’Emmanuel Macron venaient du monde des grandes entreprises à l’été 2023, et 51 % de ceux qui avaient quitté le gouvernement ont rejoint le secteur privé. Il faut dire que les connivences entre secteurs public et privé constituent l’une des marques de fabrique du macronisme, dont le plus éminent représentant a fait ses classes au sein de la banque d’affaires Rothschild avant d’entrer à l’Élysée…
Du public au privé : un mélange des genres antérieur au macronisme
« Emmanuel Macron n’est certes pas le premier dirigeant de la République à pratiquer l’échangisme public-privé », note l’observatoire, qui rappelle que d’anciens ministres de François Hollande sont eux aussi partis dans le secteur privé, à l’image de Myriam El Khomri, qui a créé une société de conseil. Néanmoins, « on peut considérer qu’un pas a bien été franchi en 2017, selon les auteurs du rapport. Jamais l’échangisme entre l’État et les milieux d’affaires ne s’était trouvé à ce point normalisé ».
Ce mélange des genres dépasse de loin le seul cadre du macronisme : l’Observatoire des multinationales a passé au crible plus de 500 cas de « portes tournantes » (le fait pour un responsable public de passer dans le privé et inversement) entre janvier 2022 et janvier 2025, soit un cas tous les deux jours. 78 % concernent des mobilités du public vers le privé, et 22 % dans le sens inverse.
Les anciens régulateurs deviennent régulés
« La généralisation des portes tournantes est nocive pour la bonne santé de notre démocratie, rappellent les auteurs du rapport. Elles sont une source de multiples conflits d’intérêts qui alimentent la suspicion envers les dirigeants politiques. Elles donnent aux acteurs privés un accès privilégié aux décideurs et aux informations qui leur permettent de peser plus efficacement sur les décisions. Elles favorisent les phénomènes d’entre-soi. »
Pour beaucoup de hauts fonctionnaires, une carrière parsemée de passages plus ou moins longs dans le secteur privé est devenue naturelle – de préférence en restant au sein du même secteur d’activité, d’où des risques évidents de collusions. Le rapport s’est intéressé aux cas où les anciens « régulateurs » deviennent « régulés », ou vice versa : c’est le cas dans 44 % des portes tournantes.
« La conséquence, c’est que lorsque les représentants de l’État s’assoient à la même table que les représentants de l’industrie qu’ils ont pour rôle de superviser et de réguler, ils se retrouvent souvent avec pour interlocuteurs… une majorité d’anciens collègues », note l’observatoire. Dans le détail, les secteurs les plus propices à ce jeu de chaises musicales sont l’éducation, la communication et l’aéronautique/armement.
L’ancienne directrice de lobby, à la Fédération bancaire française
La finance n’est pas en reste. Le rapport rappelle, à titre d’illustration, la trajectoire édifiante de Marie-Anne Barbat-Layani. « Après quatorze ans à la direction du Trésor puis trois ans aux ”affaires européennes” du Crédit agricole (consistant à défendre à Bruxelles les intérêts de son entreprise), elle repart dans le public auprès du premier ministre François Fillon, notent les auteurs. En 2014, (…) elle rejoint la Fédération bancaire française (FBF). La porte tourne à nouveau en 2019 lorsqu’elle rejoint le ministère de l’Économie. »
Trois ans plus tard, elle est nommée par Emmanuel Macron à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Et l’observatoire de conclure : « La régulation des entreprises bancaires est donc entre les mains de l’ancienne directrice de leur lobby. »
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