
L’accord conclu par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est fait aux termes dictés par le président états-unien. Sa stratégie, « diviser pour mieux régner », a connu, ici, un rendement maximal.
Christophe DEROUBAIX.
Donald Trump a rangé ses clubs de golf, enfilé un costume de ville, puis s’est rendu à un rendez-vous avec Ursula von der Leyen qui avait fait le déplacement à Turnberry (Écosse). Il a d’abord dit qu’il était de « mauvaise humeur ». Et puis quelques minutes plus tard, il a serré la main de la présidente de la Commission européenne, loué « le plus grand “deal” jamais passé » et savouré une victoire remportée sans avoir eu à livrer un vrai combat.
Quel est le contenu de cet accord ?
Lors de son « Liberation Day », le 2 avril, Donald Trump avait menacé de couper le bras de l’économie européenne avec des taux de douane absolument prohibitifs. Au nom de l’UE, Ursula von der Leyen a tranché volontairement la main de ces mêmes industries, en acceptant des droits de douane de 15 % pour les exportations des Vingt-Sept vers les États-Unis. Soit en deçà des 20 % initialement annoncés, mais bien au-dessus des taux existants.
Ce plafond de 15 % s’applique à la plupart des produits européens, dont les automobiles, assujetties actuellement à une taxe de 27,5 %. Concernant d’autres secteurs, les propos des deux dirigeants ont été contradictoires. Donald Trump a exclu les produits pharmaceutiques du périmètre, tandis qu’Ursula von der Leyen a assuré qu’ils y étaient inclus.
En revanche, la situation reste inchangée pour l’acier et l’aluminium, taxés à hauteur de 50 %, tandis que les médicaments « ne sont pas concernés par cet accord ». Des exonérations sont prévues pour plusieurs catégories de biens, dont les avions et les pièces aéronautiques, les matières premières dites critiques, ainsi que certains produits chimiques et denrées agricoles.
Mais l’accord de Turnberry ne porte pas que sur les droits de douane. Il comprend également un volet d’engagements des Européens tout aussi problématique que le compromis pour le moins bancal conclu sur les taxes à l’exportation.
Pour commencer, les pays européens devront acheter des produits énergétiques américains pour un montant de 750 milliards de dollars (640 milliards d’euros) au cours des trois prochaines années. C’est une excellente nouvelle pour le gaz de schiste « made in USA », mais une contrainte évidente pour les Européens qui devront se passer d’approvisionnements moins onéreux venant d’autres pays. Les Vingt-Sept auront également à investir 600 milliards de dollars aux États-Unis et acheter du matériel militaire américain, une « énorme quantité », selon Donald Trump.
Pourquoi l’Europe a-t-elle cédé ?
La thèse des dirigeants européens qui ont consenti à ce « deal » tient en trois mots : éviter le pire. « Il faut se souvenir où nous en serions le 1er août (sans cet accord), nous serions à 30 % », a plaidé Ursula von der Leyen, lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre. « Nous préférons la stabilité à l’imprévisibilité totale », prévenait déjà, dans l’avion reliant Bruxelles à Glasgow, le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic.
La stratégie du président états-unien nationaliste – « diviser pour mieux régner » – s’est appliquée ici avec un rendement maximal. Grosso modo, l’Europe était divisée en trois clans inégaux : les pays exportateurs (Allemagne en tête, mais aussi Italie et Irlande) qui avaient le plus à perdre ; ceux qui souhaitaient une posture plus ferme face au chantage de Donald Trump (dont la France) et ceux qui craignaient des dommages collatéraux à une confrontation directe (les pays du flanc est).
Il apparaît qu’Ursula von der Leyen a été la porte-parole des premiers, sans chercher une position équilibrée au sein des Vingt-Sept. Il faut en trouver une preuve dans l’une des formules de la présidente de la Commission européenne après la poignée de mains scellant l’accord : « Il est normal de faire ce deal car l’Europe est en excédent par rapport aux États-Unis, donc il faut rééquilibrer cette inégalité. » Or, elle n’évoque ici que la balance commerciale des biens (excédent pour l’Europe de 347,2 milliards d’euros en 2023), pas des services (excédent de 156,6 milliards pour les États-Unis).
« Lorsque la loi de la jungle prévaut, les faibles n’ont d’autre choix que d’accepter leur sort. Mais l’Europe aurait pu être forte, seule ou en coalition avec d’autres. Elle aurait dû se préparer à affronter des eaux tumultueuses. Elle aurait finalement obtenu un meilleur accord et envoyé un message fort au monde entier. Une occasion manquée », tranche, dans un post sur X, Olivier Blanchard, professeur émérite d’économie au MIT.
Pour l’Humanité, David Cayla, enseignant-chercheur en économie à l’université d’Angers, souligne qu’une autre voie était possible : « Il aurait fallu porter nos propres revendications, c’est-à-dire la conquête de l’autonomie stratégique européenne, en matière d’énergie, de défense et sur le numérique. Cela impliquait de fixer des lignes rouges. Et de dire par exemple aux Américains que s’ils poursuivaient dans cette voie, nous irions taxer leurs géants du numérique et exclure certaines de leurs entreprises de nos appels d’offres. Je vous renvoie au rapport de Mario Draghi (publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne en septembre 2024 – NDLR), qui appelait à davantage de souveraineté européenne : c’est le contraire que cet accord sur les droits de douane entérine. »
Quelles conséquences politiques et économiques ?
Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que les divisions entre États membres se révèlent au grand jour. Si le ministre français des Affaires européennes, Benjamin Haddad, avait jugé lundi matin que l’accord « déséquilibré » apportait néanmoins de la « stabilité », son supérieur hiérarchique a, peu de temps, après, livré une saillie d’une tout autre nature. « C’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission », a écrit François Bayrou, sur X. L’UE va-t-elle entrer dans une zone de turbulences politiques, avec ses deux principales puissances – la France et l’Allemagne – entrant en confrontation plus ou moins frontale ?
Cet épisode peu glorieux va également servir à toutes les forces revendiquant la sortie de leur pays de l’UE, qui n’a pas négocié d’aussi bonnes conditions que la solitaire Grande-Bretagne, sortie en 2019. « À l’arrivée, c’est surtout un échec politique de l’UE : on nous vend depuis des années l’idée selon laquelle, avec l’Union, les pays seraient plus puissants pour négocier des accords commerciaux avantageux, constate David Cayla. Et on se retrouve avec un accord plus mauvais que des pays hors UE. Si l’Union européenne, qui nous impose par ailleurs de multiples contraintes, ne nous protège même pas en cas de guerre commerciale, à quoi sert-elle ? À ce titre, cet accord va renforcer les discours eurosceptiques. »
À plus long terme, le prix à payer sera économique. Lundi matin, sur France Inter, un représentant de l’industrie cosmétique faisait ses calculs : sur les 3 milliards d’exportations du secteur vers les États-Unis, 300 millions vont s’évaporer, et avec eux, 5 000 emplois. Il demandait ainsi des gestes du gouvernement. Les répercussions ouvriront la porte à des revendications patronales de « moins-disant » : augmentation des aides publiques, baisse des cotisations sociales, assouplissement des réglementations.
Il y aura, enfin, un impact géopolitique. Si les États-Unis apparaissent comme les grands vainqueurs de ce premier bras de fer, la Chine peut paradoxalement s’en féliciter. Leurs principaux rivaux économiques en sortent certes renforcés, mais l’attitude lymphatique de l’UE va convaincre les pays du Sud global qu’elle n’est pas un partenaire fiable.
L’Europe confirme ainsi qu’elle ne constitue pas un acteur de poids des relations internationales. Elle en a également fait la démonstration, début juillet, en se montrant incapable de prendre une décision sur le fait – assez largement établi – qu’Israël avait enfreint l’article 2 de son accord d’association avec les Vingt-Sept, portant sur le respect des droits humains.
Donald Trump veut remodeler les relations internationales et Benyamin Netanyahou, le Moyen-Orient. De fait, l’Europe s’aligne sur eux, devenant une province périphérique dans un monde globalisé.
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