
Si des chrétiens ont eu une lecture conservatrice de la pensée écologiste du pape François, son texte « Laudato Si’ » a convaincu un certain nombre de croyants de s’engager dans des luttes environnementales.
Par Nicolas CELNIK.
Face à la crise écologique, il faudrait « passer de la consommation au sacrifice, […] dans une ascèse qui signifie « apprendre à donner, et non simplement à renoncer » ». Hugo de Gryse peut citer de mémoire ce passage du Laudato Si’, la lettre encyclique du défunt pape François. Écrite en 2015, elle est considérée comme un texte essentiel de l’écologie par une grande partie des catholiques.
Ancien séminariste, Hugo, 29 ans, est aujourd’hui professeur de mathématiques. Il a depuis longtemps « deux dadas dans la vie : l’écologie et Jésus-Christ ». Mais ce n’est que lorsqu’il a lu pour la première fois le Laudato Si’ qu’il s’est rendu compte qu’il devait envisager un « engagement sérieux et cohérent dans l’écologie en même temps que dans la foi ».
Comme lui, de nombreux catholiques ont été touchés par les messages écologistes portés par le pape François au cours de ses douze ans de pontificat. Si les précédents souverains pontifes s’étaient exprimés sur le sujet, aucun ne l’avait fait de manière aussi forte qu’avec le Laudato Si’ : dans ce texte, le pape critique sans détour les ravages environnementaux, la surconsommation, « l’utilisation irresponsable » des ressources naturelles : « Nous avons grandi en pensant que nous étions [l]es propriétaires [de la Terre] et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. »
Lire aussi : « Les rites peuvent être des contre-pouvoirs au capitalisme »
Hugo y a vu un encouragement : « Alors que l’écologie pouvait auparavant être perçue comme une question marginale, voilà que le pape de l’Église catholique nous dit : « go ! » ». Ce qui l’a surtout touché, c’est le lien entre écologie et aide aux plus démunis. Le Laudato Si’ « m’a aidé à comprendre que l’écologie est une œuvre de charité, un acte d’amour pour son prochain et pour les plus pauvres, qui sont ceux qui souffrent le plus durement de la crise climatique ».
Des chants cathos écolos
En 2015, dans la foulée de sa découverte, le chrétien est parti exposer la vision écologique du pape en Amérique latine, avant de rejoindre un séminaire pour débuter une formation de prêtre où il reçoit des « cours de morale de l’environnement absolument incroyables ».
Hugo a choisi ensuite une autre voie pour s’engager : le mouvement Lutte & Contemplation, fondé en 2022. Le collectif (qui assure « ne pas avoir de positionnement partisan ») revendique une centaine de personnes en France et encourage les chrétiens à participer à des luttes environnementales. Actions antipub, cercles de silence (une déclinaison du sit-in), interpellation de TotalEnergies par l’intermédiaire d’autorités religieuses ou participation à des manifestations : les membres du collectif s’engagent parfois dans des actions, mais « toujours non violentes », précise Hugo de Gryse.
« Chez les chrétiens, on a le chant facile : ça aide à participer de manière joyeuse et créative aux manifs », s’amuse-t-il. Dans les mobilisations, le chant « Comment ne pas te louer, Seigneur » est par exemple devenu « Comment ne pas polluer, Seigneur ».
Le poids des réseaux chrétiens
« Le Laudato Si’ » a été une onde de choc pour beaucoup de gens : en même temps, les cathos revenaient de loin », constate Laurence. Elle est aujourd’hui membre du Mouvement Laudato Si’, présent dans près de 140 pays. En effet, lorsque l’Église initie un changement, elle bénéficie d’un atout de taille : un ancrage étendu à travers le monde entier.
La militante se souvient d’un vieux communiste rencontré via le Réseau Soutien migrants — un collectif de citoyens engagés dans l’aide aux personnes exilées — qui lui a lancé un jour : « Vous, les culs-bénits, on compte sur vous pour mobiliser vos réseaux ! »
« C’est la première fois que j’entendais cette expression, je ne savais même pas ce que ça voulait dire », sourit la septuagénaire catholique, investie dans des actions environnementales et sociales.
Depuis l’appel du pape, 384 organisations catholiques du monde entier se sont engagées à ne plus investir d’argent dans les énergies fossiles. En France, près de 1000 églises ou paroisses ont adopté le label Église Verte, qui vise « une conversion écologique de l’Église », en travaillant sur une alimentation moins carbonée ou des pratiques numériques plus sobres, ou organise des balades « écospirituelles ».
Lire aussi : « Le pape François était un allié de taille dans la défense de l’environnement »
Des assises organisées à Lourdes à partir de 2019 ont également abouti à la création de délégués à « l’écologie intégrale », un concept central du Laudato Si’ qui part du principe qu’« il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale ».
Étienne Faure, délégué à l’écologie intégrale dans le Jura, estime que la notion « vise à mettre en avant la solidarité en écoutant le cri des plus fragiles et des plus pauvres, mais aussi l’écologie en écoutant le cri de la Terre », explique le salarié du diocès. Pour lui, il s’agit de « favoriser et d’accompagner les lieux où se vit cette écologie intégrale », développe-t-il, en prenant l’exemple d’une communauté qui accueille des « gens blessés par la vie dans un cadre favorable, avec un jardin et de la vie partagée ».
« Cela donne un sens différent à l’action de ces lieux », analyse Mathieu Labonne, à la tête de la coopérative Oasis, qui fédère des écolieux, [dont certains à tendance chrétienne.
L’écologie intégrale, un concept ambigu
Depuis 2015, Mathieu Labonne a vu plusieurs lieux catholiques rejoindre son réseau. Il remarque que nombre d’entre eux reprennent le vocabulaire de l’encyclique, de l’écologie intégrale à la « maison commune » pour désigner la planète Terre.
Dans le même temps, un nombre croissant de sites patrimoniaux chrétiens, comme des églises et des abbayes, ont été prêtés ou vendus à bas prix à des communautés souhaitant expérimenter un mode de vie écologique. « L’encyclique a, d’une certaine manière, démocratisé auprès des chrétiens l’accès à ce genre de collectifs », estime Mathieu Labonne.
Certains de ces lieux sont influencés par la revue d’écologie intégrale de droite réactionnaire Limite, dont les fondateurs ont revendiqué une filiation avec le Laudato Si’, tout en diffusant des positions opposées aux lesbiennes, gays, bis et transgenres.
L’écologie intégrale est en effet un concept ambigu, qui a été mobilisé par les catholiques conservateurs pour justifier des positions LGBT-phobes [1] Certains sont influencés par la revue d’écologie intégrale de droite réactionnaire Limite, dont les fondateurs ont revendiqué une filiation avec le Laudato Si’, pour développer une pensée favorable à la famille « traditionnelle » et hostile aux idées féministes et queer [2]. Dans l’encyclique, le pape François écrit d’ailleurs que « puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement ».
Des clivages politiques et générationnels
Tous les chrétiens ont-ils opéré un virage écologique au cours des douze ans du pontificat de François ? Un sondage réalisé en 2023 par l’Ifop fait le constat d’une population « aux convictions environnementales nuancées » : les chrétiens catholiques et protestants seraient aussi sensibles à l’écologie que le reste de la population, mais plus nombreux à considérer la nature comme une ressource à disposition des êtres humains. Les plus pratiquants des enquêtés craignent une mise en concurrence entre écologie et valeurs religieuses — avec l’idée que l’écologie sacralise plus la nature que l’humain.
Le sondage fait aussi apparaître un clivage générationnel entre une « génération « Laudato Si’ » » engagée, et des « réfractaires » ou « désengagés », plutôt retraités, ancrés à la droite de l’échiquier politique, et indifférents ou hostiles à l’écologie.
Lire aussi : « Laudato Si’ », un ferment de conversion écologique pour les chrétiens
L’un des enjeux du conclave, qui doit élire le prochain pape, est de savoir s’il prolongera les positions du pape François (fortes sur le plan écologique et timides sur le plan sociétal), ou s’il actera le retour d’un pape conservateur à la tête de l’institution. Sur l’écologie, Étienne Faure préfère rester optimiste : « Grâce à la force du message du « Laudato Si’ », il n’y aura pas de retour en arrière possible. »
Si des chrétiens ont eu une lecture conservatrice de la pensée écologiste du pape François, son texte « Laudato Si’ » a convaincu un certain nombre de croyants de s’engager dans des luttes environnementales.
Face à la crise écologique, il faudrait « passer de la consommation au sacrifice, […] dans une ascèse qui signifie « apprendre à donner, et non simplement à renoncer » ». Hugo de Gryse peut citer de mémoire ce passage du Laudato Si’, la lettre encyclique du défunt pape François. Écrite en 2015, elle est considérée comme un texte essentiel de l’écologie par une grande partie des catholiques.
Ancien séminariste, Hugo, 29 ans, est aujourd’hui professeur de mathématiques. Il a depuis longtemps « deux dadas dans la vie : l’écologie et Jésus-Christ ». Mais ce n’est que lorsqu’il a lu pour la première fois le Laudato Si’ qu’il s’est rendu compte qu’il devait envisager un « engagement sérieux et cohérent dans l’écologie en même temps que dans la foi ».
Comme lui, de nombreux catholiques ont été touchés par les messages écologistes portés par le pape François au cours de ses douze ans de pontificat. Si les précédents souverains pontifes s’étaient exprimés sur le sujet, aucun ne l’avait fait de manière aussi forte qu’avec le Laudato Si’ : dans ce texte, le pape critique sans détour les ravages environnementaux, la surconsommation, « l’utilisation irresponsable » des ressources naturelles : « Nous avons grandi en pensant que nous étions [l]es propriétaires [de la Terre] et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. »
Lire aussi : « Les rites peuvent être des contre-pouvoirs au capitalisme »
Hugo y a vu un encouragement : « Alors que l’écologie pouvait auparavant être perçue comme une question marginale, voilà que le pape de l’Église catholique nous dit : « go ! » ». Ce qui l’a surtout touché, c’est le lien entre écologie et aide aux plus démunis. Le Laudato Si’ « m’a aidé à comprendre que l’écologie est une œuvre de charité, un acte d’amour pour son prochain et pour les plus pauvres, qui sont ceux qui souffrent le plus durement de la crise climatique ».
Des chants cathos écolos
En 2015, dans la foulée de sa découverte, le chrétien est parti exposer la vision écologique du pape en Amérique latine, avant de rejoindre un séminaire pour débuter une formation de prêtre où il reçoit des « cours de morale de l’environnement absolument incroyables ».
Hugo a choisi ensuite une autre voie pour s’engager : le mouvement Lutte & Contemplation, fondé en 2022. Le collectif (qui assure « ne pas avoir de positionnement partisan ») revendique une centaine de personnes en France et encourage les chrétiens à participer à des luttes environnementales. Actions antipub, cercles de silence (une déclinaison du sit-in), interpellation de TotalEnergies par l’intermédiaire d’autorités religieuses ou participation à des manifestations : les membres du collectif s’engagent parfois dans des actions, mais « toujours non violentes », précise Hugo de Gryse.
« Chez les chrétiens, on a le chant facile : ça aide à participer de manière joyeuse et créative aux manifs », s’amuse-t-il. Dans les mobilisations, le chant « Comment ne pas te louer, Seigneur » est par exemple devenu « Comment ne pas polluer, Seigneur ».
Le poids des réseaux chrétiens
« Le Laudato Si’ » a été une onde de choc pour beaucoup de gens : en même temps, les cathos revenaient de loin », constate Laurence. Elle est aujourd’hui membre du Mouvement Laudato Si’, présent dans près de 140 pays. En effet, lorsque l’Église initie un changement, elle bénéficie d’un atout de taille : un ancrage étendu à travers le monde entier.
La militante se souvient d’un vieux communiste rencontré via le Réseau Soutien migrants — un collectif de citoyens engagés dans l’aide aux personnes exilées — qui lui a lancé un jour : « Vous, les culs-bénits, on compte sur vous pour mobiliser vos réseaux ! »
« C’est la première fois que j’entendais cette expression, je ne savais même pas ce que ça voulait dire », sourit la septuagénaire catholique, investie dans des actions environnementales et sociales.
Depuis l’appel du pape, 384 organisations catholiques du monde entier se sont engagées à ne plus investir d’argent dans les énergies fossiles. En France, près de 1000 églises ou paroisses ont adopté le label Église Verte, qui vise « une conversion écologique de l’Église », en travaillant sur une alimentation moins carbonée ou des pratiques numériques plus sobres, ou organise des balades « écospirituelles ».
Lire aussi : « Le pape François était un allié de taille dans la défense de l’environnement »
Des assises organisées à Lourdes à partir de 2019 ont également abouti à la création de délégués à « l’écologie intégrale », un concept central du Laudato Si’ qui part du principe qu’« il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale ».
Étienne Faure, délégué à l’écologie intégrale dans le Jura, estime que la notion « vise à mettre en avant la solidarité en écoutant le cri des plus fragiles et des plus pauvres, mais aussi l’écologie en écoutant le cri de la Terre », explique le salarié du diocès. Pour lui, il s’agit de « favoriser et d’accompagner les lieux où se vit cette écologie intégrale », développe-t-il, en prenant l’exemple d’une communauté qui accueille des « gens blessés par la vie dans un cadre favorable, avec un jardin et de la vie partagée ».
« Cela donne un sens différent à l’action de ces lieux », analyse Mathieu Labonne, à la tête de la coopérative Oasis, qui fédère des écolieux, [dont certains à tendance chrétienne.
L’écologie intégrale, un concept ambigu
Depuis 2015, Mathieu Labonne a vu plusieurs lieux catholiques rejoindre son réseau. Il remarque que nombre d’entre eux reprennent le vocabulaire de l’encyclique, de l’écologie intégrale à la « maison commune » pour désigner la planète Terre.
Dans le même temps, un nombre croissant de sites patrimoniaux chrétiens, comme des églises et des abbayes, ont été prêtés ou vendus à bas prix à des communautés souhaitant expérimenter un mode de vie écologique. « L’encyclique a, d’une certaine manière, démocratisé auprès des chrétiens l’accès à ce genre de collectifs », estime Mathieu Labonne.
Certains de ces lieux sont influencés par la revue d’écologie intégrale de droite réactionnaire Limite, dont les fondateurs ont revendiqué une filiation avec le Laudato Si’, tout en diffusant des positions opposées aux lesbiennes, gays, bis et transgenres.
L’écologie intégrale est en effet un concept ambigu, qui a été mobilisé par les catholiques conservateurs pour justifier des positions LGBT-phobes [1] Certains sont influencés par la revue d’écologie intégrale de droite réactionnaire Limite, dont les fondateurs ont revendiqué une filiation avec le Laudato Si’, pour développer une pensée favorable à la famille « traditionnelle » et hostile aux idées féministes et queer [2]. Dans l’encyclique, le pape François écrit d’ailleurs que « puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement ».
Des clivages politiques et générationnels
Tous les chrétiens ont-ils opéré un virage écologique au cours des douze ans du pontificat de François ? Un sondage réalisé en 2023 par l’Ifop fait le constat d’une population « aux convictions environnementales nuancées » : les chrétiens catholiques et protestants seraient aussi sensibles à l’écologie que le reste de la population, mais plus nombreux à considérer la nature comme une ressource à disposition des êtres humains. Les plus pratiquants des enquêtés craignent une mise en concurrence entre écologie et valeurs religieuses — avec l’idée que l’écologie sacralise plus la nature que l’humain.
Le sondage fait aussi apparaître un clivage générationnel entre une « génération « Laudato Si’ » » engagée, et des « réfractaires » ou « désengagés », plutôt retraités, ancrés à la droite de l’échiquier politique, et indifférents ou hostiles à l’écologie.
Lire aussi : « Laudato Si’ », un ferment de conversion écologique pour les chrétiens
L’un des enjeux du conclave, qui doit élire le prochain pape, est de savoir s’il prolongera les positions du pape François (fortes sur le plan écologique et timides sur le plan sociétal), ou s’il actera le retour d’un pape conservateur à la tête de l’institution. Sur l’écologie, Étienne Faure préfère rester optimiste : « Grâce à la force du message du « Laudato Si’ », il n’y aura pas de retour en arrière possible. »
Notes
[1] Hostiles aux personnes lesbiennes, gays, bis, trans.
[2] Vers la fin des années 1980, la communauté LGBTQ+ s’est réapproprié le terme queer (signifiant « étrange » en anglais), qui était à l’origine utilisé pour parler péjorativement des hommes homosexuels, pour en faire un symbole de contestation des modèles identitaires relatifs au genre et aux orientations sexuelles — définition du Grand dictionnaire terminologique.
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Source: https://reporterre.net/Ces-chretiens-pousses-vers-l-ecologie-par-le-pape-Francois
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/ecolieux-desobeissance-ces-chretiens-pousses-vers-lecologie-par-le-pape-francois-reporterre/
