Électricité : pourquoi l’Union européenne ne protège pas les consommateurs ? (H.fr-29/05/24)

Entre 2007, date symbolique de l’ouverture à la concurrence pour l’ensemble des usagers, et 2021, le prix de l’électricité a augmenté de 69 %. ©Samir Maouche pour l’Humanité

Alors que l’exécutif justifie les hausses de prix par la guerre en Ukraine, de plus en plus d’acteurs du secteur pointent les promesses non tenues de l’ouverture à la concurrence et craignent de voir la situation empirer.

Par Pauline ACHARD.

C’était il y a tout juste six mois. Invité au JT de TF1, dimanche 21 janvier, le ministre de l’Économie et des Finances annonçait au micro d’Anne-Claire Coudray une hausse du prix de l’électricité tutoyant les 10 % au 1er février. Autrement dit, une boulangerie bénéficiant du tarif réglementé en heures pleines heures creuses, avec 90 MWh de consommation annuelle, paiera en moyenne 116 euros de plus par mois. Douche froide pour les consommateurs, dont le pouvoir d’achat demeure très contraint par l’inflation.

Cette décision, « difficile mais nécessaire », comme l’a justifié Bruno Le Maire, découle de la volonté du gouvernement de sortir du « bouclier tarifaire » mis en place à l’automne 2021 par Jean Castex pour limiter l’impact de l’explosion du prix de l’énergie sur les usagers. Cette augmentation, dévoilée en grande pompe par le locataire de Bercy, a fait suite à celles de 4 % en février 2022, de 15 % en février 2023 et de 10 % en août 2023, venues, elles, se glisser plus discrètement dans les factures des consommateurs.

La hausse totale est donc portée à près de 43 % sur deux ans, dépassant largement le taux d’inflation établi à un peu plus de 10 % sur cette période. Selon un rapport de l’Observatoire national de la précarité paru en novembre 2023, 79 % des ménages ont restreint leur chauffage, dont 84 % déclarent rencontrer des difficultés à payer leurs factures, sur l’hiver 2022-2023. D’autres hausses du tarif sont de surcroît attendues, dans le courant de l’été, puis en 2025, pour venir à bout dudit bouclier tarifaire.

Révélateur des limites du marché

« Permettez-moi de rappeler au passage que si les prix de l’électricité ont flambé, c’est parce que Vladimir Poutine, l’ami de madame Le Pen, a attaqué l’Ukraine et a fait flamber les prix de l’électricité et du gaz », s’est dédouané Bruno Le Maire avec aplomb sur TF1. L’année 2022 a surtout été marquée par la corrosion du parc nucléaire français, mettant, au total, la moitié des réacteurs à l’arrêt.

À cela s’ajoutent des sécheresses qui ont nettement diminué la production hydraulique. La France a ainsi été contrainte de produire davantage d’énergie fossile, plus coûteuse, mais aussi de demander de l’aide aux voisins, pour la première fois depuis quarante ans. Notamment à l’Allemagne, au Royaume-Uni et à l’Espagne, dépendants du gaz, dont le prix a été, en parallèle, multiplié par 20 en deux ans, à cause de la guerre en Ukraine. Le directeur des marchés chez RTE, Mathieu Pierzo, explique les dernières envolées de prix par « la combinaison de ces trois facteurs ».

Mais pour le secrétaire général adjoint de la FNME-CGT (Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT), Fabrice Coudour, « elles sont en fait révélatrices du dysfonctionnement du marché », mis en place sous la pression de Bruxelles dès les années 1990. Le prix de l’électricité est alors lié à celui du gaz, même si la France n’en utilise que 6 % dans sa production d’électricité, contre 69 % de nucléaire et 24 % d’énergies renouvelables.

Libéraliser à tout prix

Le constat est sans appel : la fin du monopole d’EDF et GDF n’a pas tenu ses promesses de baisse des tarifs pour les consommateurs. Entre 2007, date symbolique de l’ouverture à la concurrence pour l’ensemble des usagers, et 2021, le prix de l’électricité a augmenté de 69 %. « La libéralisation du secteur de l’énergie n’a réussi à produire que du désordre », soupire le député communiste de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, qui s’inquiète de voir le gouvernement mettre tous les moyens en œuvre pour favoriser encore aujourd’hui la concurrence entre les différents acteurs du marché de l’énergie.

Le parlementaire pointe notamment la limitation et la disparition progressive des tarifs réglementés de vente (TRV), fixés par les ministères de l’Énergie et de l’Économie, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), pour les contrats de gaz et d’électricité. « Depuis vingt ans, l’Europe s’efforce de créer un marché, quitte à le biberonner avec l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), et tous les artifices possibles pour mettre en place une concurrence, quitte à dévoyer le tarif régulé, et laisser les fournisseurs alternatifs régner sur le marché », s’offusque de son côté le secrétaire du CSE central d’EDF, Gwénaël Plagne.

Amender ne va rien régler

Dans la dernière ligne droite avant les élections du 9 juin et le renouvellement du Parlement européen, les eurodéputés ont approuvé, le 11 avril, une réforme du marché de l’électricité proposée par la Commission européenne en mars 2023. Les objectifs affichés : lutter contre la volatilité des prix, accélérer les investissements dans les énergies renouvelables et améliorer la flexibilité du système électrique.

Le texte encourage le recours à deux formes de contrats à long terme. D’abord, les Power Purchase Agreement (PPA), des accords de vente directe entre un client d’électricité et un producteur, d’une durée de cinq à vingt ans. Ensuite, les fameux contrats pour différence (CFD), prévoyant que si les cours de l’électricité tombent en dessous d’une fourchette définie, les États compensent la différence pour le producteur et que, à l’inverse, le producteur d’énergie reverse aux États les revenus supplémentaires engrangés, si les cours grimpent et passent au-dessus de ladite fourchette.

« Loin de permettre aux consommateurs de bénéficier de tarifs justes et stables, notamment concernant le tarif réglementé, ce projet prolonge et amplifie une exposition artificielle et inacceptable des factures des consommateurs aux prix sur les marchés internationaux », s’alarmaient les associations de consommateurs UFC-Que Choisir et la CLCV dans un communiqué début mars.

Le député Sébastien Jumel abonde : « La réforme du marché européen de l’énergie ne corrigera pas les déséquilibres », notant « l’absence de plafond pour les prix de gros, le refus d’une régulation du mécanisme de construction du prix de l’électricité ». De même, Gwénaël Plagne réclame un juste prix, grâce au rétablissement d’un véritable service public de l’énergie, faisant à nouveau d’EDF un Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) nationalisé. Pour ce faire, le secrétaire général adjoint de la FNME-CGT, Fabrice Coudour, soutient qu’il « faudrait avoir le courage politique de répondre aux besoins réels en énergie, plutôt qu’aux acteurs économiques ».

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/centrale-nucleaire/electricite-pourquoi-lunion-europeenne-ne-protege-pas-les-consommateurs

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