En Bretagne, un festival invite un groupe raciste et misogyne pour célébrer le Nouvel An celtique. (Mediapart – 15/10/24)

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K.K. Warslut, chanteur et guitariste de Deströyer 666, a deux crampons (« wolfsangel ») tatoués sur le ventre, un symbole médiéval repris notamment par des unités nazies pendant la Seconde Guerre mondiale puis par la principale organisation suprémaciste américaine, Aryan Nations. © Photo PP Rock Photo / Page Facebook de Deströyer 666

Le Samaïn Fest, qui se tient du 24 au 26 octobre près de Rennes afin de soutenir une école bretonne du réseau Diwan, programme en tête d’affiche Deströyer 666, une formation de metal australienne connue de longue date pour ses discours de haine.

ansDans la mythologie celtique irlandaise, Samain est la fête – aux origines de Halloween – qui célèbre le passage de la saison claire de l’été à celle, sombre, de l’hiver. C’est aussi le nom d’un festival qui se tient depuis 2011 à la fin du mois d’octobre à La Mézière (Ille-et-Vilaine) afin de soutenir financièrement une école associative en langue bretonne de la commune voisine de Guipel. L’établissement fait partie du réseau Diwan, réputé proche de la gauche régionaliste, qui dispense à ses élèves un enseignement par immersion.

« Le but du festival était de monter un événement qui nous corresponde tout en cassant les codes, les clichés liés à la culture bretonne. Un enfant breton ne naît pas en soufflant dans un biniou, en faisant des crêpes et en dansant la gavotte », expliquent sur leur site les organisateurs du Samaïn Fest. Seize groupes de musiques extrêmes sont au menu de la douzième édition, du 24 au 26 octobre, qui propose aussi une cérémonie druidique ou une initiation au breton. 

Deux groupes internationaux, vétérans de la scène black metal, se partagent la tête d’affiche : les Grecs de Rotting Christ – qui se sont récemment distingués pour leur participation à une compilation en soutien au camp de réfugié·es incendié de Moria sur l’île de Lesbos – et, surtout, les Australiens de Deströyer 666.

Délocalisée en Europe depuis 2001, cette dernière formation, poids lourd de la scène océanienne, est connue de longue date pour son idéologie suprémaciste et les prises de position racistes et misogynes de son leader Keith Bemrose, alias « K.K. Warslut », 52 ans. « On a vérifié avec notre tourneur [l’agence rennaise Garmonbozia – ndlr], on a eu des échos d’autres orgas de concerts qui ont programmé ce groupe, et on n’a eu aucun mauvais retour, assure à Mediapart Charles Castrec, président de l’association à la tête du Samaïn Fest. Le metal est un genre subversif. Beaucoup jouent sur la provocation. »

Dès ses premières productions, Deströyer 666 affichait la couleur : le livret de la cassette Six Songs with the Devil (une démo de 1994) contient trois svastikas stylisés tandis que l’album Unchain the Wolves (1997) est teinté de références suprémacistes. Le loup blanc figurant sur la pochette, qui se tient au-dessus de sa proie brune mutilée, représente selon les dires du chanteur « l’esprit de l’homme blanc » et la chanson « Australian and Anti-Christ » clame : « Je n’ai pas honte d’être blanc. »

« Pour Deströyer 666, être australien signifie intrinsèquement être blanc et avoir un héritage européen, analyse auprès de Mediapart Benjamin Hillier, chercheur en musicologie à l’université de Tasmanie et coauteur en 2020 d’un article documenté sur les idéologies d’extrême droite dans le black metal australien. Il y a une amère ironie dans cette vision : pour un groupe qui s’insurge contre la destruction chrétienne de la culture païenne européenne, il est inquiétant de les voir célébrer simultanément la destruction culturelle qui a été infligée au peuple autochtone des Aborigènes après l’invasion britannique. »

Rejet des musulmans et des femmes

Les opinions de Deströyer 666 transparaissent au-delà de son seul œuvre. En 2012, lors du festival Deathkult Open Air en Allemagne, K.K. Warslut, vêtu à cette occasion d’un tee-shirt du groupe néonazi Burzum, haranguait la foule en ces termes islamophobes, avant de mimer un salut hitlérien : « [Cette chanson] s’adresse à tous les immigrés musulmans qui envahissent, ​​qui sont invités à envahir notre putain de continent : va te faire foutre Allah ! […] Il y en a assez d’être antichrétiens, soyons antimusulmans pour une fois ! C’est notre putain de terre ! »

En 2016, après l’attentat djihadiste du 14 juillet à Nice, Deströyer 666 suggérait sournoisement au « peuple de France » de « déposer des bouquets de fleurs en gros tas et de brandir des pancartes sur lesquelles sont écrites des platitudes dénuées de sens sur la solidarité, l’amour et tout ça »« Peut-être que les femmes et les hommes efféminés pourraient être les premiers à mener cette double riposte », poursuivait la publication aux relents sexistes et homophobes postée sur la page Facebook du groupe (elle a été supprimée depuis).

Toujours en 2016, K.K. Warslut ouvrait son concert au festival Metal Magic, au Danemark, par une diatribe masculiniste, se disant « las » de ces Scandinaves descendant des Vikings et vivant désormais dans une « société matriarcale »« Vous êtes une bande de mauviettes. Vous me dégoûtez », déblatérait le guitariste.

En 2018, au cours d’un concert en Suède, le chanteur a traité de « connasses » les musiciennes féministes à l’origine du mouvement #KillTheKing, qui vise à pointer du doigt les violences de genre dans le milieu du metal : « Certaines femmes de ce pays ont un problème avec nous. Je sais ce qu’elles veulent : une bite bien dure ! » La misogynie crasse de Deströyer 666 est également présente dans ses disques : en 2002, déjà, la couverture de l’EP Of Wolves, Women & War mettait en scène un loup-garou sodomisant une femme nue ressemblant à l’artiste australienne Kylie Minogue.

« Je ne trouve pas ça intelligent, je ne suis pas forcément favorable à ce genre de provocations primaires, insiste Charles Castrec du Samaïn Fest. Mais ça fait partie des codes de certains dans le metal. Et ce n’est pas pour autant que ça en fait des extrémistes radicaux. »

Plusieurs concerts annulés

Selon Benjamin Hillier, « la musique de Deströyer 666 contribue à normaliser une vision raciste et suprémaciste blanche au sein du metal, et le fait de leur offrir une plateforme pour produire ce genre de discours doit pouvoir être questionné ». Le chercheur australien explique que « la scène metal est en général très réticente à s’interroger sur la dimension politique de la musique. Pour beaucoup de fans, c’est un truc propre au punk rock. C’est bien sûr ignorer le fait que tout art est politique ».

Musique crue et agressive aux atmosphères sombres, le black metal n’est pas exempt de toute dérive : l’un de ses sous-genres, le NSBM (black metal national-socialiste), se caractérise notamment par son affiliation à des idéologies antisémites, aryennes, païennes ou suprémacistes.

Deströyer 666 était jusqu’à peu sous contrat avec le label français Season of Mist. Basée à Marseille, cette entreprise de renommée internationale produit aussi le groupe ukrainien Drudkh, lié à la scène NSBM, et distribue sur son site marchand les artistes des maisons de disques néonazies World Terror Committee ou Werewolf Records ainsi qu’une centaine de produits dérivés de Burzum, le projet musical de l’extrémiste norvégien Varg Vikernes, condamné en 1994 dans son pays pour meurtre et incendies d’églises puis en 2014, en France, pour provocation à la haine raciale et apologie de crimes de guerre. Sollicité, le patron de Season of Mist, Michael Berberian, n’a pas souhaité s’exprimer sur ces sujets.

Au cours des dernières années, une dizaine de dates de Deströyer 666 ont été annulées après que leur idéologie raciste et sexiste a été mise en lumière : un concert à San Francisco (États-Unis) en 2018 ; une tournée en Australie et en Nouvelle-Zélande, en 2019, qui aurait dû avoir lieu quelques semaines après les attaques terroristes d’extrême droite visant deux mosquées de Christchurch ; ou encore trois représentations en Espagne, en 2023.

Parallèlement, la formation australienne n’hésite pas à se produire aux côtés de groupes ostensiblement néonazis. En mai 2022, elle était l’une des têtes d’affiche du Steelfest Open Air, en Finlande, avec au programme une ribambelle de groupes de NSBM, tels les Français de Seigneur Voland et Osculum Infame, les Polonais de Graveland et Infernal War, ou encore les Finlandais de Satanic Warmaster, Horna et White Death. 

Le Samaïn Fest, lui, ne craint pas que la présence de Deströyer 666 à l’affiche puisse attirer des militant·es d’extrême droite. « On prévoit un système d’affichage et on a un service de sécurité qui sera vigilant là-dessus : si des gens ont un comportement nauséabond, ils seront renvoyés sur-le-champ », annonce Charles Castrec. Quid des propos des musiciens sur scène ? « Ça vaut pour le public comme pour les groupes. On sait que c’est quelque chose qui n’arrivera pas parce qu’on aura pris les devants. »

Par Donatien Huet

Source : https://www.mediapart.fr/journal/france/151024/en-bretagne-un-festival-invite-un-groupe-raciste-et-misogyne-pour-celebrer-le-nouvel-celtique

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