
À l’appel du collectif Lever les voiles et des Soulèvements de la Terre, des dizaines de bateaux se sont élancés au large du Finistère pour une manifestation en mer. Sa cible : le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré.
Par Vincent LUCCHESE et Jean-Marie HEIDINGER (photographies).
Baie de la Forêt (Finistère), reportage
Oriflammes écolos, banderoles queers et arc-en-ciel, drapeaux internationalistes, kanaks, zapatistes et palestiniens, voiles rouges et antifascistes. Une cinquantaine de voiliers ont croisé dans la baie de la Forêt le matin du 24 mai, entre Fouesnant et Concarneau (Finistère). Le tableau qui a émergé de la brume était une allégorie du combat mené par la flottille militante : multitude bariolée contre peste brune.
« C’est l’humanité riche de sa diversité qui bouillonne dans nos voiles ! » a lancé Olga, du collectif local Lever les voiles, à l’origine du rassemblement. « Celle qui se dresse contre la barbarie et contre Bolloré qui s’attaque à toutes les minorités ! »

Le milliardaire réactionnaire breton, Vincent Bolloré, est le point d’ancrage de la mobilisation. Il détient (en bail emphytéotique) l’île du Loc’h, la plus grande de l’archipel des Glénan, au large de Concarneau. En juillet 2024, le média La lettre révélait que Bolloré employait, pour garder son île, le militant néonazi Marc de Cacqueray-Valménier, parmi d’autres membres de la société de surveillance Checkport, elle-même liée au Groupe Union Défense (GUD), groupuscule néofasciste dissous en juin 2024.
Leader ultraviolent et antisémite du GUD, arborant des tatouages nazis, Marc de Cacqueray-Valménier a été condamné plusieurs fois pour violences. La dernière, en janvier 2025, pour avoir tabassé des militants de SOS Racisme lors d’un meeting d’Éric Zemmour, en 2021. L’appel de cette condamnation est en cours.

Toujours selon La Lettre, ces états de service n’auraient pas empêché Vincent Bolloré de confirmer le militant néonazi dans ses fonctions, après avoir échangé directement avec lui en octobre dernier. Un bras d’honneur de trop pour les militants, surtout lorsque l’on sait que l’île du Loc’h fut le cœur de l’école de voile fondée après-guerre par des résistants à l’occupant nazi, pour accueillir d’anciens déportés.
« Bretagne solidaire, ouverte et pour une internationale antifasciste »
D’abord prévue en octobre 2024 avant d’être reportée pour mauvais temps, la manifestation navale ambitionnait d’accoster sur une plage publique de l’île du Loc’h. Pour porter le message d’une « Bretagne solidaire, ouverte et pour une internationale antifasciste ».

Le 24 mai, la préfecture a finalement interdit le rassemblement au large de l’archipel. Craignant la répression juridique et les violences — policières et néonazies — les organisateurs ont redirigé leur armada dans la baie de la Forêt, avant de débarquer le midi sur la plage de Cap-Coz, à proximité d’une des résidences secondaires de Vincent Bolloré.
Sur les 150 navires inscrits, moins de la moitié était finalement au rendez-vous. Qu’importe, lorsque les voiliers ont mouillé en face de la plage, leurs occupants furent chaleureusement accueillis à terre. Quelques dizaines de camarades étaient venus à leur rencontre depuis le village militant monté à Guiscriff, à 40 km de là, et qui a revendiqué 1 000 participants à ses évènements antifascistes.

Les danses carnavalesques et les chants se sont enchaînés sur la rive, avec en point d’orgue un rituel d’exorcisme mené contre « le monstre du Loc’h », figure bolloréenne en carton pâte. « La joie et l’humour doivent être nos armes. Avec l’interdiction de la préfecture, on a voulu éviter le bras de fer dans lequel on tente de nous enfermer », justifie Olga.
« L’extrême droite, on ne veut pas de ça chez nous »
« On est venus de Lorient par curiosité, pour le côté festif et l’originalité de l’action », abonde Marie, qui a symboliquement fini le trajet en kayak avec ses deux amis. D’autres néomilitants locaux, habitants de Concarneau, étaient présents pour montrer un autre visage de la Bretagne et pour protester contre « la bollosphère ». « L’île du Loc’h, on connaît. Historiquement, ce n’est pas l’extrême droite, on ne veut pas de ça chez nous », dit Manon.

Des militants plus aguerris sont aussi de la fête. Julien Le Guet, de Bassines non merci, joue de la flûte sous le crachin, non loin de drapeaux d’Extinction Rebellion, de la France insoumise, de Greenpeace et des Soulèvements de la Terre. Ces derniers ont apporté leur soutien logistique à l’action de Lever les voiles, qui est naturellement venue s’inscrire au sein de leur campagne Désarmer Bolloré.
Le groupe Bolloré, qui a fait fortune en Afrique où il est accusé de bafouer les droits humains élémentaires, est aussi devenu un empire médiatique qui menace la liberté de la presse et diffuse une propagande d’extrême droite, climatosceptique et antiféministe, entre autres.

Humaine voilée d’une tête de poulpe, Andrea explique sur la plage y voir presque une aubaine pour plaider la convergence des luttes. « Le projet de Bolloré est patriarcal, sexiste, transphobe, raciste, colonialiste, anti-écologiste et fasciste. Nous représentons tout ce dont il a peur », dit-elle. En guise d’approbation, une autre créature hybride gigote fièrement ses tentacules.
Débarquement féministe chez Bolloré
Les poulpes font partie de la flottille féministe, faite d’équipes en mixité choisie des Soulèvements de la Terre. La veille, celle-ci a bravé l’interdiction préfectorale et a débarqué sur la plage de l’île du Loc’h, le temps de prendre quelques clichés, banderoles au vent : « Wokes déterminé⋅es à couler Bolloré ».
Une petite victoire annoncée sous les acclamations de la foule. Beaucoup restent tout de même frustrés de ne pas avoir pu aller collectivement jusqu’à l’île du milliardaire. L’action du jour a tout de même le mérite d’avoir attiré plusieurs médias nationaux, contribuant sur un air festif à mener la lutte sur le terrain médiatique. Pas sûr, toutefois, que les slogans « À bas l’empire Bolloré ! » chantés sur la plage fassent beaucoup trembler les oreilles du patriarche.

« C’est aussi une manière de mobiliser localement, par le bas », dit Élodie, membre de Lever les voiles. « Beaucoup de monde a au moins un proche qui travaille pour Bolloré ici, il jouit d’une aura de bon patron. On veut lever le voile sur la nature de ses activités et envoyer le signal qu’on ne le laissera pas tranquille », assure-t-elle.
Après une petite heure d’actions symboliques et de prises de parole sur le sable, la petite armada a repris la mer. Certains équipages ont rejoint le village militant et participé à la manifestation organisée le lendemain à Lestonan, à côté de l’usine Blue Solutions, filiale du groupe Bolloré.
Avant de se disperser, les navires longent les côtes de la baie pour un baroud d’honneur sous les fenêtres du milliardaire, déployant une dernière fois leur mot d’ordre, « Submergons Bolloré ». Sur un drapeau, un message flotte à destination d’un autre milliardaire, lui aussi catholique ultraconservateur et financeur de l’extrême droite : « Stérin, t’es l’prochain ».
Notre reportage en images :









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