
Par Carole TYMEN avec la correspondante locale de OF
Un récent décret autorise certaines communes considérées en « zone tendue » à majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Six communes de la presqu’île de Crozon et deux du pays de Châteaulin sont concernées. Si tout le monde se réjouit de cette possibilité, les prises de position semblent bien plus délicates à adopter.
Un décret publié samedi 26 août 2023 autorise certaines communes, où existe « un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés d’accès au logement », à majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, jusqu’à 60 %, à compter de l’année 2024.
Parmi les 45 communes du Finistère concernées, il y a six des sept communes de la presqu’île de Crozon (Argol, Camaret-sur-Mer, Crozon, Landévennec, Telgruc-sur-Mer et Roscanvel) et deux communes du pays de Châteaulin (Saint-Nic et Trégarvan).
Si tout le monde salue la possibilité qui est ainsi donnée aux collectivités locales de lever des recettes supplémentaires qui serviront à financer des projets d’habitat à l’année, les points de vue divergent sur la majoration à appliquer.
L’enjeu du maintien des services publics
Le maire de Crozon, Patrick Berthelot, est très à l’aise avec le sujet. C’est une décision qu’il attendait depuis plusieurs mois. « Les dotations de l’État compensées à l’euro près, après la suppression de la taxe d’habitation sur les logements principaux, se font sur la base des chiffres de 2017, rappelle le maire. Elles ne tiennent pas compte de l’évolution du coût de la vie que l’on connaît aujourd’hui. Sans recettes supplémentaires, impossible de soutenir des programmes de logement abordable à l’année ou de maintenir certains services publics. Or, les résidences secondaires bénéficient de tous ces services. »
50 € par mois
Pour le maire, faire contribuer un peu plus les propriétaires de résidences secondaires, « c’est éviter de toucher à la taxe foncière » et de mettre encore un peu plus la pression sur les gens qui vivent là à l’année. Patrick Berthelot est ainsi favorable à une majoration maximale, de 60 %. Ce qui pourrait se traduire par une hausse d’environ 500 € pour une année, selon ses calculs.
Mais le maire de la plus grosse commune de la presqu’île, qui compte 7 277 logements (1), dont 43,6 % de résidences secondaires et 5,5 % de logements vacants, se veut rassurant. « Ça fait 50 € en plus par mois. Pour ceux qui louent leur logement, c’est grosso modo 10 € de plus la semaine. » Comme à Camaret-sur-Mer (2 460 logements, dont 41,1 % de résidences secondaires), l’offre de locations saisonnières dans des intérieurs spécialement pensés et refaits pour des voyageurs d’aujourd’hui y est vertigineuse.
« Le marché incite à cela »
À Crozon, les deux groupes d’opposition de gauche ne jettent cependant pas la pierre à ces propriétaires et renvoient aux plus hautes sphères de l’État. « Il y a ceux qui connaissent les rouages des montages financiers et qui sauront toujours les éviter. Il y a aussi les gens qui savent qu’ils auront des petites retraites, détaille Pascal Durand. Acheter et louer en saisonnier, c’est un investissement qui sécurise leur avenir. Le marché et les banques incitent à cela. » Et Gaëlle Vigouroux de souligner : « La responsabilité est bien collective. »
Famille, je vous aime
Dans les plus petites communes concernées, comme Landévennec (352 logements, dont 50,3 % de résidences secondaires) ou Trégarvan (130 logements, dont 45,9 % de résidences secondaires), les profils des propriétaires sont bien différents.
Taxer fortement ceux qui ne font pas commerce de leur héritage familial est pour le maire de Landévennec, Roger Lars, « un pincement au cœur […] Les résidences secondaires de la commune sont souvent des maisons de famille auxquelles les membres sont très attachés, détaille l’élu. Les enfants sont partis d’ici pour trouver du travail ailleurs, où il y en a, mais ils reviennent dès que possible à l’occasion d’un long week-end. Ça participe à la vie à l’année. »
Même constat dans la plus petite commune du Finistère, Trégarvan. Inspiré par la démarche de son homologue et voisine de Saint-Nic (1 077 logements, dont 60,3 % de résidences secondaires et 3,2 % de logements vacants), le maire, Rémi Carpentier, envisage de prendre rendez-vous avec l’antenne châteaulinoise des finances publiques avant de soumettre un taux à son conseil. « On a besoin d’être éclairés sur cette possibilité fiscale, d’autant que nous sommes les deux seules communes du pays de Châteaulin à être concernées. »
Logements vacants, l’espoir
L’espoir de rendre plus de logements « abordables » aux jeunes actifs viendrait, pour plusieurs élus, de la possible taxation des logements vacants. Et ce, même si leur nombre est faible et la réalité de la vacance facilement contestable.
« La majoration sur les résidences secondaires ne fera pas bouger les choses, assure Roger Lars. Sur le logement vacant, oui. C’est un levier extrêmement important qui permettrait de remettre sur le marché des logements. On rêve tous, en tant que maire, d’accueillir des jeunes ménages avec des enfants. »
« Expliquer à quoi servira cet argent »
« Nous ne sommes pas contre l’augmentation de la taxe d’habitation, explique ce couple d’Allemands retraités, propriétaires d’une maison (déclarée aux impôts comme secondaire) à Crozon, depuis 27 ans. Nous sommes prêts à payer si la commune en a besoin. Mais elle doit expliquer à quoi servira cet argent. »
Lanvéoc, la grande déçue
Avec 17,5 % de résidences secondaires et 9,8 % de logements vacants sur ses 1 134 logements, la commune de Lanvéoc ne rentre pas dans les critères « zone tendue ». C’est la seule commune de la presqu’île de Crozon dans ce cas.
« On est un peu déçus car on est quand même en tension, confie la maire, Christine Lastennet. Cette possibilité de majoration, c’est une manne qu’on n’aura pas. Mais on positive et on reste extrêmement vigilants sur les choix d’urbanisme à mener. »
Elle aussi croit beaucoup à la taxation des logements vacants. « Je ne suis pas anti résidences secondaires, leurs occupants participent à la vie de la commune plusieurs mois de l’année. Par contre, on a un vrai déficit d’offres pour les jeunes à l’année et des propriétaires qui préfèrent se tourner vers de la location saisonnière, plus rentable et moins risquée. Mais derrière, pour nous, c’est l’avenir de nos écoles et infrastructures. »
« Aucune décision n’a été prise »
Après la rencontre avec un cabinet spécialisé qui a expliqué les enjeux de la majoration aux élus, il y a quelques jours, les six maires de la presqu’île (ou leurs représentants) concernés se sont réunis jeudi 7 septembre 2023, à Crozon.
L’enjeu était de tendre à une harmonisation des taux à appliquer. Un moyen de montrer l’unité et la prise de conscience forte de tout un territoire face à un sujet aussi important que celui du logement à l’année. Pas facile visiblement. « Aucune décision n’a été prise et chaque commune va échanger maintenant avec ses élus », commente lapidairement le maire de Camaret-sur-Mer, Joseph Le Mérour, à la sortie de la réunion.
Les autres élus, bien plus frileux à se prononcer sur l’orientation à prendre, attendent de voir. Sauf que les conseils municipaux des communes concernées ont jusqu’au 1er octobre 2023 pour délibérer et fixer le taux à appliquer. Trois semaines qui s’annoncent riches en réflexions et discussions.
(1) Chiffres Insee pour l’année 2020.
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