En studio avec Sendo, voix d’une écologie «stylée» et populaire (reporterre-26/07/25)

Sendo, le 30 juin 2025, à Paris. – © NnoMan Cadoret / Reporterre

Sendo, slammeur de Seine-Saint-Denis, veut démocratiser l’écologie, sans l’édulcorer. Nous l’avons suivi pour une session d’enregistrement en studio.

Par Alexandre REZA-KOBAKI & NnoMan CADORET (photographies)

Paris, reportage

9 h 47

Les rues du XXe arrondissement de Paris s’habillent déjà en fournaise en ce début d’été caniculaire. Le bitume ramollit, les feux rouges rôtissent les rétines, les pigeons claudiquent en slow-motion : plus personne n’a le courage de battre des ailes.

C’est dans cette canopée urbaine en surchauffe que le slammeur écolo Sendo — « L’arbre qui pousse », sur les réseaux sociaux — nous a filé rencard au… Magma Studio. Un rendez-vous au cœur du feu, avec un artiste qui mêle poésie et engagement à haute température.

Dans la moiteur du bus 96, on se repasse ses sons, encore méconnus — quelques milliers d’écoutes tout au plus sur Spotify — qui racontent parfois sa vie, l’amour, mais surtout les failles d’un monde de plus en plus incandescent : inégalités, urgence climatique, effondrement du vivant.

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À 28 ans, le slammeur originaire de Villepinte (Seine-Saint-Denis) écrit au bord du gouffre. Sa musique dégage une chaleur douce comme une infusion miellée avant le sommeil, avec des paroles qui rassemblent sans lisser. Une écologie qu’il nous expliquera vouloir « rendre stylée » et, surtout, pas hors-sol.

10 h 08

Arrivée au studio, changement d’ambiance : les sueurs du dehors tranchent avec l’ébullition créative du dedans. On débarque dans une sorte de vaisseau interstellaire climatisé, avec sa salle de pilotage truffée de commandes et sa chambre magmatique : une cabine insonorisée où les MCs balancent leurs flows comme des nuées ardentes.

Le capitaine ici, c’est Somath, casquette et tee-shirt noirs sur short gris, fine chaîne dorée, chaussettes hautes à virgule sur chaussures à virgule. Ingénieur du son, artisan de l’ombre, c’est lui qui enregistre, nettoie, équilibre, magnifie les voix.

Somath, Carlos et Sendo lors de leur session d’enregistrement. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Dans le Magma débarque Sendo, le slammeur enraciné dans le bitume et les luttes sociales et écologistes des quartiers populaires. Boule à zéro, lunettes à monture marron, léger cheveu sur la langue qui fait siffler ses « s » comme du sable chauffé à blanc. Tout de noir vêtu malgré la chaleur. À ses côtés : François-Henri, son manager stratège, et Carlos, photographe-caméraman, frère d’armes rencontré à l’internat du lycée.

10 h 17

Somath enclenche l’instru. Planante, au tempo lent, comme en apesanteur. Sendo hoche la tête en rythme, assis au bord de la console, le dos légèrement voûté.

« Le morceau s’appelle “Rat des champs”, en référence à la fable de Jean de La Fontaine, présente-t-il. C’est une éloge du slow, d’une forme de tranquillité, en opposition à un monde qui refuse de ralentir. »

10 h 24

L’artiste entre dans la cabine, referme soigneusement la porte. Met son casque, dont es mousses épousent ses tempes. Ajuste le micro. Moment suspendu. À quoi pense-t-il, là, les yeux baissés ?

Peut-être à cette chambre d’enfant à Villepinte, où son grand frère rappait depuis leur lit superposé. Les morceaux débordaient de mots crus, trop durs alors pour ses jeunes oreilles. Mais ils disaient, comprendrait-il plus tard, la violence sociale, la rage de ceux qu’on relègue dans des environnements où l’air est plus vicié qu’ailleurs. C’est grâce à ce frère qu’il s’est découvert une passion précoce pour l’écriture et la danse. À 8 ans, il griffonnait ses premiers poèmes. Au collège, il freestylait en récré.

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Peut-être pense-t-il à sa sœur, fauchée par un cancer au début de la trentaine. Une blessure qu’il relie aux effondrements en cours. « Avec toutes les substances qui traînent jusque dans notre alimentation, avec l’empoisonnement du monde… pas besoin d’un +4 °C pour que certains tombent. Ma sœur est probablement une « effondrée » », glissera-t-il plus tard, autour d’un plat indien (il est végétarien). Pas victime d’un effondrement plus ou moins lointain, mais de celui qu’on vit déjà : un monde où l’air est nocif, les aliments pollués, les corps abîmés en silence.

« Défendre la nature depuis la ville, à travers l’art »

Peut-être aussi à cette forêt amazonienne du Pérou, qu’il a traversée, tout jeune adulte, pour assister une équipe de chercheurs — sa famille avait économisé pour lui offrir cette expérience. Il y a découvert les logiques de destruction à grande échelle, la fragilité du vivant. « J’ai compris que je ne serai pas chercheur, dit-il. Mais défendre la nature, oui. Depuis la ville. À travers l’art. » Le micro à la place du microscope.

Dans ses oreilles, la voix grave de Somath : « C’est parti, Sendo. »

10 h 57

«  Derrière j’entends l’bruit des chênes,
La Soufrière, l’enfer qui se déchaîne
Vert feuille, rouge feu
J’me cache pour jouer où j’peux
J’vois l’océan en marche comme ma mère qui déferle
Énervée, par le bruit qu’j’fais la nuit des fois
J’connais mieux l’Pokédex
Que l’vrai son des espèces »

Il cherche le ton juste. Une fois, deux fois.

« J’ai buggé un peu. On peut la refaire ? » dit-il sans pression. Il sait qu’il est entouré. De l’autre côté de la vitre, François-Henri écoute, affine, encourage : « Celle d’avant était mieux sur la fin. Mais le début ici est plus propre. Tu y es presque. »

«  C’est comme si tu arrivais avec un croquis, et qu’il se révélait enfin en peinture  », image Sendo pour résumer le sentiment qui le traverse en studio. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Carlos, en retrait, filme sans bruit. Parfois, il pose l’appareil et s’ambiance. Il ressent une forme de fierté à être là. Avec Sendo. C’est ensemble qu’ils montent Re-Room, une garde-robe mutualisée où les artistes pourront emprunter des vêtements pour leurs clips, concerts ou apparitions publiques, sans avoir à acheter du neuf.

« Il croit en ses idées, fédère sans forcer, dit Carlos. Ce qui m’impressionne avec lui, c’est que tout est toujours articulé avec une mission. » Comme Bœuf sans viande, ces soirées bimensuelles où il mêle jazz, slam et cuisine végétarienne. « Il crée des espaces où les gens viennent pour le style… et repartent avec autre chose. »

11 h 22

Au moment du refrain, François-Henri et Somath l’encouragent à explorer une autre nuance. « Fais-le un peu plus chanté », propose le premier. « Comme un chanteur de R’n’B », précise le second. Sendo s’exécute. Sa voix s’adoucit, se courbe, épouse l’instru. Un timbre plus aigu, comme une caresse. Ça fonctionne. Le studio est en orbite.

11 h 42

Fin de l’enregistrement. Dans la cabine, Sendo enlève son casque. Inspire. Sourit. Il aime ce moment : quand le morceau est forgé. Quand il n’y a plus rien à rajouter. « C’est comme si tu arrivais avec un croquis, et qu’il se révélait enfin en peinture  », dit-il, un peu essoufflé. Sur les enceintes, la voix tourne encore. Somath peaufine.

«  Être artiste requiert du temps, de la patience.  » © NnoMan Cadoret / Reporterre

Sendo, lui, pense à l’après. Sa réussite, il la rêve ailleurs que dans les chiffres : dans les imaginaires. « Si des gens de Villepinte, ou d’ailleurs, finissent par se dire : “Grâce à cette chanson, je me sens un peu plus concerné”, alors on avance. »

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Ce qu’il veut, c’est être un pont. Entre ceux qui luttent et ceux qui ne se sentent pas légitimes. Le mot qui revient, chez lui, c’est « transition ». Pas au sens technocratique. Plutôt comme un passage entre mondes, d’une écologie encore trop blanche, portée par des privilégiés, et pas assez dans le soin des plus démunis. Il se méfie des bulles qui ne réunissent que des convaincus. Veut amplifier l’écologie dans d’autres récits : ceux des quartiers populaires, de la mode, du hip-hop, de la débrouille. Avec son stylo, ses potes, et la certitude que ce rat des champs — son alter ego poétique — peut encore changer la donne.

11 h 54

La session touche à sa fin. Sendo tente d’esquiver la question de sa propre réussite matérielle. « Anticapitaliste mais j’dirais pas non à du khalis [du fric] », glisse-t-il pourtant, dans un autre morceau. Il vit chichement. Dort parfois chez sa mère, parfois chez l’une de ses sœurs. Il lui arrive de ne manger qu’un repas par jour.

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Il s’en accommode. « Être artiste requiert du temps, de la patience », veut-il croire. Pas de job « alimentaire », pas de compromis. Pas par posture : par cohérence. Il a foi en ses projets. Un peu comme son père, resté droit dans ses bottes au Congo-Brazzaville : agriculture naturelle, refus de la corruption, au prix d’une stabilité financière qui a souvent flanché. « Je me dis qu’il y a une fierté à rester aligné. Même quand c’est dur. »

On remet la tête dehors, et on regrette immédiatement la fraîcheur du Magma. Le thermomètre a encore grimpé. « C’est un temps qui va encore faire des « effondrés », notamment chez les classes populaires, soupire-t-il. Il faut vraiment que notre récit soit gagnant, et le plus vite possible. » Poser des mots qui changent la donne, dans un monde déjà en éruption.

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Source: https://reporterre.net/En-studio-avec-Sendo-voix-d-une-ecologie-stylee-et-populaire

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