
Ministres, députés et figures de la droite et du camp présidentiel ont multiplié ces dernières semaines les contre-vérités pour conjurer le spectre de hausses d’impôts pour les grandes fortunes et faire avaler aux Français les couleuvres austéritaires du projet de loi de finances 2025. Tour d’horizon de leurs arguments fallacieux.
Par Gaël De SANTIS, Pierric MARISSAL, Pauline ACHARD, Cyprien BOGANDA, & Aurélien SOUCHEYRE.
Les députés examinent depuis lundi 21 octobre au soir le projet de budget pour 2025. De l’issue de ce débat dépendra le financement de l’action de l’État, le fonctionnement des services publics et les politiques sociales pour toute une année.
Sauf qu’au lieu de mener sereinement ce débat crucial, la coalition de droite au pouvoir multiplie les outrances, qualifiant de « carnaval » et de « boucherie fiscale » le projet de la gauche. Un comportement qui méritait bien une désintox, en sept points.
Michel Barnier : « La véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale qui, si l’on n’y prend garde, placera notre pays au bord du précipice. »
L’hystérisation des débats autour de la dette publique est un grand classique. Depuis la fin du deuxième trimestre 2024, cette dernière s’élève à 3 228,4 milliards d’euros, soit 112 % du PIB. Il n’est pas question de nier cette réalité, mais plutôt de se garder de toute dramatisation facile. Si la dette publique a fortement augmenté depuis le Covid, elle reste (pour l’instant) parfaitement soutenable, et l’État français n’a aucun problème à se financer sur les marchés financiers, le tout à des taux d’intérêt faibles, compris entre 2,4 % et 2,6 %.
Mais la véritable question, qu’évite d’aborder le gouvernement, se situe bien là : les intérêts de la dette publique approchent les 50 milliards d’euros en 2024. Soit le troisième poste de dépenses de l’État, derrière les aides aux entreprises et le ministère de l’Éducation nationale !
Il y a donc urgence à sortir la dette des marchés financiers : jusque dans les années 1970, l’État se finançait grâce au « circuit du Trésor » : les grandes banques françaises – pour la plupart nationalisées au sortir de la Seconde Guerre mondiale – étaient obligées d’acheter une certaine quantité de bons du Trésor français (au moins 30 % de leurs actifs en 1948).
À cette époque, l’État levait de la dette sans dépendre de la bonne volonté des marchés financiers… et sans craindre une remontée des taux. Ce qui pourrait très bien se faire désormais avec la Banque centrale européenne, pour économiser des dizaines de milliards chaque année.
Gérald Darmanin : « Recréer un impôt sur la fortune, c’est risquer de voir les riches quitter la France. »
Voilà plus de vingt ans que l’argument est ressassé, et que toutes les études démontrent la même chose : c’est faux. Dans son mémoire « Les hauts patrimoines fuient-ils l’ISF ? Une estimation sur la période 1995-2006 », l’économiste Gabriel Zucman opposait déjà des résultats chiffrés à « l’idée que l’exode fiscal serait un phénomène massif ». Et en 2019, un rapport sénatorial a confirmé que rien ne permettait « de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre l’ISF et l’exil fiscal ».
Il y a bien quelques centaines de départs chaque année de riches contribuables français, à hauteur de 0,2 % d’entre eux, mais la suppression de l’ISF n’y a pas mis fin. Le Conseil des prélèvements obligatoires relève à ce titre que « les sondages des réseaux consulaires montrent que ce sont les opportunités professionnelles qui poussent le plus souvent les Français à partir », et non les considérations fiscales. L’ISF ne fait donc pas fuir les riches français. Le supprimer hier, et refuser son retour aujourd’hui, ne sert donc qu’à leur faire un cadeau, en plus de priver les caisses de l’État de plusieurs milliards d’euros chaque année.
Gabriel Attal : « Le budget intègre trop d’impôts, avec le risque de déstabiliser la classe moyenne qui travaille. »
Ah ça, l’ancien premier ministre Gabriel Attal ne veut pas entendre parler d’une hausse des impôts. À l’entendre, les Français de la classe moyenne en seraient les grands perdants. On se demande bien comment. Car, quand le chef de file des députés macronistes lance cette offensive, il vise en réalité non pas le projet de la gauche, mais celui de Michel Barnier.
Or, l’actuel premier ministre souhaite augmenter les impôts sur le revenu des 0,3 % des ménages les plus riches. Seules les personnes dont les revenus annuels dépassent les 250 000 euros (500 000 euros pour un couple) seront concernées par cette hausse. Vous avez dit classe moyenne ? 24 300 personnes sont visées par cette mesure. On ne savait pas que, pour Gabriel Attal, la classe moyenne se compose des 24 300 personnes qui gagnent plus de 250 000 euros par an.
Refuser mordicus toute hausse de l’impôt pour les plus riches au motif que cette action serait confiscatoire et viendrait mettre une majorité de Français dans la difficulté revient à les prendre pour des idiots. Et prouve que Gabriel Attal ne craint pas d’apparaître comme tel.
Bruno Le Maire : « Notre modèle social, c’est ce qui risque de faire déraper réellement nos comptes publics dans les années à venir. »
L’argument est usé jusqu’à la corde : l’explosion du déficit et de la dette publique serait due à la générosité de notre modèle social. Cette démonstration ne résiste pas à l’analyse. Le niveau des prestations de protection sociale est resté stable depuis 2017, entre 31 et 32 % du PIB, à l’exception de l’année 2020 où il a grimpé à 35 % sous l’effet de la crise sanitaire.
En revanche, c’est bien la politique macroniste qui a plombé les comptes publics. Et, pour le coup, ce ne sont pas seulement les oppositions qui le disent, mais aussi la Cour des comptes, qui rappelle que la période 2018-2023 a été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont le coût est estimé à 62 milliards d’euros rien que pour l’année 2023, soit 2,2 points de PIB. « Ces baisses de prélèvements, non compensées par des économies en dépenses, ont creusé le déficit de l’État et accru sa dette », constate la Cour.
Le « pari » macroniste de 2017 consistait à réduire les prélèvements sur les entreprises (baisse de l’impôt sur les sociétés, des impôts de production, etc.) et sur les plus riches (transformation de l’ISF et création d’une flat tax) et, dans une moindre mesure, sur les classes moyennes (suppression de la taxe d’habitation) pour doper la croissance.
Sauf que le ruissellement tant attendu n’est jamais venu. Au final, la France s’est endettée encore plus et, pire que cela, elle l’a fait sans amorcer de grande transformation écologique et sociale, mais uniquement pour satisfaire la voracité des actionnaires.
Gérald Darmanin : « Vendre seulement 10 % des participations de l’État dans des entreprises cotées rapporterait autant, voire plus que la hausse de l’impôt. (…) Que faisons-nous encore dans Orange, Stellantis, la FDJ ? »
En bon Nordiste, Gérald Darmanin est un habitué des braderies. Mais pas question cette fois-ci de vendre le moulin à café de mère-grand. Avec Mathieu Lefèvre et Olivia Grégoire, ses compères députés macronistes, il propose de se séparer d’un dixième des actions d’entreprises cotées que détient l’État. Les 18 milliards d’euros de recettes escomptées sont censés éviter une hausse d’impôt.
Les députés libéraux veulent donc préserver le patrimoine des plus riches en bradant le patrimoine public. Pas étonnant : leur bilan depuis 2017 est d’avoir fait passer la fortune des 500 foyers les plus aisés de 577 à 1 000 milliards d’euros. Injuste socialement, la mesure est aussi inefficace : la vente des actions en 2025 serait court-termiste et n’aurait aucun effet sur les exercices fiscaux suivants.
En vendant en 2005 les autoroutes pour 15 milliards d’euros, le gouvernement de Villepin a privé l’État des 55 milliards d’euros de dividendes versés depuis aux actionnaires privés.
De plus, la « solution » des libéraux dégraderait encore la situation nette de l’État, à savoir le solde entre les actifs et les dettes de celui-ci, qui est dans le rouge en 2023 de 1 875 milliards d’euros… Gérald Darmanin propose donc encore et toujours d’enrichir les grandes entreprises.
Laurent Saint-Martin : « Tous les Français qui sont au tarif réglementé verront leur facture baisser de 9 %. »
Les prix de l’électricité vont-ils vraiment baisser ? La promesse est répétée par le gouvernement depuis des semaines. Mais, en réalité, les ménages, qui ont déjà vu leur facture d’électricité augmenter de 40 % en trois ans, seront les grands perdants de ce qui se profile.
L’État veut mettre la main sur plus de 6 milliards d’euros aux dépens du pouvoir d’achat des Français, encore fragilisé par l’inflation. Comment ? Bercy espère profiter de la chute des prix de gros pour augmenter la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), actuellement à 22,50 euros par mégawattheure. L’article 7 de la version initiale du budget entend la fixer à 25,09 euros par mégawattheure, puis permettre une modulation par arrêté comprise entre 5 et 25 euros supplémentaires.
Certes, ce niveau serait moindre que celui d’avant crise énergétique, établi à 32,44 euros par mégawattheure. Mais une baisse de 9 % de la facture ne serait absolument pas garantie et pourrait de plus être remise en cause par une proposition de la Commission de régulation de l’énergie. Le régulateur prévoit une hausse des tarifs de transport et de distribution de l’électricité de 10 % l’année prochaine.
Michel Barnier : « Nos impôts sont parmi les plus élevés du monde. »
Cette phrase du premier ministre n’est pas une intox ! C’est bien vrai : le taux de prélèvements publics et de cotisations était en 2017 en France de 45,3 % du PIB, soit l’un des plus important sur la planète. Mais ce qui constitue bel et bien une intox, c’est cette petite musique lancinante de la droite visant à faire croire que cette situation, stable depuis les années 1980, étoufferait le pays et constituerait un « enfer fiscal ».
Un « paradis fiscal » étant cet endroit où les multinationales et les milliardaires échappent à l’impôt, sans doute faudrait-il inverser les deux définitions. Car la France n’a rien d’un enfer : notre contrat social, reposant sur une contribution commune (normalement selon les besoins et en fonction des moyens de tous) et des cotisations, vise à financer notre protection sociale et nos services publics.
Aux États-Unis, accoucher coûte entre 15 000 et 50 000 dollars. Une seule séance de chimiothérapie peut coûter 10 000 dollars. Une année à l’université peut être facturée 100 000 dollars. En France, c’est gratuit, ou presque. Et c’est un choix de civilisation, plus proche du paradis que de l’enfer.
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