
Après Callac (Côtes-d’Armor), les actions attribuées à des groupes d’ultra-droite se multiplient en Bretagne. Qui sont-ils ? Que représentent-ils réellement ? Quels sont leurs objectifs ? Ouest-France a mené l’enquête.
C’est un phénomène nouveau dans une région réputée pour sa modération. Depuis le début de l’année, une série d’actions, parfois violentes, attribuées à des groupuscules d’ultra-droite défraient la chronique en Bretagne.
Vendredi 21 juillet 2023, lors de la cérémonie de commémoration à Plœuc-L’Hermitage (Côtes-d’Armor), sur le site de la Butte-Rouge, haut lieu de la Résistance profané une semaine plus tôt par des tags néonazis et antisémites, Stéphane Rouvé, le préfet des Côtes-d’Armor, s’est inquiété de ces actions. « Longtemps préservée des idées nauséabondes véhiculées par les nostalgiques du IIIe Reich, les racistes et les antisémites, la Bretagne n’est malheureusement plus épargnée », a constaté le représentant de l’État.
Manifestations violentes, tags néonazis, élus menacés…
Le monument de Plœuc-L’Hermitage est dédié à la mémoire de 55 résistants torturés et exécutés par les nazis en 1944. Sa profanation, dans la nuit du 14 au 15 juillet 2023, est intervenue deux semaines après qu’une vingtaine d’hommes cagoulés et armés a attaqué le festival pour une Bretagne solidaire, organisée par le Comité de vigilance antifasciste des Côtes-d’Armor (CVA 22), à Saint-Brieuc le 1er juillet. Ces violences ont été revendiquées par un site d’ultra-droite.
Auparavant, il y avait eu l’abandon du projet d’accueil de réfugiés à Callac sous la pression de l’extrême droite, qui avait donné lieu à des manifestations violentes avec l’ultragauche, des élus menacés et intimidés à Callac et Rostrenen (Côtes-d’Armor), des tags néonazis sur différents bâtiments à Rostrenen, Guingamp et Lannion, des tracts suprémacistes et antisémites distribués dans des boîtes aux lettres près de Guingamp.
Des militants de La France insoumise (LFI) agressés
L’affaire du centre d’accueil de migrants de Callac a, semble-t-il, décomplexé une mouvance politique qui faisait jusque-là plutôt profil bas en Bretagne. Les activistes d’ultra-droite revendiquant une idéologie identitaire et nationaliste, hostiles à l’immigration et soutenant la thèse complotiste du « grand remplacement », sont de plus en plus visibles. Dans les grandes villes comme dans les territoires ruraux.
« Pas de fasciste à Rennes » ou encore « fachos dehors » sont des exemples de quelques tags que l’on peut lire sur des façades de bâtiments de la capitale bretonne. Longtemps, Rennes (Ille-et-Vilaine) s’est félicitée d’être une « terra non grata » pour les mouvements d’extrême et d’ultra-droite.
Reste que Rennes n’est plus totalement une zone d’exclusion pour les militants d’ultra-droite. Lundi 5 juin 2023, cinq militants de la France insoumise (LFI) assuraient avoir été agressés, en pleine rue. Le député LFI Frédéric Mathieu pointait alors du doigt l’extrême droite. Trois mois auparavant, en mars 2023, c’étaient des étudiants de l’université de Rennes qui disaient avoir été violentés par des partisans de l’extrême droite. Dans les deux cas, des plaintes avaient été déposées.
Une présence affichée sur les réseaux sociaux
Le fait le plus marquant est sans doute la présence de plus en plus affichée, sur les réseaux sociaux, de groupes d’ultra-droite. Parmi ceux-ci, l’Oriflamme. Né en janvier 2023 de la « transformation de la section rennaise de l’Action française », l’Oriflamme affirme être « un mouvement indépendant dont la démarche vise avant tout à unir les patriotes sincères du pays rennais dans une optique communautaire ». Son fil X (ex Twitter) affiche quelque 2 400 abonnés.
Le groupe a notamment revendiqué « une action » à Saint-Senoux. Dans cette commune rurale d’Ille-et-Vilaine, située à une vingtaine de kilomètres au sud de Rennes, une vingtaine de personnes vêtues de noir et le visage dissimulé, ont tenté de s’opposer, le 13 mai 2023, à une lecture réalisée par des artistes drag-queens à la médiathèque, sans toutefois l’empêcher. La mairie a porté plainte. L’organisateur doit comparaître devant le tribunal correctionnel en septembre 2023, notamment pour « provocation publique à la haine ou la violence ».
La croix celtique en symbole de l’extrême droite
À Brest (Finistère), ville où elle a longtemps été absente du paysage, l’ultra-droite commence à pointer son nez. Et pas forcément sur la pointe des pieds. Des inscriptions ouvertement homophobes, visant nommément deux élus et un militant, ont été découvertes sur les murs du Parti socialiste, en juin 2023. Une plainte a été déposée, le PS dénonçant « les idées nauséabondes d’une poignée d’individus fascisants ». Plus récemment, ce sont les locaux du Parti communiste français et de la Maison du peuple qui ont été pris pour cible, à grand renfort de croix celtiques, symbole historique de l’extrême droite française.
À Lorient (Morbihan), l’ultra-droite a clairement affirmé sa présence dans l’espace public au cours des derniers mois. Entre autres manifestations, l’exhibition d’un drapeau tricolore orné d’une croix celtique lors d’un match de football. Ou encore des tracts distribués par La Cocarde, mouvement étudiant et lycéen classé à l’extrême droite, devant le lycée public Dupuy-de-Lôme, invitant à « stopper les délires LGBTQI + ».
« Depuis un an et demi, on alerte les élus »
En avril 2023, toujours devant le lycée Dupuy-de-Lôme, une poignée de militants de La Cocarde et du parti Reconquête avait déployé une banderole hostile à une intervention dans le cadre scolaire de l’association SOS Méditerranée d’aide aux migrants. Des tags d’extrême droite avaient aussi été découverts sur des bâtiments de l’Université Bretagne Sud au mois de mai.
« On l’avait senti, depuis un an et demi, on alerte les élus », déclare pour sa part Alain Le Dem. Le président de l’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme (LDH) y voit une volonté affichée du parti Reconquête, dirigé par Éric Zemmour, de « s’implanter dans le territoire. Peut-être pensent-ils que le fruit est mûr ? »
« Le plus préoccupant, c’est la montée des idées »
Pourtant, les actions menées ne rassemblent à chaque fois qu’une poignée de militants. « Toujours les mêmes cinq ou six personnes. Ils n’ont pas la capacité à mobiliser beaucoup de monde mais ils n’ont pas besoin d’être nombreux pour rendre audible ce qui ne l’était pas avant. En cela, ils gagnent du terrain dans le combat des idées, en reprenant notamment, de façon insidieuse, le vocabulaire révolutionnaire, voire de la sphère militante de gauche », s’alarme le président de la Ligue des droits de l’homme. Pour Alain Le Dem, « ce qui est le plus préoccupant dans notre territoire, ce n’est pas la percée des partis d’extrême droite, c’est la montée des idées d’extrême droite ».
Un groupe actif identifié dans le Trégor
Que sait-on de ces activistes qui, bien souvent, n’agissent pas à visage découvert ? Dans les Côtes-d’Armor, les services de renseignement ont identifié « un groupe actif dans le Trégor. Ils ne sont pas cinquante, mais ils sont mobiles ». Une mobilité confirmée par le Comité de vigilance antifasciste des Côtes-d’Armor (CVA 22) : « À Callac, ils venaient d’Angers, beaucoup, de Vendée, de Rennes… À Saint-Brieuc, le 1er juillet 2023, il y en avait de Vannes, même un de Crozon. On en a identifié qui étaient à Callac, mais aussi à Saint-Brévin. »
Selon un représentant syndical de la CGT, dont les locaux ont été tagués deux fois à Guingamp, début avril et fin juin 2023, « depuis l’abandon du projet Horizon à Callac, ils sont décomplexés ». Le CVA 22 approuve : « Selon eux, c’est la preuve qu’ils vont pouvoir influer sur la politique d’accueil des migrants. Ils ont déjà la Présidentielle de 2027 en ligne de mire. »
« Ces infractions fracturent notre modèle républicain »
Cette mouvance se montre très active sur les réseaux sociaux. Pour les enquêteurs, c’est une difficulté supplémentaire. Le procureur de la République de Saint-Brieuc, Nicolas Heitz, détaille, au sujet des investigations sur les intimidations d’élus : « La quasi-totalité des personnes qui ont commis ces faits sont passées par des sites d’anonymisation rendant leur identification très difficile. »
Le procureur insiste : « La lutte contre toute forme de radicalisation ou d’extrémisme violent, quelle qu’elle soit, est une priorité de politique pénale. […] Ces infractions fracturent notre modèle républicain. »
« Prospérer sur la colère »
Quelle traduction politique peuvent avoir ces agissements ? À gauche, on s’interroge sur la meilleure façon de riposter sans faire le jeu de l’extrême droite. À Rostrenen, en mai 2023, 400 personnes ont manifesté après que des tags néonazis ont été découverts sur les locaux du Secours populaire et du Parti communiste français, ainsi que sur ceux d’un restaurant kebab. « Ma première réaction a été la colère, indique Guillaume Robic, le maire divers gauche de la petite ville du Centre Bretagne. Ici, nous sommes sur une terre de maquis et beaucoup de résistants ont donné leur vie pour lutter contre cette idéologie. Le projet politique de l’extrême droite, c’est d’opposer les territoires les uns aux autres et de prospérer sur la colère. La réponse, c’est l’action de proximité en matière de logement et d’emploi, pas les grands discours. »
« Les idiots utiles du système »
À l’autre extrémité de l’éventail politique, le Rassemblement national prend également ses distances avec des actions qu’il juge sévèrement. « Ces activistes sont des groupes ultra-minoritaires, déclare Gilles Pennelle, chef de file du parti de Marine Le Pen en Bretagne. Ces tags sur le monument de Plœuc-L’Hermitage, c’est complètement dingue. Le Rassemblement national condamne toute action politique qui se manifeste par des violences, des outrances et des dégradations. Les gens qui font cela sont les idiots utiles du système. »
De son côté, Franck Chevrel, chargé de mission régional de Reconquête, « condamne avec la plus grande fermeté les tags néonazis, antisémites ou homophobes » et dénonce « l’amalgame » qui pourrait être fait avec le mouvement d’Éric Zemmour. « Reconquête n’est pas concerné par des attitudes violentes », affirme-t-il.
Le vote RN progresse en Bretagne
Y a-t-il des liens entre Reconquête et une organisation comme La Cocarde ? « Nous avons un membre de chez nous qui, effectivement, fait partie de La Cocarde », répond Franck Chevrel. Enfin, il « conteste vigoureusement » le qualificatif d’extrême droite accolé à son parti.
Restée en retrait du vote Zemmour (4,9 % des voix, contre 7 % au plan national), la Bretagne a enregistré une forte progression du vote RN aux dernières présidentielles. Marine Le Pen y est passée au premier tour de 15,3 à 19,5 % des voix entre 2017 et 2022. C’est principalement dans les secteurs ruraux du centre Bretagne que la candidate du RN a obtenu ses meilleurs résultats.
Par Olivier MÉLENNEC avec nos rédactions de Saint-Brieuc, Rennes, Lorient et Brest.
Source : ENQUÊTE. Comment la Bretagne est devenue une terre de mission pour l’ultra-droite (ouest-france.fr)
URL de cet article : ENQUÊTE. Comment la Bretagne est devenue une terre de mission pour l’ultra-droite. (OF.fr – 30/07/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)