ENQUÊTE. Y a-t-il trop de fonctionnaires en Bretagne et combien coûtent-ils aux collectivités ? (OF.fr-23/11/24)

Les quatre départements bretons et le conseil régional emploient le cinquième des agents territoriaux de la région pour un coût estimé entre 56 € (Région Bretagne) et 246 € par habitant (Département des Côtes-d’Armor). (photo d’illustration). | GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO/LACHEEV

Les quatre départements bretons et le conseil régional emploient le cinquième des agents territoriaux de la région pour un coût estimé entre 56 € (Région Bretagne) et 246 € par habitant (Département des Côtes-d’Armor). Sont-ils vraiment « à l’os » comme le plaident les cinq exécutifs ? En leur demandant de faire des économies, l’État est-il réellement « injuste » ? Ouest-France ouvre le dossier.

Par Laetitia JACQ-GALDEANO.

La Bretagne n’échappe pas à la singularité de la France, ce pays très administré. Avec un taux d’administration de 27 à 30 Équivalents temps plein (ETP) pour 1 000 habitants, la Région se situe dans la moyenne française (28 ETP).

En dix ans, sa fonction publique territoriale a augmenté de 9,7 % alors que la fonction publique d’État stagne (+ 1,7 %), selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Si les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont les premiers employeurs de la fonction publique territoriale, les quatre conseils départementaux bretons et le conseil régional de Bretagne en font travailler le cinquième (19 225 agents titulaires et contractuels).

Y a-t-il trop de fonctionnaires territoriaux dans ces cinq plus grosses collectivités bretonnes ? Alors que la Cour des comptes a appelé à supprimer 100 000 postes dans les collectivités locales pour économiser 4,1 milliards à partir de 2030, la question mérite d’être posée.

Lire aussi : « Supprimer 40 à 50 millions d’euros » : la Région Bretagne va devoir tailler dans ses dépenses

On s’en doutait, elle prend à rebrousse-poil les exécutifs des Départements et de la Région, vent debout contre la coupe claire de 5 milliards d’euros que l’État prévoit dans leurs dotations pour faire des économies.

Toutes étiquettes confondues, ils estiment la décision de l’État d’autant plus « injuste », à l’image de Maël de Calan, le président divers droite du Finistère, que l’État lui-même « ne donne pas l’exemple » en matière d’économies, remarque Jean-Marie Benier, (PS) vice-président chargé des ressources humaines au conseil départemental des Côtes-d’Armor.

Les collectivités bretonnes, à qui l’État a transféré des missions, au fil des années, sans les moyens qui vont avec, sont-elles vraiment « à l’os » en matière de personnel ? Deux jours avant que les sénateurs français commencent à examiner le Projet de loi de finances retoqué par l’Assemblée nationale, Ouest-France ouvre le dossier.

Dans le Morbihan, 220 postes en moins depuis douze ans

Avec 2 684 agents et 220 postes en moins depuis 2012, le conseil départemental du Morbihan est champion de la rationalisation des moyens et du contrôle de gestion. Il a « fait un effort qu’aucune autre collectivité n’a fait » et supprimé « des postes à peu près partout sauf dans le domaine social », indique-t-on au sein des services.

L’exécutif morbihannais n’a pas hésité à externaliser certaines compétences (les agents départementaux sont mis à disposition de la structure associative ou privée qui travaille pour le département dans le cadre d’une délégation de service public), comme le laboratoire interdépartemental d’analyses sanitaires Inovalys (56 postes). Il a aussi taillé dans les moyens généraux (une vingtaine de postes) et, dès 2016, a fait baisser drastiquement son coût d’entretien des routes en deçà de 4 800 € le kilomètre.

Lire aussi : Déficit public. L’État pourrait « prélever » 15 millions d’euros au Département du Morbihan

Un chiffre salué par la Chambre régionale des comptes (CRC) en 2022, alors que la moyenne des départements bretons s’élevait à 5 337 € et celle des départements français à 6 000 € (hors ceux de montagne). Comment l’exécutif a-t-il fait ? Il n’a gardé que 16 de ses 27 centres d’exploitation routiers, une réorganisation menée de main de fer en 2020 par le président d’alors, François Goulard, contre la fronde syndicale. Son successeur, le divers droite David Lappartient, poursuit dans la même veine. Sous son contrôle, l’exécutif réfléchit notamment à externaliser le marquage des routes et estimait, en 2023, que 16 postes pourraient être gagnés dans les centres routiers, par le non-remplacement de départs en retraite et par la modernisation du matériel, « sans dégrader la qualité du service public ».

Depuis 2021, l’exécutif morbihannais a dû concéder à l’explosion des violences intrafamiliales la création de 44 postes dans le secteur social. Il n’en garde pas moins « la préoccupation permanente de maintenir la masse salariale, indique son directeur général des services, Antoine Lafargue. Quand il y a mutation ou départ à la retraite, on essaie de geler le poste ».

Conséquence : le Morbihan affiche un coût du personnel par habitant (178 €) à faire pâlir d’envie tous ses voisins… et à permettre à David Lappartient une petite leçon de gestion envers ses homologues des Côtes-d’Armor lors de la dernière session du conseil départemental du Morbihan. « Le Département des Côtes-d’Armor fait travailler mille fonctionnaires de plus que celui du Morbihan, alors qu’il y a 160 000 habitants de moins, a commenté l’élu. Il y a un problème quelque part. »

Nettoyage sur l’axe Saint-Brieuc-Loudéac, en septembre 2024. Les Départements emploient notamment des agents des routes, de cuisine et de maintenance dans les collèges, des travailleurs sociaux et des assistants familiaux pour les enfants en difficulté. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Les charges de personnel record des Côtes-d’Armor

Dans les Côtes-d’Armor, on refuse d’alimenter la polémique vite évacuée par Jean-Marie Benier, le vice-président chargé des ressources humaines, d’un commentaire bien senti. « Le président du conseil départemental du Morbihan se permet des jugements sur notre manière de travailler qui ne relève pas de sa compétence. Moi, je ne permets pas de commenter les chiffres des autres. »

Depuis 2016 (2 608 agents), l’effectif du Département est pourtant passé à 3 006 personnes malgré une légère décrue en 2020 (2 595). En 2023, selon la Direction générale des collectivités territoriales, ses charges de personnel représentaient un quart des dépenses de fonctionnement et 246 € par habitant. Des chiffres records que Jean-Marie Benier explique par « les revalorisations salariales » décidées par l’État et par le caractère très rural des Côtes-d’Armor. « À la différence des autres, sur une surface équivalente, nous avons une population plus faible et pas de pôle urbain important. C’est une réalité territoriale qui nous amène à avoir un nombre d’agents plus important pour assurer le même service. »

Lire aussi : Finances, Ehpad, rocade : la rentrée musclée du président du conseil départemental des Côtes-d’Armor

Comme tous ses voisins, l’exécutif socialiste des Côtes-d’Armor a renforcé ses services de la protection de l’enfance, en 2021, en créant 42 postes de travailleurs sociaux, lesquels représentent le tiers des personnels départementaux. « C’est un choix assumé politiquement, car nous avions des besoins criants », fait valoir Jean-Marie Benier. L’exécutif costarmoricain « assume » son « attachement au service public ». Le recours à l’externalisation des services y « est minimal », pour la peinture routière et pour des travaux sur certains bâtiments.

Face à l’augmentation des dépenses sociales et la perte de recettes liées aux ventes immobilières (40 millions d’euros de moins en deux ans), le Département a plutôt opté pour la suppression de 60 postes entre 2025 et 2027. « Une décision politique difficile », a reconnu son président socialiste, Christian Coail. Objectif : économiser 3 millions d’euros. Dans quels services ? Le département « n’a encore rien décidé ». Une certitude : celui des routes et les assistants familiaux (protection de l’enfance) ne devraient pas être touchés, mais le nombre des agents des collèges pourrait baisser si celui des élèves diminue. « Nous souhaitons composer avec les départs en retraite et la mobilité entre services, indique Jean-Marie Benier. Nous l’avons dit aux syndicats. »

Restauration scolaire dans un lycée breton. Le conseil régional de Bretagne emploie notamment 2 543 agents dans la restauration et la maintenance des lycées, une soixantaine d’agents dans les canaux et la navigation fluviale et entre 15 et 20 personnes dans ses différents ports. | OUEST FRANCE/ ARCHIVES MARC OLLIVIER

La chasse à la complexité administrative dans le Finistère

Avec 3 885 agents (contre 3149 en 2017), le Finistère a stabilisé ses effectifs depuis 2021. Au classement des charges de personnel les moins coûteuses (199 € par habitant), il arrive bon deuxième derrière le Morbihan. Et si son président divers droite, l’ancien juppéiste Maël de Calan, a créé 25 postes dans le secteur de l’insertion, pour accompagner les allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) et faire baisser leur nombre de 18 000 à 14 000 fin 2025, c’est au prix d’une « simplification administrative » sans merci dans tous les services.

Les dépenses de personnels par Région. | INFOGRAPHIE OUEST-FRANCE

Démonstration : les dossiers de demande de subvention et leurs multiples pièces justificatives déposées par les communes ont été réduits à un formulaire recto verso. Résultat : une dizaine de postes ETP gagnés en temps d’instruction. Fusion de certaines directions, centralisation de la fonction comptable, suppression de 10 ETP dans l’agence d’attractivité « Tout commence dans le Finistère », réunification à venir des sites culturels dans une même entité… Tout est passé au tamis de la chasse à « l’inflation des normes administratives complètement folle », bête noire de Maël de Calan. « Elle alimente celle de la masse salariale, peste l’élu. L’essentiel des économies a été fait sur le back-office et la bureaucratie et ce n’est pas une réforme de nature politique. Nous avons ainsi pu remettre des emplois pour améliorer les services publics. Il faut bien comprendre les enjeux : 3 000 allocataires du RSA en moins, ce sont 21 millions d’économies par an pour le Département. »

Lire aussi : Conseil départemental du Finistère : « La crise que nous connaissons est sans précédent »

Le Département a aussi créé 40 postes d’assistants familiaux, pour faire face au « recul du service public » d’État dans la protection de l’enfance et 11 postes dans sa Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), passée depuis du 96e au 11e rang en termes de délai de réponse. Dans cette logique de rationalisation, pas de dogme pour l’élu divers droite qui a maintenu en interne le nettoyage des locaux du conseil départemental, « parce que c’était bien fait pour moins cher que dans le privé ». Le Finistère peut-il mieux faire ? « Nous avons encore des procédures de simplification à mener, indique Maël de Calan. Mais le procès fait aux collectivités territoriales est injuste si l’on s’intéresse à la suradministration et à l’incohérence (de l’État) à superposer des couches de politique publique sans jamais supprimer les anciennes pour financer les nouvelles. »

L’Ille-et-Vilaine confrontée à « une forte croissance démographique »

Avec 4 250 agents, le Département socialiste de l’Ille-et-Vilaine a vu ses effectifs se stabiliser depuis 2017 (4 268 personnes) après avoir atteint un pic à 4 294 personnes en 2019. Un chiffre à corréler au dynamisme démographique du département et donc, à l’augmentation des besoins, selon le président socialiste Jean-Luc Chenut. « Nous sommes un département en forte croissance démographique, estimait l’élu, dans nos colonnes, il y a peu, avec chaque année de 9000 à 10 000 habitants supplémentaires. »

Lire aussi : En Ille-et-Vilaine, le Département inquiet de sa capacité à financer et remplir toutes ses missions

Les dépenses de personnel départemental sont évaluées par la Direction générale des collectivités territoriales à 200 € par habitant en 2023, en deçà de la moyenne des départements français (216 €), loin devant les départements dont les charges de personnel coûtent le moins cher (137 € par habitant pour les Yvelines, 143 € pour le Val-d’Oise). Confronté aux mêmes difficultés financières que ses voisins (explosion de l’aide sociale, mais diminution des recettes liées aux ventes immobilières), l’exécutif bretillien a limité « tous les renforts et tous les contrats. Quand il y a un départ à la retraite, on ne le remplace pas nécessairement », indiquait encore Jean-Luc Chenut.

Comment va-t-il faire des économies ? L’exécutif, « en cours de discussion avec ses partenaires sociaux », n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

°°°

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/enquete-y-a-t-il-trop-de-fonctionnaires-en-bretagne-et-combien-coutent-ils-aux-collectivites-c2097968-a69c-11ef-b5f5-e7aa8444a877

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/enquete-y-a-t-il-trop-de-fonctionnaires-en-bretagne-et-combien-coutent-ils-aux-collectivites-of-fr-23-11-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *