Entre satisfaction et amertume, la dernière journée de consultations de deux médecins pluguffanais (LT.fr-2/01/23)

Remplaçants introuvables : la colère de deux médecins de Pluguffan
Après eux, le déluge ? Vendredi 30 décembre, les Dr Le Menn et Guyomar, médecins généralistes à Pluguffan depuis plus de trente ans, ont rendu leurs blouses sans avoir trouvé de remplaçants. Un crève-cœur pour eux… comme pour leurs patients.

Un premier coup de fil. Suivi d’un deuxième. Puis d’un autre encore. « C’est comme ça tous les jours », indique Patrick Guyomar. « Avant, les patients appelaient pour être soignés. Aujourd’hui, c’est pour récupérer leurs dossiers ».

Vendredi 30 décembre, le Dr Guyomar et son confrère médecin généraliste, Gilbert Le Menn, savourent les derniers moments passés dans leur cabinet de la route de Pouldreuzic, à Pluguffan. Dans quelques heures, les compères de toujours, installés dans la commune depuis plus de trente ans, décrocheront leurs plaques. De ces dernières, ne restera qu’un pan de mur rectangulaire, assombri par l’absence de soleil et dont personne ne sait, pour l’instant, s’il sera un jour recouvert.

Ce vendredi 30 décembre, les patients ont afflué au cabinet du Dr Le Menn et Guyomar… et pas que pour des consultations à l’instar de Christine qui, très émue, a souhaité offrir un cadeau à son médeci
Ce vendredi 30 décembre, les patients ont afflué au cabinet du Dr Le Menn et Guyomar… et pas que pour des consultations à l’instar de Christine qui, très émue, a souhaité offrir un cadeau à son médecin généraliste.

Un départ sans repreneurs

Car en dépit de nombreuses petites annonces, c’est sans avoir trouvé de remplaçants pour leur succéder que les Dr Le Menn et Guyomar en terminent avec le serment d’Hippocrate. Un échec qui les atteint eux, bien sûr, autant que leur patientèle : « J’ai essayé d’aller à Locronan, mais les médecins là-bas ne prennent plus de nouveaux patients. Je ne sais pas où est la solution : pour l’instant, je n’en ai pas. S’il devait m’arriver un gros pépin, il me restera le 15 », conclut Catherine, patiente du cabinet depuis près de vingt ans et souffrant d’une pathologie cardiaque. Si cette dernière reste optimiste quant à l’arrivée de nouveaux médecins dans la commune, elle n’est pas certaine de renouer des liens aussi forts avec les nouveaux arrivants : « Son médecin généraliste, on lui confie tout. Personnellement, les Dr Le Menn et Guyomar, je leur ai tout dit. Apprendre à faire confiance, ça prend du temps… Et encore faut-il en être digne ».

Je suis patiente chez eux depuis le début. Ils ont soigné mon papa, mon frère, mon fils… Trois générations, vous vous rendez compte ! Qu’est-ce qu’on va devenir ?

« Des médecins comme eux, il n’en existera bientôt plus »

Cathy, patiente du Dr Le Menn depuis ses 18 ans, a appelé la veille pour faire soigner une infection bénigne : « Avec eux, ça a toujours été comme ça : si vous aviez besoin de les consulter, même à la dernière minute, ils s’arrangeaient pour vous voir entre deux patients, commençaient plus tôt, finissaient plus tard, se déplaçaient à domicile… Des médecins comme eux, il n’en existera bientôt plus ». Venue au cabinet pour remercier une dernière fois les deux médecins, Christine, un sac cadeau en main, peine à retenir ses larmes : « Je suis patiente chez eux depuis le début. Ils ont soigné mon papa, mon frère, mon fils… Trois générations, vous vous rendez compte ! Qu’est-ce qu’on va devenir ? »

Secrétaire du cabinet médical en alternance avec Jocelyne Guyomar, Marie-Noëlle Le Menn, épouse du Dr Le Menn, a souvent été l’oreille attentive des patients, assis dans un coin de son bureau : « Les
Secrétaire du cabinet médical en alternance avec Jocelyne Guyomar, Marie-Noëlle Le Menn, épouse du Dr Le Menn, a souvent été l’oreille attentive des patients, assis dans un coin de son bureau : « Les gens sont gentils… C’est peut-être bête, mais c’est ça qui me manquera le plus avec la reconnaissance, celle exprimée envers mon mari et dont je bénéficiais en ricochets ».

Cette question, Patrick Guyomar et Gilbert Le Menn l’entendent quotidiennement depuis l’annonce de leur retraite. Et elle leur tord les boyaux : « Les difficultés d’endormissement dont nous parlent nos patients, on a les mêmes ! », affirme le Dr Le Menn. Parfois, j’ai le sentiment d’abandonner mes patients. Je m’inquiète particulièrement pour certains d’entre eux, qui souffrent d’une pathologie grave… Ça, je vous le confirme, ça participe à la perturbation de mon sommeil ! »

Malheureux pour ses patients qu’il laisse sans alternative, le Dr Guyomar appelle les pouvoirs publics à créer un choc d’attractivité pour attirer les jeunes vers la profession « parce qu’à l’heure ac
Malheureux pour ses patients qu’il laisse sans alternative, le Dr Guyomar appelle les pouvoirs publics à créer un choc d’attractivité pour attirer les jeunes vers la profession « parce qu’à l’heure actuelle, ça ne fait pas rêver ».

Remettre des étoiles dans les yeux des jeunes médecins

Témoins impuissants du détricotage de leur profession par les pouvoirs publics, les deux confrères ne peuvent s’empêcher de garder une pointe d’amertume et de colère à l’heure où, pourtant, ne devraient demeurer que les bons souvenirs et la satisfaction du devoir accompli. « Si on veut lutter contre la pénurie de praticiens, il faut faire rêver les jeunes. On a choisi ce métier pour faire du soin, pas de la paperasse… Et ça, il est temps de le comprendre », vitupère Patrick Guyomar.

Avec eux, ça a toujours été comme ça : si vous aviez besoin de les consulter même à la dernière minute, ils s’arrangeaient pour vous voir entre deux patients, commençaient plus tôt, finissaient plus tard, se déplaçaient à domicile… Des médecins comme eux, il n’en existera bientôt plus.

Rien de mieux, alors, pour adoucir les aigreurs qu’une pointe de chocolat noir… Et pour ça, les deux amis sont servis. « Des sucreries, on n’arrête pas d’en recevoir ! », admet Patrick Guyomar. « Mais ce qui nous fait le plus plaisir, ce sont les petits mots », confesse Gilbert Le Menn qui, jusqu’au bout, a gardé dans sa salle d’examen une peinture, « Dr Gentil » réalisée par une patiente. « Ce tableau-là, il va me suivre chez moi… »

À ces mots, d’aucuns auraient juré voir le début d’une larme.

Une peinture offerte au Dr Le Menn, preuve, s’il en fallait une, de l’attachement des patients à leurs médecins généralistes.
Une peinture offerte au Dr Le Menn, preuve, s’il en fallait une, de l’attachement des patients à leurs médecins généralistes.

Laura AYAD

source: https://www.letelegramme.fr/finistere/quimper/entre-satisfaction-et-amertume-la-derniere-journee-de-consultations-de-deux-medecins-pluguffanais-02-01-2023-13251495.php

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