Entretien-Bercy refuse l’accès aux documents du budget 2025 : Eric Coquerel dénonce « une négation des droits constitutionnels du Parlement » (H.fr-18/09/24)

« La directrice du budget nous a laissé entendre que nous aurions un tiré à part, c’est-à-dire un document synthétique, dès ce jeudi », a précisé Eric Coquerel. © Frederic Petry / Hans Lucas.

Après Matignon, la veille, Charles de Courson et Éric Coquerel se sont vus refuser l’accès aux documents budgétaires par Bercy. Une faute constitutionnelle, selon Éric Coquerel, président de la commission des Finances.

Entretien réalisé par Lisa GUILLEMIN..

Mardi, le premier ministre Michel Barnier a refusé la transmission des lettres de plafond à Éric Coquerel (FI) et Charles de Courson (Liot). Le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et le rapporteur général du budget étaient pourtant venus faire valoir un droit de consultation garanti par la Constitution.

Mercredi, la scène s’est répétée au ministère de l’Économie. De façon inédite, le Parlement a donc été privé de son droit d’information sur les montants budgétaires alloués à chaque ministère. Rencontre avec Éric Coquerel.

Vous vous êtes rendu à Bercy, mardi, pour obtenir la vérité des prix sur le budget que prépare Michel Barnier. Ces documents vous avaient été refusés, la veille, par Matignon. Qu’avez-vous pu obtenir ?

Nous avons appris que, sur ordre de Matignon, il était impossible de nous transmettre les lettres de plafond, au motif que ces documents préparatoires n’auraient pas vocation à être rendus publics. C’est inédit sous la Ve République. Cependant, la directrice du budget nous a laissé entendre que nous aurions un tiré à part, c’est-à-dire un document synthétique, dès ce jeudi.

« J’ai quand même tendance à penser que les différents prétextes soulevés depuis juillet sont une façon de nous rendre le budget d’austérité inévitable. »

Il est toutefois étonnant que ce soit cette fonctionnaire qui nous le dise. J’attends donc un courrier du premier ministre nous confirmant que nous recevrons ces documents. Ce que je considérerais déjà comme une première victoire.

Que représente pour vous ce refus de communication de ces documents ?

C’est une négation des droits du Parlement et, surtout, une négation des droits constitutionnels. Le droit de contrôle de l’exécutif par le Parlement est une disposition constitutionnelle, régie par la loi organique. L’idée qu’il revient à l’exécutif de juger si des parlementaires sont habilités ou non à prendre connaissance de documents, c’est le monde à l’envers. Si la loi nous donne ce pouvoir, c’est bien pour ne pas laisser l’exécutif juge et arbitre de ses relations avec l’Assemblée.

Pourquoi vous faut-il ces documents maintenant ?

La commission des Finances aurait déjà dû commencer à débattre du budget. Mais nous n’avons rien reçu. Savoir à quelle sauce seront « mangés » les ministères dont les missions concernent la vie quotidienne des Français est pourtant de la plus haute importance, sur l’éducation, la santé, l’écologie, le travail, la culture…

Nous avons reçu des documents de synthèse, début septembre, mais ils sont très… synthétiques, et n’indiquent que des chiffres globaux, sans dépenses détaillées par mission. Certains ministères vont avoir à souffrir de baisses drastiques : le sport, la culture, l’aide au développement, l’écologie.

De plus, nous avons reçu une note du Trésor qui décrit une situation budgétaire encore plus catastrophique qu’imaginé. Elle recommande non pas 15 mais 30 milliards d’euros de baisses de dépenses publiques.

Michel Barnier envisage de présenter son projet de budget devant l’Assemblée nationale le 9 octobre, au lieu du 1er. Comment interprétez-vous ce retard ?

Là encore, Michel Barnier ne respecte pas les délais fixés par la loi. Plus nous tardons, plus le temps du débat au sein de l’Hémicycle s’amenuise. Est-ce le but recherché ? Je ne sais pas. Mais j’ai quand même tendance à penser que les différents prétextes soulevés depuis juillet – trêve olympique, gouvernement démissionnaire soi-disant incompétent – sont une façon de nous rendre le budget d’austérité inévitable. D’autant que Michel Barnier pourrait très bien présenter le budget travaillé par Gabriel Attal avant de l’amender.

Avec la nouvelle Assemblée, la gauche a-t-elle une marge de manœuvre plus importante pour agir sur le budget ?

Nous allons d’abord avoir un débat en commission. Et, vu sa composition, je pense que nous pourrons considérablement amender ce budget pour le rapprocher du programme du Nouveau Front populaire. L’an dernier, déjà, nous avions voté 15 milliards d’euros de taxation du capital avec le Modem.

Ensuite, il nous faudra voter en plénière. Soit le gouvernement refuse de suivre les recommandations de la commission à coups de 49.3, et dans ce cas il y aura une motion de censure. Soit il tente, s’il voit qu’il est bloqué, de le passer par ordonnance avec une loi spéciale (article 47 de la Constitution). Mais, là encore, il faut l’aval du Parlement.

Ces deux refus ont été vos premiers contacts avec le gouvernement Barnier. Cela présage-t-il du rapport du nouveau premier ministre avec le Parlement ?

Avant cela, Charles de Courson et moi-même avions eu Michel Barnier au téléphone. Il nous avait dit qu’il voulait absolument travailler avec le Parlement. Mais cela commence mal ! Il va cependant être très compliqué pour l’exécutif de passer en force, parce que, cette fois-ci, il n’a pas de majorité du tout, même relative.

Et la majorité qu’il espère avec « Les Républicains » n’est pas du tout certaine : il suffit d’être à l’Assemblée pour voir les dissensions entre les deux partis, sans parler de celles à l’intérieur du camp macroniste.

Barnier a évoqué une possibilité d’augmenter les impôts sur le capital. Est-ce un signe d’ouverture ?

Nous verrons bien. Michel Barnier s’est illustré comme un commissaire européen très néolibéral, et n’a jamais montré un appétit pour la taxation des revenus du capital. Mais j’attends les faits.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/budget/bercy-refuse-lacces-aux-documents-du-budget-2025-eric-coquerel-denonce-une-negation-des-droits-constitutionnels-du-parlement

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