
Propos recueillis par Maiwenn Raynaudon-Kerzerho pour le magazine Bretons
Spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Kristian Hamon a publié « “Chez nous, il n’y a que des morts” – Les parachutistes de la France libre en Bretagne » en 2021. Il revient sur les actions de ces SAS, parachutés pour venir en appui de la Résistance, notamment à Saint-Marcel, dans le Morbihan, et à Duault, dans les Côtes-du-Nord. Septième épisode de la série du magazine Bretons consacrée à la Seconde Guerre mondiale en Bretagne.
En juin 1944, les SAS ont été parachutés derrière les lignes ennemies pour préparer le débarquement. Kristian Hamon raconte cette opération particulièrement périlleuse et déterminante dans la libération de la France.
Ce livre porte sur l’aventure des parachutistes de la France libre, les SAS, en Bretagne. Comment et pourquoi a été constitué ce corps ?
Les corps de parachutistes sont nés en Union soviétique. Ce sont les Russes qui sont à l’origine de cette nouvelle façon de combattre, l’assaut vertical. Les Allemands et les Français vont s’en inspirer. Dès l’avant-guerre, on crée en France la CIA, Compagnie d’infanterie de l’air. De Gaulle, à Londres, à partir de 1940, veut aussi ses parachutistes. Un groupe est créé au sein des Forces françaises libres, les FFL. En 1941, après la campagne de Syrie, ce groupe d’une cinquantaine de parachutistes est envoyé à Damas. Ensuite, en janvier 1942, ce french escadron va intégrer le Special Air Service britannique, basé en Égypte. Les parachutistes combattent en Afrique du Nord, en Libye, jusqu’au débarquement des Américains en Tunisie. Ils ne sont pas très nombreux mais ils participent aux combats brillamment. En octobre 1943, ils reviennent en Grande-Bretagne. De cinquante hommes, ils deviennent un bataillon de 400, sous les ordres du commandant Bourgoin. Ils suivent différents entraînements, menés par des Polonais, car les Britanniques n’ont pas assez de formateurs. Mais ils trouvent le temps long, ils sont désireux de se battre le plus vite possible en France.
Quel était le profil de ses membres ?
Deux choses m’ont étonné dans ce groupe. Les historiens, et notamment Jean-François Muracciole, ont remarqué que ces volontaires ont un niveau intellectuel plutôt élevé. On trouve des fils de bonne famille, une forte proportion d’étudiants de grandes écoles, les Mines, Polytechnique, médecine… De façon générale, les classes supérieures sont surreprésentées au sein des FFL, et particulièrement chez les paras. Cela s’explique. Pour passer en zone libre, il faut de l’argent, trouver des passeurs pour rejoindre l’Espagne ou l’Afrique du Nord. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Sous l’Occupation, ce n’était pas facile de prendre le large. En France, les ouvriers et les paysans n’avaient pas les moyens – ni même la volonté – de passer en zone libre et de rejoindre l’étranger. Ils vont plutôt rejoindre la Résistance intérieure, les maquis, notamment après l’instauration du STO.
La deuxième chose, c’est que, sur les 400 membres du 4e bataillon de SAS français, on estime à une centaine le nombre de juifs. C’est une surreprésentation exceptionnelle ! Les juifs sont déjà surreprésentés au sein des FFL, dans tous les corps. D’où des réactions antisémites dans l’entourage de De Gaulle, d’ailleurs. On trouve deux catégories : les premiers à être passés en Grande-Bretagne sont des juifs de la métropole, dont beaucoup de Parisiens, issus de l’élite intellectuelle, brillants, diplômés, polyglottes. Ensuite, à partir de 1943, la majorité de ces jeunes juifs seront des Séfarades qui arrivent d’Algérie. Ils y étaient toujours victimes de discrimination et ne pouvaient pas intégrer l’armée française. Ils sont donc passés aux FFL.
Quelques Bretons ?
Oui, quelques-uns, mais ils ne sont pas surreprésentés. Les Bretons des FFL allaient plus naturellement vers la Marine. Mais on trouve des gens de partout, de tous les confettis de l’Empire : des Tahitiens, des Antillais !
Ces SAS ont donc été parachutés en Bretagne en juin 1944. Quelle était leur mission ?
Au départ, l’idée des Alliés est de parachuter des hommes derrière les lignes ennemies, lors du Débarquement, pour saboter et bloquer les voies de communication et l’envoi de renforts. En Bretagne, Bourgoin a conçu un plan en trois phases. La première, dans la nuit du 6 juin : quatre sticks – soit 10-12 hommes – sont largués, deux dans le Morbihan, sur Saint-Marcel, la base Dingson, et deux dans les Côtes-du-Nord, à Duault, la base Samwest. Leur objectif est de prendre contact avec la Résistance intérieure – dont ils n’ont aucune idée des effectifs –, d’éviter tout contact avec l’ennemi et d’établir deux bases, deux centres mobilisateurs où les résistants locaux viendront récupérer des armes et être formés. La deuxième phase, à J + 1 : dix-huit autres sticks, des Cooney-Parties, sont largués sur toute la Bretagne, avec des missions de sabotage, pour empêcher par tous les moyens l’envoi de renforts en Normandie. Une fois leur mission terminée, ils doivent rejoindre les deux bases. Si elles sont anéanties, ils doivent rejoindre la côte pour être rapatriés. La troisième phase, la plus importante, dépend du succès de la première : c’est le largage du bataillon au complet. 300 hommes environ, qui vont être envoyés à Dingson et Samwest. Leur mission est d’instruire et d’armer la Résistance locale.
L’idée est d’empêcher à tout prix des renforts allemands d’atteindre la Normandie ?
Oui, par tous les moyens, de couper les voies de chemin de fer, les routes, les communications téléphoniques. Et d’équiper et de former les maquisards. Saint-Marcel n’est pas véritablement un maquis, mais un centre de regroupement. Les bataillons FFI (Forces françaises de l’intérieur, ndlr) du département venaient à tour de rôle récupérer le matériel, apprendre à l’utiliser, et ils repartaient vers leurs maquis. Dès la conception du plan en Grande-Bretagne, il y a eu des réticences. Le lieutenant Marienne et d’autres ont trouvé ce plan trop risqué. Ils pensaient que se regrouper à 100 ou 200, c’était trop dangereux : si un régiment allemand déboule, c’est le massacre assuré ! Ils n’avaient pas tort…
Le camp de Saint-Marcel est en effet attaqué le 18 juin. Peut-on aujourd’hui établir précisément les forces en présence lors de la bataille de Saint-Marcel et le bilan des pertes de chaque côté ?
Les ouvrages de l’époque avancent le chiffre de 2 400 maquisards présents sur le camp. On pense aujourd’hui qu’ils étaient deux fois moins nombreux, encadrés par 200 parachutistes. Les estimations les plus fiables font état de 23 tués côté allemand, le plus jeune ayant 17 ans, et de 18 FFI plus 6 SAS côté français. Ce qui est assez peu compte tenu de la violence et de la durée des combats.
Après l’attaque de Saint-Marcel, les représailles ont été terribles…
Après s’être repliés en bon ordre dans la nuit, ce qui a permis d’éviter un véritable massacre, les SAS ont reçu l’ordre de se disperser par petits groupes, guidés par des FFI, dans les hameaux et fermes des environs pour continuer de harceler l’ennemi sous le commandement du capitaine Marienne, mais en évitant désormais toute bataille rangée.
Les Allemands ont notamment refusé le statut de prisonniers de guerre aux SAS malgré leur uniforme ?
Au mois de juin, quelques parachutistes capturés par l’ennemi ont eu la chance d’être traités comme des prisonniers de guerre puis déportés sur des stalags au lieu d’être remis au Sicherheitsdienst, SD, le service de sûreté de la SS. Cela dépendait du bon vouloir de l’officier allemand commandant l’unité d’Osttruppen. À partir du 7 juillet, conformément à l’ordre d’Hitler de « liquider les terroristes », les parachutistes capturés ou blessés, au même titre que les résistants, sont exécutés sur place. Les officiers qui ont été faits prisonniers vont être torturés sans relâche, les Allemands espérant leur arracher des renseignements pour mettre la main sur le commandant Bourgoin. Ils seront ensuite fusillés sans autre forme de procès.
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Les résistants aussi ont subi des pertes considérables ?
Après la dispersion du camp de Saint-Marcel, les Allemands vont traquer sans relâche les résistants qui ont pris le risque de rentrer dans leurs villages respectifs. Agissant le plus souvent sur dénonciation, les Allemands, aidés par des membres du Bezen Perrot (milice nationaliste bretonne, ndlr), vont multiplier les rafles afin de vérifier l’identité des suspects dont ils possèdent des listes. Emmenés ensuite dans les geôles de l’école de Locminé, ces résistants vont y subir les pires tortures avant d’être fusillés collectivement.
Beaucoup de civils ont également été tués dans des circonstances effroyables ?
On ne soulignera jamais assez le rôle, souvent au sacrifice de leur vie, de ces modestes paysans lors de ces opérations menées par les SAS. Sans leur aide, la plupart de ces parachutistes n’auraient jamais connu la Libération. Par sécurité, les SAS installaient leur abri de fortune – jamais un mois de juin n’avait été aussi pluvieux en Bretagne – au fond d’un chemin ou dans un bois à bonne distance de la ferme chargée de les ravitailler. À l’instar du commandant Bourgoin, certains parachutistes vont troquer leur uniforme contre des vêtements civils pour éviter d’être repérés, participant même aux travaux agricoles. Malgré les précautions prises, de nombreux groupes vont tomber aux mains des Allemands qui vont alors commettre des actes d’une sauvagerie inouïe contre les SAS et les paysans dont les fermes sont systématiquement incendiées. Il convient de dire aussi que ces parachutistes ont fait parfois preuve d’une imprudence qui pouvait être fatale. Fatigués du manque d’action et de vivre comme des bêtes traquées, certains ne résistaient pas à l’envie de se rendre en plein jour chez les fermiers qui les ravitaillaient pour boire une bolée de cidre et prendre des nouvelles, au risque de se faire repérer.
Quel bilan pour ces opérations des SAS en Bretagne ? Vous évoquez un bilan en demi-teinte ?
Dans l’après-guerre, on est dans le mythe résistancialiste, toute la France aurait été résistante, on évoque le nombre de 560 morts à Saint-Marcel… C’est le combat légendaire qui a tenu en échec l’armée allemande. C’est faux.
On est passé de ce mythe à une remise en question complète qui tombe dans l’excès inverse. Ce n’est pas un combat qui a servi à rien. Saint-Marcel a permis d’armer des bataillons complets de résistants, de les former. Ensuite, la présence de ces parachutistes en Bretagne a forcé les Allemands à bloquer des hommes qui auraient été plus utiles sur le front de Normandie.
Et puis, cela a été un succès psychologique. Pendant une journée complète, ils ont tenu tête à l’armée allemande et ils ont réussi à se retirer sans trop de dégâts. Les pertes sont faibles par rapport aux forces engagées. Il faut aussi souligner la dimension politique de la mission des SAS qui ont permis de rétablir la légalité républicaine dans une atmosphère de guerre civile face aux turbulents FTP lors de la Libération.
Globalement, ça n’a pas été une opération inutile. Les sabotages qui ont eu lieu, notamment la voie ferrée entre Vannes et Rennes, ont ralenti considérablement les troupes allemandes qui ont dû rejoindre la Normandie à pied ! S’il n’y avait pas eu ces actions des résistants et des paras, les divisions allemandes en Bretagne auraient atteint la Normandie en moins de deux jours. À Omaha Beach, ça ne se serait peut-être pas passé de la même façon…
“Chez nous, il n’y a que des morts” – Les parachutistes de la France libre en Bretagne, Kristian Hamon, Skol Vreizh, 370 p., 20 €.
Cet article a été initialement publié dans le magazine Bretons en mars 2022.
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-durant-la-guerre-saint-marcel-a-permis-darmer-des-bataillons-complets-de-resistants-of-fr-31-08-23/