
Par Julia TOUSSAINT
À partir du 15 octobre 2023, le coût du litre de carburant pour les navires de pêche va augmenter de 0,20 €, en raison de l’arrêt de l’aide de l’État. La filière s’en inquiète. Mais la réalité est nuancée, éclaire Pascal Le Floc’h, enseignant-chercheur en économie maritime.
Pascal Le Floc’h est enseignant-chercheur en économie maritime au laboratoire Amure (Aménagement des usages des ressources et des espaces marins et littoraux) de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), à Brest (Finistère). Il nous a accordé un entretien.
Le secrétaire d’État chargé de la Mer Hervé Berville a annoncé que l’aide au carburant, allouée au secteur de la pêche depuis mars 2022, s’arrêterait bien le 15 octobre 2023. Est-ce une surprise ?
Pas du tout, c’était annoncé. Depuis la création de la Politique commune de la pêche autonome (PCP) en 1983, la pêche est un domaine qui relève exclusivement de la compétence européenne. Les aides créent des distorsions de concurrence, elles n’ont donc pas vocation à perdurer.
Cette mesure allégeait le coût du gasoil de 20 centimes par litre. Sans ça, les pêcheurs travailleront-ils à perte ?
Les pêches maritimes sont extrêmement diversifiées, on ne peut rien généraliser. Les chaluts de fond sont les plus énergivores et donc les plus impactés. Ils consomment jusqu’à une tonne de gasoil pour une tonne de poisson pêchée. Le carburant représente environ 20 % de leur chiffre d’affaires, plus pour certains. À l’inverse, les fileyeurs ne sont pas des engins traînants, donc ils consomment moins. Les arts dormants (NDLR : engins immobiles ou en dérive où les poissons viennent se piéger), comme les caseyeurs, ligneurs, etc., sont moins affectés. Ce n’est pas toute la pêche française qui est menacée.
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Mais alors, les aides ne devraient-elles pas être ciblées ?
Le fait qu’elles ne le soient pas est un écueil. L’économiste que je suis doit rappeler qu’à chaque fois qu’il y a des aides d’État appliquées à toute une filière, ça crée des effets d’aubaine. Des sortes de rente.
Le chalutage est-il condamné, comme on l’entend beaucoup ces derniers jours ?
Ce qui peut se produire n’est pas tant un arrêt total d’activité, mais certains propriétaires de chaluts vont réfléchir à des plans de casse. À vendre leur navire si le régime de compensation financière est avantageux. L’État a toujours utilisé cet instrument pour retirer des bateaux de la flotte. Cela fait sens avec l’objectif de réduction de 25 % de l’effort de pêche dans les eaux britanniques d’ici à 2026.
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N’y a-t-il pas un problème de rentabilité lié aux prix de vente du poisson ?
Il faut garder à l’esprit que la pêche française ne pèse pas assez lourd sur le marché mondial pour avoir une influence sur le prix. Elle est « preneuse de prix » et pas « faiseuse de prix ». De plus, nous importons plus de 70 % du poisson que nous consommons. Donc la seule stratégie à mes yeux, c’est la valorisation des produits. Avec des labels ou des structures, comme le groupement qualité Normandie fraîcheur Mer, qui existe depuis 1998 et valorise le bulot de Granville, le homard du Cotentin… Ou encore le bar de ligne de Bretagne. Cela suppose que les clients soient prêts à payer quelques euros de plus.
Les criées françaises sont-elles menacées ?
Je ne le crois pas, la chaîne logistique est européenne voire mondiale. De plus, les criées sont la garantie d’une traçabilité des produits débarqués, c’est indispensable à la gestion des stocks.
La situation risque-t-elle de dégénérer ?
Le poids économique de la pêche n’est pas très important en France, c’est moins de 0,1 % du PIB (produit intérieur brut). Mais politiquement, ça compte. La contestation des pêcheurs peut en entraîner d’autres. C’est pourquoi les décideurs restent vigilants.
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