
© Pierre GLEIZES/REA
Le comité central du groupe public ferroviaire de la SNCF alerte sur les conséquences de l’éclatement du secteur, dans le cadre d’une harmonisation européenne. Alors qu’un colloque est prévu, à Paris, le 11 mars, son secrétaire général, Alexandre Boyer, revient sur le sujet.
Entretien réalisé par Naïm SAKHI.
Ce mardi, le comité central du groupe public ferroviaire (CCGPF), schématiquement le CSE de l’ensemble du groupe SNCF, dévoile les conclusions d’un audit externe mené par le groupe 3E pour faire la lumière sur la sécurité ferroviaire.
« La compétition entre opérateurs publics nationaux n’a pas rencontré le succès escompté par la Commission européenne. (…) Dès lors, il a été concédé d’assouplir certaines réglementations ayant trait à la sécurité des réseaux ferroviaires », peut-on lire dans le document consulté par l’Humanité. Le CCGPF organise un colloque le 11 mars prochain. Son secrétaire général, Alexandre Boyer, revient sur les conséquences de la libéralisation sur les métiers cheminots.
Dans quel contexte avez-vous commandé ce rapport sur la sécurité ferroviaire ?
Deux accidents mortels sont survenus en 2024 : le 6 mars au technicentre de Bischheim, puis le 11 mars sur un chantier en gare de Dijon. L’audit national sur la sécurité découle de ces décès. La demande d’expertise a été validée par les élus de l’ensemble des organisations syndicales représentatives (CGT, Unsa, SUD, CFDT).
Ce rapport démontre que la libéralisation – et tout ce qu’elle entraîne – fragilise la sécurité du rail telle qu’elle s’est construite en France, au fil des décennies, avec le développement du chemin de fer puis l’unification des sociétés privées au sein de la SNCF, en 1938, sous l’égide de l’État.
Dans l’objectif de créer un espace ferroviaire unique européen, l’harmonisation des règles de sécurité s’effectue désormais à l’échelle continentale. L’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (ERA) empêche les pays membres d’être mieux-disant que la réglementation européenne.
Pour quelles conséquences ?
Les intervenants se multiplient alors que les procédures étaient, avant la libéralisation, à la charge d’une seule entreprise unifiée, la SNCF. Or, le système ferroviaire est complexe et, dans les faits, les acteurs sont intégrés les uns aux autres dans les schémas de sécurité des personnels et des usagers.
Les priorités fixées par les autorités organisatrices (régions, État – NDLR) et la direction de la SNCF sont la régularité des trains et le respect des trajectoires financières. Ces logiques priment sur celles attenant à la sécurité. D’ailleurs, avec les appels d’offres par ligne TER et les filialisations qui en découlent pour y concourir, cette exigence n’est pas présente.
Prenons un exemple. L’absence de contrôleur s’est généralisée à l’ensemble des TER. Or, ce corps de métier a une importance pour la sûreté des usagers : fermeture des portes, autorisations de départ, assistance en cas d’événement lié à sécurité. Cela va de pair avec la déshumanisation des gares. C’est vrai aussi pour nombre de métiers où nous sommes passés d’un mono-métier avec une multi-activité à une mono-activité multi-métiers.
Un risque est-il à craindre pour les usagers ?
Ce n’est pas nous qui remettrons en cause la fiabilité du train et de notre travail. Mais évidemment, nous ne voulons pas d’un nouvel accident, comme à Brétigny en 2013. Ce rapport démontre que la libéralisation du rail, n’ayant pas rencontré le succès escompté par la Commission européenne, s’est dans un second temps concrétisée par un assouplissement de certaines réglementations ayant trait à la sécurité sur les circulations.
Or, la sécurité était inhérente au travail. Elle doit le redevenir, en étant pleinement intégrée aux gestes du quotidien, grâce notamment à des contenus dans les processus de formation. Nous proposons d’ailleurs un socle de formation de base et commun sur la sécurité. Car les politiques de pression des effectifs amènent inexorablement à des situations de tensions pour les cheminots.
Pour preuve : les objectifs de réduction de la masse salariale et d’externalisation ont conduit à la suppression de 3 % des effectifs de SNCF Réseau, entre 2017 et 2021, dont 9 % du collège exécution. Pour baisser les coûts de production, nous sommes passés d’une maintenance préventive à une maintenance curative. Le parc TGV doit se réduire de 443 rames en 2015 à 309 en 2030. Il y aura certes une plus grande capacité de places au sein des rames. Mais les temps de passage dans les ateliers sont réduits. Le travail de nuit est généralisé pour amortir le coût d’achat d’une rame TGV et satisfaire l’offre de transport.
La fin des embauches au statut a-t-elle un impact sur la sécurité des trains ?
Cela implique la fin de l’engagement dans une carrière couvrant la totalité d’une vie professionnelle. Or, la culture de la sécurité se construit sur un temps long, d’autant plus que la complexité croissante du système ferroviaire, la fin du monopole, les multiplications des acteurs et les transformations technologiques imposent un effort supplémentaire aux cheminots.
Le statut a été supprimé au moment où il aurait constitué un atout majeur pour la sécurité. De plus, la suppression des CHSCT de proximité, qui permettaient des enquêtes au plus près des agents et de mobiliser les élus et responsables d’établissement, en cas de droit de retrait, est un handicap. Ces enquêtes permettaient de déceler des anomalies dans des procédures. Désormais, les CSE sont sur des secteurs plus importants, parfois même nationaux, avec des C2SCT éloignés des collectifs de travail.
Le rapport démontre que le recours à la sous-traitance a explosé, voyant son budget presque doubler entre 2015 et 2020, au sein du groupe. Les enjeux de sécurité sont-ils sauvegardés ?
Forcément, l’accroissement des intervenants implique une multiplication des risques. Le rapport de l’École polytechnique de Lausanne pointait déjà cette problématique dès 2005. En 2023, six morts dans les entreprises sous-traitantes sont à dénombrer. Un autre drame est intervenu en janvier dernier à Toulon. Chez SNCF Réseau, la sous-traitance représente jusqu’à 70 % des investissements de développement et rénovation.
Désormais, la gestion de l’infrastructure peut être confiée à des entreprises privées, comme sur la ligne Nancy-Contrexéville ou celles du nouvel atelier à Villeneuve-Saint-Georges. Le dumping social est le carburant de la concurrence : les effectifs tendus, voire le sous-effectif, entraînent des dégradations des conditions d’exercice du travail en sécurité, qui se rajoutent au renvoi des responsabilités et compétences entre tous les intervenants.
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