ENTRETIEN. Législatives : « Je suis en colère contre le patronat », dénonce Sophie Binet (OF.fr-19/06/24)

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. | THOMAS BRÉGARDIS, OUEST-FRANCE

Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.

Entretien réalisé par Mathilde GOLLA.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.

Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?

La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.

Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.

Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.

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Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?

Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.

On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national— Sophie Binet

Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?

Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre. 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.

Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.

Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.

La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.

Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?

Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.

Comment financer toutes ces mesures ?

Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.

Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?

Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclassement ?

Non, c’est un sujet auquel la CGT est très attachée. Le RN prospère sur cette idée de déclassement et au contraire on veut clairement y répondre. C’est pour ça que c’est très important d’indexer les salaires sur les prix. Ce n’est pas seulement le Smic que l’on veut augmenter, c’est tous les salaires pour garantir la reconnaissance des qualifications.

Mais cela ne nourrit-il pas l’inflation ?

Non, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur les prix. Il n’y a pas particulièrement plus d’inflation mais cela a augmenté les salaires et réduit le chômage. Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.

Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.— Sophie Binet

En plus de vos consignes de vote, qu’allez-vous faire pour faire barrage au RN ?

On va se mobiliser avec les féministes ce week-end, et on va montrer combien le RN est un danger pour les droits des femmes. Nous avons aussi des grèves dans pas mal de professions : l’énergie, la chimie ou l’agroalimentaire, la culture. Elles sont mobilisées ce jeudi 20 juin 2024 et font le lien entre les licenciements, les revendications de salaires et aussi le danger du RN.

Et si le RN arrive au pouvoir, que ferez-vous ?

On met toutes notre énergie pour éviter l’arrivée de Jordan Bardella au pouvoir. On fait monter les luttes pour que le débat se fasse sur les questions sociales et pas sur les enjeux d’immigration. Ensuite on prendra nos décisions par étapes et collectivement, nous savons nous rassembler sur l’essentiel. Mais on ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat.

Le patronat reste très silencieux, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je suis très en colère contre le patronat. Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, car elle est soutenue par les milieux d’affaires. C’est pareil pour le RN, c’est pour ça qu’il rétropédale sur la retraite. Ce sont des milliardaires qui font monter le RN, le rôle de Vincent Bolloré est connu, il a œuvré au rapprochement d’Éric Ciotti avec le RN.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités, il est d’un silence coupable face au danger de la montée de l’extrême droite. Il ne fait que faire primer ses intérêts financiers. Pour une partie du patronat, l’extrême droite n’est plus un problème.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités.— Sophie Binet

Concernant les accusations d’antisémitisme portées contre certains candidats, que dit la CGT ?

Le programme est très clair, il est spécifiquement contre l’antisémitisme et l’islamophobie.

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Source: https://www.ouest-france.fr/economie/syndicats/cgt/sophie-binet/je-suis-en-colere-contre-le-patronat-sophie-binet-de-la-cgt-denonce-un-silence-coupable-a7b3ef40-2e64-11ef-b70d-a349109d0370

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