
Face à l’attaque patronale visant à financer la protection sociale par une TVA sociale, Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT, rappelle l’importance d’en asseoir le financement sur la socialisation d’une partie des salaires.
Entretien réalisé par Naïm SAKHI.
Les cotisations sociales sont-elles encore efficientes pour financer la protection sociale ?
Le débat autour de son financement est inhérent à la création de la Sécurité sociale. Ambroise Croizat, ministre du Travail à la Libération, met en place les cotisations, car elles confèrent aux salariés, au travers de leurs élus, la gestion des caisses de la Sécurité sociale. Si celle-ci était financée par l’impôt, l’État prendrait alors l’ensemble des décisions. C’est le choix fait en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Comme le patronat ne supportait pas d’être écarté de cette gestion, les caisses de Sécurité sociale sont devenues paritaires, avant que l’État ne reprenne la main avec un projet de loi de financement. L’étape supplémentaire est le financement par l’impôt de la solidarité nationale, en dépit des cotisations maladie, au travers d’une TVA sociale.
L’instauration de la CSG n’était qu’une étape de cette fiscalisation. Mais, au-delà du principe politique, le financement de la Sécurité sociale par des cotisations matérialise des droits acquis, pour les salariés, par le travail. La bataille porte donc sur le salaire pour vivre et la partie socialisée pour financer la protection sociale face aux aléas de la vie. En réalité, le patronat cherche à faire baisser les salaires pour maximiser ses marges. Ainsi en l’état, rien ne garantit que la baisse des cotisations sociales se traduira par des hausses salariales. Elles seraient repoussées à des négociations et donc au rapport de force dans les branches ou les entreprises.
François Bayrou a réaffirmé vouloir un « modèle social moins financé par le travail mais davantage sur d’autres facteurs, en particulier la consommation », à travers une TVA sociale. Quid des variations propres au niveau de la consommation de biens et services ?
Des économistes, et pas forcément de gauche, alertent sur les conséquences en cas de forte fluctuation des prix. Que se passera-t-il si les salaires nets stagnent, mais que les prix augmentent ? Les salariés sans épargne seront amenés à moins consommer, impactant les rentrées d’argent pour la protection sociale. L’ex-ministre de l’Économie Bruno Le Maire tablait, dans un livre, sur 60 milliards de baisses de cotisations sociales, compensées par une hausse de la TVA. Cela reviendrait à augmenter cette taxe sur la consommation de 8,6 points, entraînant nécessairement des effets récessifs sur l’activité économique et sur l’emploi.
A contrario, les cotisations ne sont pas fluctuantes en fonction de l’inflation. Le patronat rétorque que les cotisations sont un frein à la compétitivité mondiale. Mais une grande part de l’économie, notamment dans les services, n’est pas soumise à la concurrence internationale. Ensuite, dans l’industrie, le nombre d’emplois a été divisé par deux depuis quarante ans, malgré des politiques favorables au patronat. Ce dernier entend désormais économiser une part entière du salaire brut. Ce dumping social déjà à l’œuvre est une spirale infernale.
Une TVA sociale remettrait-elle en cause le niveau de protection ?
Très clairement, oui. Le problème de la Sécurité sociale n’est pas la dépense mais les recettes. Les dépenses sont connues et vont augmenter avec le vieillissement de la population. Ainsi, les économies faites sur les retraites en augmentant la durée de cotisation ont des conséquences sur la hausse des dépenses d’assurance-maladie. Aujourd’hui, l’exécutif annonce 40 milliards d’économies. Mais, dans le même temps, il pose dans le débat public la suppression d’une recette fiable que sont les cotisations sociales patronales. Cette logique induira forcément des coupes dans les dépenses de la solidarité nationale.
Comment assurer le bon financement de la Sécurité sociale et des retraites sans tomber dans le piège de la fiscalisation de ses recettes ?
Les cotisations sociales doivent être confortées, car elles ouvrent des droits stables et durables aux travailleurs. Et cela passe d’abord par l’augmentation des salaires bruts, mais aussi par la mise en œuvre de l’égalité femmes-hommes, qui dégagerait autour de 33 milliards d’euros de recettes pour l’ensemble des caisses de la Sécurité sociale. Ce n’est pas une paille. De plus, la CGT réclame une refonte et une conditionnalité des exonérations de cotisations sociales. Leur non-compensation pèse sur la solidarité nationale. La Cour des comptes rappelle que 5,5 milliards d’euros compensés, dont 4 milliards sur les primes de participations et d’intéressement non soumises à cotisations, plombent le déficit de la Sécurité sociale.
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