Entretien-« L’homophobie est toujours présente en France » (OF.fr-9/02/25)

Une marche des fiertés à Rennes en juin dernier. | ARCHIVES MATHIEU PATTIER / OUEST FRANCE

L’historienne bretonne Isabelle Le Boulanger publie « Deviens ce que tu es ». Trois générations de femmes et d’hommes témoignent dans ce livre de l’évolution de l’intégration des homosexuels dans la société française, durant ces quarante dernières années. Entretien.

Propos recueillis par Angélique CLERET.

Isabelle Le Boulanger, docteure en histoire contemporaine et chercheuse associée au Centre de recherche bretonne et celtique (Université de Bretagne occidentale), est l’autrice de Deviens ce que tu es : homosexualités d’hier et d’aujourd’hui (éditions Goater, 380 pages, 19,80 €). Une réflexion sur l’identité sexuelle des femmes et des hommes, sur la représentation de l’homosexualité et son intégration en France, au fil de ces quarante dernières années. Si des avancées sont évidentes, les difficultés et les immobilismes de la société ne sont jamais loin. Entretien.

Isabelle Le Boulanger, qui sont ces femmes et ces hommes qui vont ont livré leurs témoignages ?

Le panel de personnes interrogées couvre trois générations : ce sont dix-huit femmes et seize hommes, âgés de 30 à 74 ans au moment où j’ai recueilli leur parole. Ce qui me permet de montrer le chemin parcouru, sur le terrain de l’intégration de l’homosexualité, en quarante années. Je m’étais d’abord adressée à des associations ayant pignon sur rue, mais très peu m’ont répondu. Les associations rennaises David et Jonathan, Femmes entre elles ou Vilaines filles de Nantes m’ont fait rencontrer quelques volontaires. Qui ont ensuite activé leurs propres réseaux.

Vous préférez parler des homosexualités, au pluriel. Pourquoi ?

Il y a plusieurs façons de vivre son homosexualité. Les hommes ne la vivent pas comme les femmes. Les plus âgés ne la vivent pas comme les plus jeunes.

Depuis la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, les homosexuels ont-ils les mêmes droits que les hétérosexuels ?

L’évolution des mentalités s’est accompagnée d’une évolution de la législation. La loi du 4 août 1982 a dépénalisé l’homosexualité, d’autres réformes ont suivi. Les couples de même sexe se sont vu accorder régulièrement de nouveaux droits : se marier, avoir des enfants, les adopter… Le mariage pour tous, autorisé par la loi du 17 mai 2013 est évidemment un progrès, énorme. Il donne l’impression d’une véritable intégration.

Mais les homosexuels subissent toujours un harcèlement ciblé, en particulier sur les réseaux sociaux…

En regardant dans le détail, on observe une augmentation des agressions homophobes. Les chiffres montrent que le taux de suicide est quatre à sept fois plus élevé chez les garçons homosexuels de moins de 25 ans, comparé aux hétérosexuels, selon SOS homophobie. Il existe une relation étroite entre ces tendances et ce qui circule sur les réseaux sociaux. Ces derniers agissent comme une caisse de résonance et propagent des discours de haine. Au moment du mariage pour tous, on a bien vu que toute l’homophobie française est sortie dans la rue. Aujourd’hui, ces personnes sont rentrées chez elles, mais elles existent toujours. C’est une minorité agissante.

Ce mal de vivre se traduit-il autrement chez les femmes ?

L’homosexualité féminine est moins visible. Deux femmes vivant ensemble, on pourra penser que ce sont des copines colocataires, sans imaginer qu’elles vivent une relation amoureuse. Deux hommes sous un même toit, on ne se dira pas que ce sont des potes. Les lesbiennes, moins exposées aux agressions, seraient, cependant, davantage touchées par des épisodes dépressifs graves que les hétérosexuelles.

Isabelle Le Boulanger est docteure en histoire contemporaine et chercheuse associée au Centre de recherche bretonne et celtique (Université de Bretagne occidentale). | COLLECTION PARTICULIÈRE

Dans la préface de votre livre, Jean-Luc Romero, adjoint à la maire de Paris, engagé dans la lutte contre les discriminations, écrit que les homosexuels sont « passés de la clandestinité forcée au combat pour la visibilité ». Comment l’entendez-vous ?

Jean-Luc Romero est un combattant. Mais les homosexuels ne sont pas tous des militants, bien évidemment. En revanche, je dirais qu’il existe un point commun : quand, à l’adolescence, les homosexuels se rendent compte de leur orientation sexuelle, c’est douloureux. Parce qu’à cet âge, on vise plutôt à se fondre dans la masse. Cette découverte reste un passage compliqué à vivre. Cette souffrance est commune à tous.

Malgré l’évolution des mentalités ?

Oui, tous le disent. L’homosexualité n’est pas un choix et cela rend leur adolescence difficile. La famille et l’entourage proche ont un poids considérable, à ce moment-là. Quand les parents sont à l’écoute et compréhensifs, ça se passe mieux, généralement. Le regard des camarades de classe compte. Et le caractère de la personne est aussi un facteur déterminant.

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Les propos homophobes sont réprimés depuis la loi du 30 décembre 2004. Dans le Code pénal, l’homophobie est une circonstance aggravante lors d’une infraction. | ARCHIVES SIMON MAINA / AFP

Les mouvements féministes ont-ils soutenu l’émancipation homosexuelle ?

C’est une vaste question. Les lesbiennes ont été soutenues. Les hommes, qui ont vécu l’épidémie de sida dans les années 1980, l’ont moins été. Or ils restent confrontés à des réactions et des comportements homophobes plus frontaux. Actuellement, les associations LGBTQIA + [le sigle décrit la diversité des identités de genres et orientations sexuelles : lesbienne, gay, bisexuel-le, trans (ou transgenre), queer, intersexe, asexuel-le] ne s’intéressent plus à la cause homosexuelle, estimant que, comme ils ont acquis les mêmes droits que les hétérosexuels, ce n’est plus un sujet.

L’homophobie est un délit, depuis 2004. Et pourtant…

Ce n’est pas réglé, il faut absolument évoluer encore. Les blagues homophobes ont toujours cours, dans les stades de foot, jusque dans les repas de famille. Il est essentiel d’éduquer, dès l’école maternelle. De dire qu’un enfant peut avoir une maman et un papa, ou deux papas ou deux mamans.

L’homoparentalité reste-t-elle taboue ?

Quand on est un couple homosexuel et que l’on veut fonder une famille, il faut être extrêmement motivé. Pour les hommes, la GPA (gestation pour autrui) coûte 100 000 € environ, ce qui ne permet pas à tous d’y accéder. Pour les femmes, les embûches existent aussi, notamment administratives. Et les questions sont nombreuses : comment l’enfant va-t-il grandir ? Leur fera-t-il des reproches ?

Il n’est que temps d’ailleurs de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels comme à tous ses autres citoyens, dans tant de domaines— Robert Badinter, à l’Assemblée nationale, le 20 décembre 1981.

Repères

1791. La Révolution française décriminalise la sodomie, qui pouvait conduire les homosexuels au bûcher.

1982. La loi Forni, rapportée par la députée Gisèle Halimi et soutenue par Robert Badinter, garde des Sceaux, abroge définitivement le « délit d’homosexualité ».

1991. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) raye l’homosexualité de la liste des maladies mentales, supprimée officiellement en 1992 dans la classification internationale.

1999. La loi sur le Pacte civil de solidarité (Pacs) est adoptée. « Le Pacs est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. »

2004. Les insultes homophobes sont pénalisées.

2013. La France est le neuvième pays européen à autoriser le mariage des couples homosexuels.

2024. Un rapport de l’Agence européenne des droits fondamentaux montre qu’en France, 60 % des personnes évitent de tenir la main de leur partenaire du même sexe par peur d’être agressées, un chiffre supérieur à la moyenne dans l’Union européenne (53 %). Or en vertu du droit international des droits humains, la discrimination, le harcèlement et la violence fondés sur l’orientation sexuelle constituent des violations des droits humains.

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Source: https://www.ouest-france.fr/societe/sexisme/entretien-lhomophobie-est-toujours-presente-en-france-7736b068-d3e2-11ef-b406-af013b65761f

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-lhomophobie-est-toujours-presente-en-france-of-fr-9-02-25/

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