Entretien-Pierre Ouzoulias : « Les écoles privées catholiques sont protégées par des élites locales » (H.fr-16/02/25)

Pour Pierre Ouzoulias, les mensonges de François Bayrou sur le scandale de Bétharram remettent en cause sa légitimité à rester premier ministre. © Philippe LOPEZ / AFP

Pierre Ouzoulias, vice-président PCF du Sénat, dénonce la protection politique dont profitent les établissements privés sous contrat. Il plaide pour un contrôle resserré de l’État sur la pédagogie et les programmes de ces écoles.

Entretien réalisé par Léa PETIT SCALOGNA.

François Bayrou nie avoir été au courant des faits de viols et de violences subis par 114 plaignants lorsqu’ils étaient scolarisés au collège-lycée Notre-Dame de Bétharram, malgré de nombreux faits témoignant du contraire. Doit-il démissionner ?

Le premier ministre a une responsabilité morale dans cette affaire car, comme beaucoup, il savait et il n’a rien dit. C’est à lui de considérer s’il est toujours légitime à occuper son poste de chef du gouvernement malgré le fait qu’il ait caché une partie de la vérité.

Il s’agit d’une question de conscience personnelle qui ne regarde que lui. Je ne demande pas sa démission, car ce serait trop facile : cela ne réglera pas les problèmes structurels que posent les établissements privés catholiques.

Notre-Dame de Bétharram, Stanislas, Immaculée-Conception… Les révélations de scandales se multiplient dans ce genre d’établissements. D’où vient le problème ?

Ces établissements profitent d’une impunité et d’une omerta qui protègent les auteurs de violences. Les affaires sont pléthores et les sanctions, rarissimes. En novembre dernier, la rectrice de Bordeaux a suspendu le directeur de l’établissement privé catholique de l’Immaculée-Conception à cause d’une atteinte à la laïcité, alors même qu’il est sous contrat avec l’Éducation nationale.

La droite avait vivement protesté, estimant que cette décision était scandaleuse et que la rectrice était impliquée politiquement dans le dossier. Une rhétorique bien connue refaisait alors surface : quoi qu’il arrive, l’Église a raison. Elle s’occupe de ses affaires et il ne faudrait pas intervenir. L’État est très accommodant avec les écoles catholiques, mais d’une grande sévérité avec leurs équivalents musulmans.

Ces écoles privées catholiques n’accueillent que l’élite, comme c’est le cas pour Stanislas. Il s’agit d’un entre-soi sélectif qui opère un séparatisme avec l’école publique. Ces établissements profitent ainsi d’une protection politique à laquelle les autres ne peuvent pas prétendre. Ils sont couverts par les élites locales, dont François Bayrou. La question républicaine qui consiste à interroger la scission entre le public et le privé est, en fait, un conflit de classe. Nous ne pouvons plus les laisser bâillonner les victimes.

Que faudrait-il faire ?

L’urgence est d’entamer un travail de recensement pour permettre la libération de la parole. Il s’agit de dire à celles et ceux, victimes de violences sexuelles : « Vous pouvez livrer votre témoignage, nous vous écouterons. » Nous sommes dans une période de bascule où l’omerta qui régnait jusqu’à présent est dénoncée.

Pour le cas spécifique des écoles privées, il nous faudrait le même type de travaux que ceux réalisés dans le cadre des violences sexuelles dans l’Église catholique, réalisés par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Un rapport volumineux a pu recenser plus de 330 000 enfants victimes entre 1950 et 2020 en France et 3 000 religieux auteurs de ces actes.

Ces écoles sont censées être sous le contrôle de l’État. Le sont-elles réellement ?

Il est nécessaire de changer fondamentalement les rapports entre l’enseignement catholique et l’État. Ces établissements sont sous contrat. Cela signifie que lorsque les termes ne sont pas respectés, l’accord se trouve caduc. Dans les faits, le contrat devient une forme de franchise où l’école finit par éduquer comme elle le souhaite. L’État ne respecte pas son devoir de contrôle et cela produit les dérives que nous connaissons.

Il nous faut enfin obtenir le respect et l’application concrète de la loi Debré (loi adoptée le 31 décembre 1959, qui instaure un système de contrats entre l’État et les écoles privées, soumises au contrôle de l’Éducation nationale – NDLR), avant même d’en créer une nouvelle. Le texte octroie un « caractère propre » à ces établissements. J’ai posé plusieurs fois la question au ministre de l’Éducation nationale : qu’entend-on par là ?

Cette notion n’a jamais été clairement définie et cette inexactitude permet aujourd’hui un laisser-faire qui ne peut plus durer. Les établissements devraient rendre des comptes, expliquer leur pédagogie et certifier que leurs programmes sont bien ceux de l’éducation nationale. À Stanislas, les cours censément facultatifs comme le catéchisme étaient rendus obligatoires, intégrés dans le cursus, en milieu de journée.

Nous devons faire une distinction claire entre le programme national obligatoire et les enseignements religieux facultatifs. Pour rappel, ces établissements sont subventionnés par l’État à hauteur de 80 %. La République ne doit pas financer une école qui piétine ses valeurs.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/ecoles-privees/pierre-ouzoulias-les-ecoles-privees-catholiques-sont-protegees-par-des-elites-locales

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