
La présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale tient la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon pour « une provocation ». Si le nouveau Premier ministre ne sollicite pas un vote de confiance des députés, les Insoumis déposeront une motion de censure spontanée contre lui. Et ils continuent à appeler au départ du chef de l’État.
Entretien réalisé par Stéphane VERNAY.
Les Insoumis considèrent qu’Emmanuel Macron « n’a plus aucune légitimité pour continuer sa politique » et veulent obtenir son départ. La nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre est vue par LFI comme « une provocation », qu’ils ne laisseront pas passer. Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale, ne veut pas d’une nouvelle dissolution – « ça ne réglerait rien » – mais obtenir une élection présidentielle anticipée. Elle a déposé une motion de destitution du président de la République, signée par 86 députés, mardi 9 septembre.
Vous vous attendiez à une nomination aussi rapide de Sébastien Lecornu ?
Mathilde Panot : Le message envoyé par Macron est clair : il continuera coûte que coûte la même politique pour les riches que celle menée depuis huit ans. Sébastien Lecornu est le premier et le dernier soutien d’Emmanuel Macron. Ministre depuis 2017, il est celui qui a enterré les revendications des Gilets Jaunes, qui a réprimé les mobilisations populaires en Guadeloupe, il est le ministre qui a exporté des armes à Netanyahou qui commet un génocide à Gaza. Mais c’est aussi celui qui a cédé devant Trump et promis 5 % du PIB à l’Otan et aux États-Unis. François Bayrou gouvernait avec le soutien du Rassemblement National, Sébastien Lecornu, lui, dîne secrètement avec Le Pen et Bardella.
Nommer un nouveau Premier ministre à la veille du mouvement « Bloquons tout » est-il de nature à affaiblir ou encourager la mobilisation ?
La nomination à Matignon de Sébastien Lecornu à la veille du mouvement du 10 septembre est une provocation. Emmanuel Macron n’a plus aucune légitimité pour continuer sa politique. La censure de Bayrou et son gouvernement n’étaient pas juste une censure de leurs personnes mais de toute leur politique. Face à ce déni de démocratie et ce mépris du peuple, la mobilisation doit donc encore s’accroître. Il n’y a pas d’alternative au départ d’Emmanuel Macron.
« Si Sébastien Lecornu refuse de demander un vote de confiance, nous déposerons une motion de censure. »
Déposerez-vous immédiatement une motion de censure spontanée contre Sébastien Lecornu ?
Puisque François Bayrou a demandé un vote de confiance à l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu devra lui aussi se plier aux usages démocratiques et républicains. S’il refuse de le faire, oui, nous déposerons immédiatement une motion de censure spontanée. Le président de la République n’écoute rien ni personne. Deux tiers des députés ont voté lundi contre la politique du gouvernement Bayrou, ce qui veut dire que la politique macroniste est minoritaire dans le pays comme à l’Assemblé. Remettre un clone à Matignon pour continuer la même politique, c’est l’imposture de la macronie qui s’illustre. On ne peut pas avoir un Président aussi impopulaire qui continue à gouverner comme si de rien n’était.
La motion de destitution contre le Président, que vous avez déposée mardi, a-t-elle la moindre chance d’aboutir ?
Plusieurs constitutionnalistes estiment aujourd’hui que le refus de respecter le sens du vote des Français après les législatives de 2024 peut être interprété comme « un manquement à ses devoirs ». Nous ne sommes par ailleurs plus les seuls à demander sa destitution, des députés communistes et écologistes apparentés ayant cosigné notre motion cette fois-ci. Et vous avez des personnalités d’autres partis, comme l’ex-Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, Valérie Pécresse, Jean-François Copé, ou David Lisnard, président de l’Association des maires de France, qui ont publiquement appelé à la tenue d’une élection présidentielle anticipée. On ne peut pas attendre 2027. Il faut qu’un acte soit posé qui permette de sortir de l’impasse dans lequel Emmanuel Macron a mis le pays. Le chaos, c’est lui. Il doit démissionner ou être destitué pour que les Français et les Françaises puissent retourner aux urnes le plus rapidement possible, et trancher. C’est la démocratie.
Cet « acte pour sortir de l’impasse », ce peut être la dissolution de l’Assemblée, comme le demande le Rassemblement National ?
Ça ne réglerait rien. D’abord parce qu’on a un président de la République qui ne respecte pas le résultat du vote quand celui-ci ne l’arrange pas, et parce que rien ne dit que des législatives anticipées permettraient de dégager une majorité absolue. Ce n’est pas l’Assemblées nationale, le problème. Le problème, c’est d’avoir un président de la République qui refuse obstinément d’entendre que les Français et les Françaises rejettent la politique de malheur qu’il mène depuis huit ans maintenant.
Emmanuel Macron a clairement montré qu’il ne souhaitait pas que la gauche puisse gouverner.
Des élections anticipées, qu’elles soient législatives ou présidentielles, ne profiteront-elle pas avant tout au Rassemblement national ?
Non, d’abord parce que nous avons fait mentir 27 sondages sur 27 l’année dernière qui donnaient l’extrême droite en tête. Avec une mobilisation massive dans les urnes, nous avons gagné. Ensuite parce que je crois qu’il y a une passion de l’égalité et une soif de justice sociale dans ce pays qui n’est absolument pas ce que porte le Rassemblement national. Le RN a peur – je reprends les mots d’un de ses porte-paroles – du mouvement du 10 septembre et n’y participe pas. C’est le RN qui a permis à monsieur Bayrou de présenter le pire budget du XXIe siècle en refusant par huit fois de censurer son gouvernement. C’est le RN qui a empêché l’examen de la motion de destitution du Président que nous avions présenté l’an dernier, Marine Le Pen ayant voté contre en conférence des présidents. Le Rassemblement national est l’assurance-vie du système.
La gauche peut gagner sans union ? Y aura-t-il à nouveau un « barrage républicain » ?
Le barrage républicain a été mis à mal par la macronie elle-même, qui a une responsabilité historique dans la montée de l’extrême droite, en reprenant sa rhétorique, une partie de son discours, voire de son programme, comme la loi immigration, votée grâce aux voix du RN, ou les attaques contre l’aide médicale d’État. Je vous rappelle qu’il n’y avait que huit députés d’extrême droite à l’Assemblée en 2017, 89 en 2022 – ce qui était déjà un record – et 142 depuis les législatives de 2024. Le Parti socialiste, en reniant le programme du Nouveau Front populaire après avoir obtenu des sièges de député, a également créé du dégoût politique parmi les électeurs qui s’étaient mobilisés contre le RN.
La rupture est consommée avec le PS ?
Les Socialistes viennent de donner l’impression de vouloir décrocher des places à tout prix dans des ministères. Il n’y a qu’à voir leur « contre-budget » : il ne comporte ni retour de l’impôt de solidarité sur la fortune, ni hausse du Smic, ni abrogation de la retraite à 64 ans. Quand ils parlent de la « suspension » de la réforme Borne, ça veut dire qu’ils sont favorables à la retraite à 63 ans. C’est ça qu’ils proposent au pays. Ils ont abandonné le programme du NFP qu’ils ont signé, non pas il y a 15 ans, mais il y a seulement un an. Ils ont fait comme si la chute du gouvernement Bayrou remettait tous les compteurs à zéro, feuille blanche, alors qu’Emmanuel Macron a clairement montré qu’il ne souhaitait pas que la gauche puisse gouverner. Ceux qui ont pensé qu’un Président qui a laissé Bruno Retailleau devenir ministre de l’Intérieur pourrait nommer un Premier ministre de gauche sont extrêmement naïfs. Ils croient aux poissons volants et n’ont aucune espèce de consistance.
Nous continuerons de faire offre d’alliance à ceux qui le souhaitent, s’ils ne renient pas le programme du Nouveau Front populaire.
Ça veut dire que le Nouveau front populaire est définitivement mort et enterré ?
Non, ce que je suis en train de vous dire c’est que, nous, nous resterons fidèles à un programme de rupture. Nous continuerons de faire offre d’alliance à ceux qui le souhaitent, à condition qu’ils ne renient pas le programme du Nouveau Front populaire. Il n’y a pas que les Socialistes dans la vie. Je le dis parce qu’il ne faut pas non plus désespérer les gens. Derrière toutes ces considérations sur l’union (ou pas) de la gauche se cache une machine à désespérer. Un discours qui consiste à dire que si on n’est pas unis, tous ensemble, on n’y arrivera jamais. Ce qui n’est pas vrai.
Ce n’est pas mathématiquement impossible ?
Non. Regardez l’élection de Mitterrand, en 1981. Socialistes et communistes n’étaient pas unis [Georges Marchais, candidat du PCF, avait fait 15 % des voix au premier tour, ndlr]. Prenez 2022. On a raté le second tour à 420 000 voix près. À 420 000 voix, nous éliminions l’extrême droite, ce qui aurait donné une tout autre ambiance au débat politique du pays. Nous avons fait 22 % et tous les autres, moins de 5 %. Le PS, je le rappelle, a fait 1,67 % des voix. La question de la primaire a été tranchée à ce moment-là, en quelque sorte. C’est nous qui avons fait l’union. C’est nous qui continuerons à la faire avec toutes celles et ceux qui seront pour un programme de rupture. Nous, nous ne trahirons pas nos convictions pour un poste dans un ministère.
« Nous préconisons de faire exactement l’inverse de François Bayrou pour le budget. »
Pourquoi n’avez-vous pas présenté de « contre-budget », comme le PS et Les Écologistes ?
Parce que nous préparons autre chose, un budget pensé pour les cinq prochaines années, qui ressemblera plus à un chiffrage complet comme on le fait pour les campagnes présidentielles qu’à une série de mesurettes conçues pour contrecarrer le plan Bayrou. Il sera basé sur la relance écologique et sociale, en rupture avec la logique de la politique de l’offre d’Emmanuel Macron. Il sera présenté d’ici la fin du mois.
Une politique de relance, et non d’économies pour résorber les déficits ?
Le principal danger que faisait peser le budget Bayrou sur le pays, c’était un risque de récession. Nous pensons, nous, au contraire, qu’il faut relancer la consommation populaire, qui fait l’essentiel (53 %) de la croissance française. C’est elle qu’il faut relancer. Si la consommation populaire s’effondre, ce sont les restaurateurs, les artisans, les petites et moyennes entreprises qui plongent en premier. On a eu 66 000 défaillances d’entreprises l’an dernier, principalement des PME, un record absolu. Nous préconisons donc de faire exactement l’inverse de ce qu’a présenté François Bayrou.
Vous êtes pour une réduction des déficits par une augmentation des recettes liées à l’activité ?
Liées à l’activité et aux taxations des plus riches, parce qu’on n’a pas un problème de dépenses de l’État mais un problème de baisse de ses recettes. Prenez la proposition de supprimer deux jours fériés, qui a fait l’unanimité contre elle. Elle était censée rapporter 4 milliards d’euros, soit l’équivalent de ce que rapportait l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avant sa suppression. Les Françaises et les Français devraient payer les cadeaux qui ont été faits aux plus riches depuis 2017 ? Pas question ! Nous, nous mettrons en place la taxe Zucman sur les hauts patrimoines et nous obligerons les multinationales qui font des bénéfices en France à payer leurs impôts en France. La logique de notre budget sera d’abord de répondre aux besoins du pays, en réinvestissant dans la santé, l’éducation, les services publics, l’écologie. Ce sont les grands défis dont on devrait parler plutôt que des petits arrangements de couloir politiciens.
« Ce qui met en danger la République et l’unité du peuple de France, c’est l’extrême droite. »
La France insoumise et sa radicalité ne font pas plus peur, aujourd’hui, à tout un pan de l’électorat que le Rassemblement national ?
Si vous voulez dire qu’on nous diabolise beaucoup, oui, je vous le confirme. Et cette diabolisation de la France Insoumise va de pair avec une forme de banalisation de l’extrême droite. Le danger, ce n’est pas nous. Ce qui met en danger la République et l’unité du peuple de France, c’est l’extrême droite. Ce sont eux qui montent les gens les uns contre les autres. Souvenez-vous du mot d’ordre des années 1930, « Plutôt Hitler que le Front Populaire », et tout ce qu’a provoqué ce discours.
Vous ne craignez pas que votre mouvement soit tenu pour responsable en cas de débordements autour de « Bloquons tout » ?
Quand Bruno Retailleau annonce qu’il n’y aura aucune tolérance concernant d’éventuels débordements, que 80 000 policiers vont être déployés ce mercredi 10 septembre, c’est pour faire peur à celles et ceux qui veulent se mobiliser. Nous, nous essayons de faire en sorte que le peuple soit de retour en politique. Qu’il récupère son pouvoir et sa souveraineté, notamment en retournant aux urnes. C’est à la révolution citoyenne que nous appelons. Nous invitons les gens à bloquer l’économie, pas à la violence sur les personnes, en leur rappelant que tout débordement pourra être utilisé par le pouvoir pour les discréditer. Mais depuis des années, ce sont les puissants qui exercent leur violence de répression et de criminalisation sur les gens. Encore lundi à Clermont-Ferrand, un simple apéro de fête du départ de Bayrou a été dispersé sans aucune raison par des gaz lacrymogènes.
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