
Comme Éric Zemmour, vous êtes un gros raciste condamné plusieurs fois pour vos propos ? Pas de problème, vous pouvez passer toutes les semaines sur le service public pendant 10 ans, et même faire carrière en politique. Comme Arthur, vous avez agressé sexuellement des dizaines de femmes dans vote émission ? Aucun soucis, votre carrière n’en sera pas écornée. Comme Patrick Poivre d’Arvor, vous avez utilisé votre statut de présentateur vedette pour violer pendant des années ? Impunité garantie. Comme Jean-Marc Morandini, vous avez été condamné pour des actes pédophiles ? Rassurez-vous, une chaîne d’extrême droite vous offre du boulot.
Par contre, si vous avez le malheur d’être un humoriste d’origine maghrébine portant une barbe, attention ! Un seul passage à l’antenne peut provoquer une véritable chasse à l’homme, et entraîner votre licenciement express.
C’est ce qu’il s’est passé pour Merwane Benlazar, 29 ans, comédien formé aux côtés de Kheiron et de Gad Elmaleh, et qui a déjà réalisé des chroniques sur France Inter. Le 31 janvier, il passait pour la première fois dans l’émission Càvous, sur France 5. Il y livrait un petit sketch sur l’actualité, évoquant la Ligue des Champions ou Bernard Arnault, suscitant des rires en plateaux. Jusqu’ici, une histoire anodine.
Mais voilà, Merwane Benlazar porte une barbe et un bonnet, et il a la peau mate. En 2025, en France, c’est suffisant pour déclencher un scandale national.
Cnews, toujours dans les bons coups, a lancé la charge, avec une avocate d’extrême droite qui a dénoncé le prétendu «look salafiste» de l’humoriste, et affirmé que «par cette séquence, une étape importante de la conquête islamiste a été franchie. Le choix délibéré de cette tenue notoirement identifiée comme salafiste est un message fort». Un bonnet et une barbe sur un blanc, c’est un style hipster, sur un arabe, c’est quasiment du terrorisme.
La «chercheuse» islamophobe Florence Bergeaud-Blackler, récemment décorée par Macron, prétend : «Pour moi, il est en mission», dans les colonnes du média d’extrême droite Boulevard Voltaire.
À une vitesse folle, des internautes ont fouillé la vie du jeune humoriste et déterré des messages publiés pour certains en 2013, alors qu’il était mineur. Certains sont de mauvais goût et avec des relents misogynes. Par exemple, dans le cadre d’un échange avec une amie, Merwane Benlazar évoque «la place d’une femme» qui serait «à la demeure auprès de son père». Ce tweet a été sorti de son contexte, puisque la jeune femme à qui Merwane Benlazar répondait à l’époque assure qu’il s’agissait d’ironie dans le cadre d’une discussion teintée d’humour, et non d’un rappel à l’ordre religieux. Dans tous les cas, ce message reste infiniment moins grave que les propos et les actes d’autres figures médiatiques ayant commis des agressions bien réelles, citées plus haut.
Pourtant, l’offensive lancée par l’extrême droite prend une ampleur folle sur les réseaux sociaux et dans les médias. La macroniste Nathalie Loiseau tweete : «Au nom de toutes les femmes, de leur liberté, de leurs droits chèrement gagnés ici et bafoués par les islamistes partout à travers le monde, une seule question : Pourquoi ?» avec la photo de l’humoriste. Nathalie Loiseau est une ancienne militante du GUD, un groupe néo-nazi. Bizarrement, son « féminisme » ne concerne pas ses petits camarades anti-IVG et intégristes.
Cette polémique délirante est même devenue une affaire d’État ce mercredi 5 février. La ministre de la culture en personne, lors d’une intervention au Sénat, a annoncé le licenciement de Merwane Benlazar. Rachida Dati a déclaré : «Y avait-il quelque chose de répréhensible dans la chronique? Non. L’Arcom n’a donc pas à être saisi. Cet humoriste a par ailleurs tenu des propos scandaleux (sur X) il ne sera plus à l’écran». La ministre reconnaît donc elle-même que son éviction n’a rien à voir avec son sketch, et évoque confusément des tweets vieux de plusieurs années pour justifier cette censure.
Ce prétexte n’abusera personne. Dans le même gouvernement, Bruno Retailleau, proche des catholiques réactionnaires et anti-LGBT notoire, n’est pas visé par de pareilles critiques. Merwane Benlazar a été viré parce qu’il est vu comme un arabe, avec une barbe et un bonnet. Ainsi, en quelques jours, l’extrême-droite est parvenue à faire licencier un humoriste sur des critères racistes.
La militante néofasciste et chroniqueuse chez Bolloré Juliette Briens s’est félicitée : «Le salafiste est viré. C’est bien. En Angleterre ça serait jamais arrivé». Nathalie Goulet, sénatrice centriste, qui avait demandé le licenciement de l’humoriste qu’elle qualifie également de «salafiste» a salué : «Le service public ne pourra plus embaucher de chroniqueur ayant un look “islamique” rien n’est anodin».
L’humoriste avait lui même prophétisé ce qui allait arriver, dans un sketch sur la psychose islamophobe qui règne en France. Lors d’un spectacle, il avait ironisé : «Avant j’étais arabe sans barbe. Et j’ai laissé pousser un peu la barbe car juste arabe en France c’est trop facile. Moi il me faut des vrais défis». Évoquant les remarques sur son apparence, il avait conclu par une vanne : «J’ai peur de leur dire la vérité : c’est le résultat de quatre mois à regarder Vikings».
Cette affaire en rappelle une autre : celle du harcèlement raciste de la journaliste Nassira El Moaddem. Le 1er mai dernier, sur la chaîne Cnews, le député du RN Julien Odoul réclamait que la journaliste «quitte la France». Son tort ? Avoir dénoncé en ligne un «pays de racistes dégénérés». Pendant des jours, la journaliste qui a travaillé pour Radio France, le Bondy Blog puis pour Arrêt Sur Image, avait été la cible d’une campagne concertée de l’empire Bolloré.
En boucle, l’émission de Cyril Hanouna a traîné dans la boue la journaliste, les plateaux de Cnews ont commenté ses tweets pendant des heures, en exposant son visage à l’écran, en réclamant son licenciement, en répandant des mensonges… les influenceurs Reconquête ont aussi ouvert une cagnotte abjecte «pour payer le billet d’avion».
Et le pire, c’est que France Inter, qui était son ancien employeur, s’est désolidarisé dans un communiqué, disant «nous avons bien reçu vos messages [réclamant le licenciement de la journaliste] et nous les comprenons» et précisant qu’elle «n’est pas, à ce jour, salariée de l’antenne ou de Radio France». Le message envoyé était catastrophique.
Cela rappelle aussi les campagnes régulières qui visent le rappeur Médine, lui aussi sur la base de sa barbe, et bien d’autres artistes et personnalités médiatiques non-blanches.
Comme le soulignait Nassira El Moaddem : «La vérité n’est pas leur problème. Leur objectif, faire un strike : harceler une Arabe et s’en prendre au service public de l’information». Un harcèlement en meute qui porte donc ses fruits.
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Source: https://contre-attaque.net/2025/02/06/epuration-mediatique-et-racisme-systemique/
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