
L’année dernière, il a suffi qu’une dizaine d’adolescentes portent des robes amples au lycée pour que toute la France retienne son souffle, que les médias parlent en boucle de «l’abaya» à l’école et que le gouvernement prenne un décret d’interdiction. Il a suffi de prêches d’imams rétrogrades pour que le sujet fasse la Une pendant des jours et que les religieux soient expulsés sans autre forme de procès. Il a suffi de quelques prières musulmanes dans l’espace public faute de place dans une mosquée pour que la police soit envoyée et que toute la classe politique s’indigne du «prosélytisme».
Cette fois-ci, la prière de rue bien réactionnaire n’a pas indigné les médias dominants. Le 7 octobre, une centaine de catholiques d’extrême droite se sont réunis sur une passerelle parisienne pour prier et «réparer» les prétendus blasphèmes qui auraient été commis, selon eux, pendant la cérémonie des Jeux Olympiques en juillet. À l’époque, les intégristes du monde entier s’étaient enflammés après la prétendue reconstitution de la Cène par des drag queen et l’artiste Philippe Katerine maquillé en bleu, lors du spectacle d’ouverture. Une scène qui évoquait tout autant le dieu Dionysos et les banquets de l’antiquité grecque.
Mais ce spectacle avait provoqué la colère de toute la droite réactionnaire, qui avait hurlé au blasphème, à la «propagande LGBT», au «satanisme» et à la «christianophobie». Thomas Jolly, le concepteur du spectacle, avait reçu des milliers d’insultes et de menaces de mort. Quand il s’agit de caricaturer Mahomet et la religion musulmane, tout le monde invoque le «droit au blasphème», principe sacré de la France «laïque», mais cela s’arrête lorsqu’il s’agit du christianisme. Deux poids deux mesures.
Ainsi, le site d’extrême droite le Salon Beige, proche du média Cnews, s’est félicité à propos de la prière du 7 octobre : les «nombreux jeunes présents ce lundi 7 octobre demandèrent à la vierge Marie son aide pour combattre les ennemis de l’Église, comme elle le fit lors de la bataille de Lépante !». Lépante, c’est une référence à une bataille navale entre Chrétiens et Ottomans au 16ème siècle. En priant contre un spectacle, ces gens s’imaginent en pleine croisade ou dans une guerre de religion. Bientôt, l’extrême droite inventera le concept d’«islamo-drag-queen».
Christine Boutin, ancienne ministre de Sarkozy, s’est enflammée : «Je ne connaissais pas cette action de réparation. Merci à ceux qui ont pris l’initiative qui permet de remettre les choses à l’endroit […] On peut continuer». Tout cela pourrait faire rire ou pitié si ce n’était pas révélateur.
On rappellera que le blasphème n’existe pas en droit français, que l’espace public n’a pas à être privatisé à des fins religieuses et que les prières de rue sont interdites. Mais avec ce gouvernement issu de la Manif pour Tous, et en particulier le ministre de l’Intérieur (et des cultes) Retailleau, lui-même catholique d’extrême droite vendéen, il n’y a aucune chance pour que cet événement soit dénoncé. Nos dirigeants sont des laïcs à géométrie variable.
Il y a un siècle, la laïcité était le droit de croire ou de ne pas croire, mais surtout d’être protégé quelle que soit sa foi, dans un pays qui avait longtemps été contrôlé par l’Église catholique et traversé par des guerres de religions sanglantes.
Cette laïcité, émancipatrice à l’origine, a brutalement changé de sens dans la France actuelle : elle ne sert plus qu’à orienter le débat public vers les obsessions islamophobes, alors même que l’on retrouve des catholiques intégristes à la tête d’empires médiatiques, comme Bolloré, dans les cercles de pouvoir… et dans les rues de Paris.
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