« Face au piège de la commission d’enquête » sur les aides publiques aux entreprises, la mauvaise foi de Bernard Arnault (H.fr-21/05/25)

Face aux sénateurs de la commission d’enquête sur les aides publiques aux entreprises, Bernard Arnault s’est emporté en niant les baisses d’effectifs chez LVMH et la stratégie d’optimisation fiscale du groupe. © Firas Abdullah / ABACA

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises mercredi 21 mai, le patron milliardaire du groupe LVMH s’est emporté contre les sénateurs, renâclant à reconnaître la baisse dans ses effectifs et niant toute optimisation fiscale. Une audition qui a donné lieu à une passe d’armes avec Fabien Gay.

Par Pierric MARISSAL.

Très attendue, l’audition de Bernard Arnault par la commission sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques a démarré par une passe d’armes musclée. L’homme le plus riche de France s’est retrouvé contrit que l’Humanité fasse sa Une du jour sur les 1 200 suppressions de postes dans les maisons de Champagne et de Cognac, propriétés de son groupe, et a profité de cette tribune solennelle pour s’en plaindre.

Avant de répondre à toute question, il a accusé le rapporteur, qui se trouve être le directeur du journal, de l’avoir attaqué, bien que les articles publiés ce jour n’aient pas de rapport direct avec le sujet de la commission d’enquête : les aides publiques aux grandes entreprises. « J’ai été choqué aujourd’hui de voir que le rapporteur de votre commission a trouvé opportun dans son journal de dire que le secteur d’activité que je représente – le luxe – sabrait l’emploi, alors que c’est précisément le contraire, s’est-il énervé. Je vais poser une question : pourquoi votre journal a titré avec quelque chose qui est faux ? »

Mis en cause, Fabien Gay a rétorqué qu’il ne tenait pas le stylo des journalistes de L’Humanité, « comme vous-même » a-t-il ajouté, avant toutefois de pointer la double page publiée fort à propos lundi par Les Échos – propriété de Bernard Arnault – titrée « les patrons face aux pièges des commissions d’enquêtes ». Particulièrement saignant, ledossier prenait la défense des dirigeants d’entreprises interrogés par les sénateurs, assimilant les parlementaires à des « inquisiteurs » adeptes de « démagogie politique ». Un article peu amène comparait même la commission d’enquête sénatoriale au « tribunal révolutionnaire de Robespierre ».

TVA et mauvaise foi

Les sénateurs sont parvenus à recentrer le sujet. Ont pu être évoqués les aides publiques touchées par LVMH en France : 64,5 millions d’euros de crédit d’impôt en 2023 et 193 millions d’euros de baisses de cotisations, que la direction du groupe a mis en relation avec les 6 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés payés dans le monde, dont la moitié en France.

Fabien Gay est revenu à la charge, citant les hausses des dividendes et le plan de rachat d’action : « Comprenez-vous que cela puisse choquer qu’un groupe aidé et qui distribue massivement de l’argent à ses actionnaires, supprime 1 200 postes ? » Bernard Arnault a à nouveau contesté le terme, quand son bras droit s’est contenté de justifier qu’il était normal de rémunérer les actionnaires. Le PDG a tenu à opérer une distinction assez incompréhensible entre « postes » et « emplois », pour minorer l’ampleur de la casse sociale programmée dans son groupe.

L’homme le plus riche de France a tenu à se donner le beau rôle, insistant sur le fait que son groupe était « le plus patriotique » du pays au motif, notamment, qu’il a versé 15 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés au cours des dix dernières années. Ce couplet patriotique était évidemment une réponse à la polémique suscitée par ses critiques répétées contre la fiscalité française et ses déclarations d’amour pour l’Amérique trumpiste.

En parcourant le dernier rapport annuel de LVMH, on s’aperçoit qu’en réalité, le « fleuron » tricolore est de moins en moins implanté dans l’Hexagone : 18 % seulement de ses effectifs totaux y sont basés, soit 39 351 salariés sur 213 268 ; contre 24 % en Asie ou 22 % en Europe. C’est encore pire pour ses ventes, puisque LVMH ne réalise en France que 8 % de son chiffre d’affaires.

Fut ensuite évoqué le sujet des achats faits par détaxe. François-Henri Pinault, auditionné la semaine dernière, avait reconnu que 20 % des ventes du groupe Kering en France sont réalisées avec ce mécanisme où la TVA sur les produits de luxe est remboursée à l’acheteur. Chez LVMH, 20 % et 25 % des 7 milliards d’euros réalisés en France sont également ainsi détaxés. « Ce n’est absolument pas une aide fiscale, même indirecte », s’est défendue la direction, en citant une étude britannique, pour assurer que le coût de l’arrêt de la détaxe serait bien pire, en termes de perte d’attractivité, que son maintien.

Plus généralement, le milliardaire a nié catégoriquement toute optimisation fiscale et encore moins évasion, malgré la présence de LVMH dans les scandales LuxLeaks et Paradise Papers, publiés par Le Monde. « Se faire accuser d’optimisation fiscale alors que nous sommes le groupe qui paie le plus d’impôts ? » s’est-il offusqué. « Le Monde est un journal LFIste, et je vous le dis, ce qu’il y a le mieux dedans, ce sont les mots croisés ». Son gendre, Xavier Niel, actionnaire du Monde, appréciera.

  • Voici l’intégralité de l’audition de Bernard Arnault par la commission d’enquête du Sénat :

Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/aides-publiques/se-faire-accuser-doptimisation-fiscale-alors-que-nous-sommes-le-groupe-qui-payons-le-plus-dimpots-la-mauvaise-foi-de-bernard-arnault-face-au-senat

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/face-au-piege-de-la-commission-denquete-sur-les-aides-publiques-aux-entreprises-la-mauvaise-foi-de-bernard-arnault-h-fr-21-05-25/

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