Fédération indienne : l’État communiste du Kerala met fin à l’extrême pauvreté, par Diagne Fodé Roland. (23/03/25)

Par Diagne Fodé Roland

Le premier ministre du Kerala, Pinarayi Vijayan, a annoncé lors du congrès du Parti Communiste Indien Marxiste (PCIM) que l’État du Kerala, 35 millions d’habitants, éradiquera l’extrême pauvreté en novembre 2025. Le Kerala dirigé par les communistes sera le 1ᵉʳ état de l’État fédéral indien à réaliser cet objectif socio-économique après s’être révélé le plus efficace des 29 États de la Fédération Indienne dans la lutte contre la pandémie du covid tout comme la Chine, le Vietnam et Cuba l’ont été à l’échelle mondiale.

Malgré le sous-développement des réalisations socio-économiques majeures

Cette annonce fait suite à une politique socio-économique antilibérale qui fait que « tous les enfants, sans distinction de sexe ni de caste, sont scolarisés jusqu’au niveau équivalent de fin de collège; 98 % des enfants ont une école à moins de 2 km. La gratuité inclut les livres scolaires, les uniformes, le déjeuner et les transports. Cette politique d’éducation gratuite pour tous a déjà bénéficié à deux générations et se traduit actuellement par un taux d’alphabétisation de la population de 94%, 92% pour les femmes et 96% pour les hommes, loin devant les taux nationaux indiens de 48,3% pour les femmes et 60% pour les hommes. Sept grandes universités accueillent un nombre croissant d’étudiants pour des études supérieures de qualité. L’État du Kerala est reconnu aujourd’hui comme le seul État de l’Inde complètement alphabétisé et comme un pôle culturel exceptionnel » (Anny Fradin, docteure en Biologie, Université de Paris Sud).

Refusant les diktats de la mondialisation libérale « le système de santé publique universel et gratuit unique (qui) a fait passer l’espérance de vie au Kérala à 77 ans, la moyenne en Inde étant de 67 ans; 95% des accouchements se font en hôpital, avec une offre de soins aux enfants très développée, ce qui a permis d’abaisser la mortalité infantile à 12/1000, contre 55/1000 en Inde (en comparaison, elle est de 6/1000 dans les pays développés). Les hôpitaux sont nombreux, y compris en zones rurales, avec un personnel hautement qualifié, des traitements médicaux innovants et une offre de soins palliatifs exceptionnelle. Un grand programme de planification familiale a permis d’éliminer la discrimination filles/garçons sévissant dans le reste de l’Inde et de faire diminuer fortement le taux de natalité (14,6/1000, contre 22/1000 en Inde). Le Kérala est le seul État indien où le « sex-ratio » est en faveur des femmes » (idem).

Les communistes au pouvoir y ont assuré « L’indépendance et la sécurité alimentaire de l’État… grâce à des politiques agricoles redistributrices intelligentes mettant à profit la richesse naturelle du sol et la nature du climat, permettant une polyculture très diversifiée, riz, manioc, agrumes, canne, coco, épices, bananes, ananas et autres fruits tropicaux ainsi que les plantations de thé et café dans les « Ghats » (montagnes). Une Réforme agraire générale fut mise en place à partir de 1957, attribuant aux paysans des lopins de terre, abolissant le système de location des terres, limitant la taille des exploitations et garantissant les revenus des paysans » (idem). Se fondant sur la politique de « la terre à ceux et celles qui la travaille », « Un système de Société de Développement Communautaire (CDS) a été élaboré dans les années 80 qui a ouvert la voie à un processus d’implication de la base dans le développement local en fonction des besoins de la communauté, ceci en vue d’éradiquer la pauvreté. En 1993, une modification de la Constitution indienne accordant une plus grande autonomie aux collectivités locales a été mise à profit par le gouvernement du Kérala pour aller vers une décentralisation au niveau local des décisions et des actions de développement. Une véritable Démocratie Participative a ainsi été instaurée, les projets devant être conçus et discutés par les élus locaux et par les habitants eux-mêmes, les femmes y étant particulièrement actives. Cette organisation permet en outre d’éviter ou en tout cas de limiter des détournements de fonds et corruption qui sévissent à tous les niveaux en Inde en général et contre lesquels de vastes mouvements citoyens se sont élevés dernièrement. Le système de coopératives est largement développé au Kérala » (idem).

Les communistes y ont organisé « la distribution des denrées de base pour les plus pauvres et une majorité de la population a accès à des magasins subventionnés. L’activité de pêche… nombreux villages de pêcheurs tout du long de la côte, avec un système de partage équitable de la récolte (fait) que 40% des exportations de produits halieutiques totales de l’Inde viennent du Kérala » (idem).

L’histoire du communisme keralais est jalonné de période courte de défaite électorale suivie de période longue de victoire : « L’année 1991 avait donc vu la coalition du Congrès reprendre le pouvoir et tenter une libéralisation de l’économie, mais la coalition menée par le CPI (Parti Communiste Indien), après avoir regagné en 1996, reperdu en 2001, a regagné les élections en 2006 par 48% des suffrages au premier tour. L’alternative des communistes au consensus libéral a été de sortir de la crise par le renforcement des services publics, par des travaux d’infrastructure, la consolidation d’aides sociales, le développement d’entreprises publiques et la taxation des plus riches » (idem).

On comprend donc pourquoi le peuple, les ouvriers et les paysans, a encore largement reconduit dans les urnes en 2021 le Front démocratique de gauche (LDF), emmené par le Parti communiste d’Inde (marxiste), avec 97 sièges sur 140, contre 41 pour le Front démocratique uni (UDF), dirigé par le Parti du Congrès, tout en ne donnant, fait notable, au Parti du peuple indien (BJP) fascisant aucun élu dans la nouvelle assemblée.

Les tentatives impérialistes pour faire échec à l’expérience communiste

On comprend aussi pourquoi dès la prise du pouvoir par les urnes du parti communiste « Le gouvernement américain du président Dwight D. Eisenhower a financé l’Indian Congress pour renverser le gouvernement du Parti Communiste d’Inde au Kerala. L’objectif : Endiguer le communisme en Inde… Les États-Unis craignaient que le communisme ne s’implante en dehors de l’URSS et de la Chine, et ce, par le biais d’élections démocratiques… En 1957, le Parti Communiste d’Inde Marxiste (CPI M) dirigé par Namboodiripad remporte 60 des 126 sièges du Kerala. Il fait adopter des lois sur l’éducation et des réformes agraires. Ces réformes sociales et économiques vont susciter une opposition virulente de la part des forces réactionnaires. L’Église catholique et la Nair Service Society, avec le soutien de l’Indian Congress, vont lancer une lutte dite de « libération » contre les communistes. Elles vont prendre la forme d’une agitation visant à renverser le gouvernement communiste lui-même. Les manifestations ont conduit à des affrontements avec la police, et sept personnes sont tuées par des tirs de la police.

Le Premier ministre d’Inde, membre de l’Indian Congress, Jawaharlal Nehru, utilise l’article 356 de la Constitution indienne pour imposer sa tutelle sur le Kerala le 31 juillet 1959. C’est ainsi que le premier gouvernement communiste prend fin avant la fin de son mandat de cinq ans. Lors des élections de 1960, l’Indian congress remporta 63 sièges et le CPI 29 sièges… Daniel Patrick Moynihan, ancien envoyé et sénateur américain, a écrit sur le financement du Congrès contre les communistes dans ses mémoires de 1978, « A Dangerous Place ». Moynihan, ambassadeur des États-Unis en Inde entre 1973 et 1975, révèle que les États-Unis ont versé de l’argent à l’Indian Congress… « Nous avons… interféré dans la politique indienne au point de fournir de l’argent à un parti politique. Les deux fois, l’argent a été donné au Parti du Congrès, qui l’avait demandé. Une fois, il a été donné à Mme Gandhi elle-même, qui était alors la responsable du parti. », écrit Moynihan dans ses mémoires » (Nicolas Maury).

Performance communiste dans une fédération capitaliste

En effet, « Le Kérala, État traditionnellement socialiste, avec une garantie alimentaire, énergétique (hydraulique et éolien), des services publics (éducation, santé, transports) efficaces de haute qualité garantissant le respect des droits fondamentaux, un niveau de culture élevé, des droits sociaux acquis et préservés (grâce à un fort taux de syndicalisation), une organisation égalitaire de la société, avec une redistribution des richesses et un droit de subsistance garanti à chacun ainsi qu’une participation active de tous les citoyens dans les décisions et la gestion des affaires grâce à un système depuis longtemps établi de démocratie participative, est un exemple d’organisation sociétale : son IDH (Indice de Développement Humain) est de loin le plus élevé de tous les États indiens, estimé à 0,775 (en comparaison : Inde 0,547, France 0,884, en baisse) ; de plus, son empreinte écologique est faible (peu d’industries). Le Kérala, alliant donc indicateur économique (PIB) modéré, empreinte écologique très raisonnable et indicateur de développement social (IDH) de haut niveau, apparaît être un exemple de développement durable à reproduire… Lorsqu’on est au Kérala, on ne voit pas de richesse extérieure, mais on n’y voit pas de misère, contrairement à l’Inde en général ; on ressent une dignité, une ouverture d’esprit et une joie de vivre particulière chez ses habitants ; on n’y voit pas de mendiant, on voit les gamins monter gaiement dans les bus le matin pour aller à l’école, on peut s’y faire offrir une rose par une petite écolière, on peut discuter de micro-finance (avec ses dérives) et du prix Nobel d’économie indien avec sa voisine de bus en sari, on est surpris de voir autant de mosquées ou d’églises que de temples hindous (la religion y tient une moindre importance et on sait que tous se côtoient dans la plus grande tolérance)…et on espère finalement que le capitalisme mondialisé et ses effets destructeurs n’atteindront jamais le bien-être de ce peuple cultivé, volontaire, solidaire et libre, ni jamais ne défigureront leur si bel environnement » (idem).

Le Kerala apparaît comme une anticipation de ce que sera l’Inde socialiste communiste de demain quand dans toute la Fédération les ouvriers, paysans, travailleurs manuels et intellectuels se débarrasseront de la bourgeoisie libérale, social-libérale et fasciste qui exploite le monde du travail et opprime les castes et les minorités religieuses.

Alors au lieu de se laisser subjuguer par les mirages de la mondialisation capitaliste libéral que sont Singapour, Doha, Dubaï qui sont en réalité des marchés Sandaga pour riches où tout se vend et s’achète mais qui ne produisent rien, le Sénégal et l’Afrique feraient mieux de s’inspirer des expériences qui développent les forces productives tout en éradiquant la pauvreté.

23/03/25

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