« Franck mérite-t-il moins que les autres ? » : leur fils mort sur un chantier il y a dix ans à Brest, ils attendent toujours justice (LT.fr-9/12/24)

Christian et Sylvie Pérennou attendent depuis dix ans que la lumière soit faite sur les responsabilités qui ont abouti au décès dramatique de leur fils à Brest. (Photo Le Télégramme/Pierre Chapin)

Le 13 octobre 2014, Franck Pérennou perdait la vie à Brest, écrasé par un mur sur le chantier où il travaillait depuis quelques jours. Dix ans après le drame, ses parents se désespèrent de voir justice rendue.

Par Pierre CHAPIN.

« C’était un lundi. Ce jour-là, son patron est venu à la porte, à 18 h, pour dire que notre fils était décédé. Écrasé par un mur. Il faisait 16 m par 4 : Franck a pris 10 tonnes sur la tête ». Gorges serrées mais souvenirs précis malgré les années, Christian et Sylvie Pérennou replongent dans l’horreur de ce 13 octobre 2014 où leur vie a basculé. « On s’est effondrés par terre, on hurlait… C’est une image qui restera toujours », esquisse Sylvie.

À 27 ans, Franck Pérennou venait de rejoindre une grosse entreprise du bâtiment du bassin brestois. « Il n’avait pas de formation spéciale, alors il faisait tous les travaux de démolitions, les travaux durs, qui ne sont pas payés. Mais c’était un garçon courageux, volontaire, il a travaillé de nuit, fait un paquet de boulots en intérim. Il était content d’avoir intégré cette boîte, parce qu’il allait gagner un petit peu plus, 1 700 €. Mourir pour 1 700 € bruts… », souffle Christian.

Chantier de désamiantage sans amiante

Ce lundi 13 octobre 2014, Franck Pérennou travaille, depuis une dizaine de jours, sur le chantier du bâtiment désaffecté de l’ancienne concession Skoda, rue de l’Eau-Blanche, à Brest. Avec deux collègues, il prépare le confinement nécessaire aux futures opérations de désamiantage. Une bâche est tendue, fixée depuis un mur par des tendeurs. Vers 16 h, le mur s’effondre. Et avec lui, la vie d’une famille.

À lire sur le sujet En Bretagne, le taux d’accidents du travail supérieur à la moyenne nationale

« On n’a pu voir le corps de notre fils que le lendemain après-midi. Moi, j’ai appelé l’Inspection du travail un ou deux jours après. L’inspectrice m’a répondu que le mur avait été mal construit. C’est tout. La faute à pas de chance », se remémore le père. « Un jour, l’employeur de Franck m’a contacté pour me dire qu’il n’y avait pas d’amiante sur ce chantier. Le carrelage avait été posé dix ans après l’interdiction de l’amiante. Ça nous a décidés à porter plainte, avec constitution de parties civiles ».

Eux, ils dorment bien, continuent à construire des murs n’importe comment, à valider des chantiers et emmener des jeunes au casse-pipe. Nous, toutes les nuits, on se réveille, avec le sentiment de ne pas être reconnus comme victimes.

Neuf ans d’instruction

Le début d’une instruction qui durera neuf ans. De son côté, Christian Pérennou, « quarante-deux ans dans le bâtiment », décide de réaliser ses propres recherches, alors que l’employeur de son fils a saisi un expert pour préparer sa défense. Il découvre que le mur funeste n’a pas été construit dans les règles de l’art et sans plan béton, qu’il présentait des signes de fragilité. Il pointe également l’installation pour le désamiantage, « neuf tendeurs accrochés au mur pour poser la bâche et faire un sas. Quand on sait la force qu’a un tendeur, le minimum aurait été de mettre des étais sur le mur. Mais non. Tous ces gens-là ont mal fait leur boulot », accuse Christian Pérennou.

Sa femme embraie : « Eux, ils dorment bien, continuent à construire des murs n’importe comment, à valider des chantiers et emmener des jeunes au casse-pipe. Nous, toutes les nuits, on se réveille, avec le sentiment de ne pas être reconnus comme victimes. Depuis dix ans ».

À lire sur le sujet Accidents du travail : « On peut craindre une aggravation des chiffres »

La juge d’instruction a produit son avis de fin d’instruction le 12 septembre 2023. « Neuf ans pour entendre une dizaine de personnes », souffle le couple meurtri. À compter de cette date, le procureur (*) devait, sous trois mois, rendre ses réquisitions. Il l’a fait le… 18 novembre 2024. Et leur contenu est loin de satisfaire les parents de Franck.

« On découvre que tout a été requalifié, la moitié des poursuites abandonnées ». Le parquet requiert de poursuivre la société qui employait Franck pour homicide involontaire, de même que la société qui a construit le mur, ainsi que son patron de l’époque. Sans retenir la notion de « violation délibérée d’une obligation de sécurité » initialement retenue par la juge d’instruction.

Ses deux mamies sont parties depuis. Deux de mes frères aussi. Des gens qui attendaient et qui nous demandaient à chaque fois qu’on les voyait : vous en êtes où de l’affaire ?

« Des proches sont partis sans savoir »

Depuis le drame, le couple compile les comptes rendus d’audience correctionnelle pour des affaires liées à des accidents du travail. « Regardez celui-là : accident mortel sur un chantier à Gouesnou en 2022, procès en 2024. J’en ai plein des comme ça, réglés en deux ans. Et pourquoi ils ne traitent pas notre dossier à nous ? Est-ce qu’il faut protéger quelqu’un ? Depuis l’accident, il y a une entreprise du dossier qui n’existe plus. Le patron de l’entreprise qui a construit le mur n’est plus le même. Et le directeur de la boîte de notre fils a changé d’entreprise. Ils attendent qu’il n’y ait plus personne pour fermer le dossier ? ».

Le couple, lui, n‘entend pas se taire. « On ne lâchera pas. On est prêt à remuer tout ce qu’on peut, faire des manifs devant le tribunal s’il le faut ». La voix de la maman se brise : « On est de plus en plus en colère, à penser qu’on essaie de protéger certaines personnes. Nous, on a perdu notre fils. Ses deux mamies, qui étaient parties civiles, sont parties depuis. Deux de mes frères aussi. Des gens qui attendaient et qui nous demandaient à chaque fois qu’on les voyait : vous en êtes où de l’affaire ? Tous ces gens sont partis sans savoir. Et nous, on doit vivre avec ça. Notre fils mériterait moins que les autres ? ».

(*) Sollicité sur cette affaire, le procureur de Brest Camille Miansoni n’a pas donné suite.

°°°

Source: https://www.letelegramme.fr/finistere/brest-29200/franck-merite-t-il-moins-que-les-autres-leur-fils-mort-sur-un-chantier-il-y-a-dix-ans-a-brest-ils-attendent-toujours-justice-6718966.php

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/franck-merite-t-il-moins-que-les-autres-leur-fils-mort-sur-un-chantier-il-y-a-dix-ans-a-brest-ils-attendent-toujours-justice-lt-fr-9-12-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *