« François Bayrou est une girouette » : pourquoi le centrisme est une imposture politique (H.fr-21/01/25)

Derrière le centrisme affiché du premier ministre, son idéologie et ses actes penchent très à droite.
© Elodie Gregoire / ABACA

L’arrivée de François Bayrou à Matignon marquerait selon certains le retour du dépassement du clivage gauche-droite au gouvernement. Comme s’il existait un point d’équilibre politique qui ne basculerait pas forcément d’un côté ou de l’autre. Derrière le « centre » et le premier ministre se cache pourtant une doctrine faussement « modérée » qui a toujours été bien ancrée à droite.

Par Margot BONNERY & Aurélien SOUCHEYRE.

Est-ce que cela existe seulement, le centrisme ? Comme espace politique, indéniablement. Mais comme doctrine idéologique ? François Bayrou le croit, et tente depuis des décennies d’incarner ce courant en France.

Il y aurait, à l’entendre, un possible « dépassement » du clivage gauche-droite à réaliser, pour « rassembler » les Français dans la « modération », au-delà de tout intérêt de classe. Une promesse d’équilibre qui tient de la foutaise : tout, dans le parcours des « centristes » et dans celui de François Bayrou, finit toujours par tomber à droite.

C’était déjà le cas au temps du bipartisme, et cela l’est encore depuis l’avènement du tripartisme. « Le centre, ce n’est ni de gauche, ni de gauche », observait en son temps François Mitterrand.

Le centrisme « mène une vraie politique de droite »

Le centre « souhaite transcender les clivages mais il conduit en réalité une politique au service des plus riches et du capital. Il se construit sur une carence des partis traditionnels mais mène une vraie politique de droite », analyse aujourd’hui André Chassaigne, président PCF du groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale.

« Les gouvernements centristes sont souvent éphémères. Le centre existe majoritairement par périodes, par séquences politiques. Il se démarque lorsque la droite n’est pas en mesure de tenir les rênes du pouvoir et quand la gauche se divise », ajoute le député communiste.

C’est parfaitement le cas de nos jours avec le macronisme. François Bayrou, qui qualifiait au départ Emmanuel Macron d’« hologramme » soumis aux « forces de l’argent », a finalement choisi de le soutenir pour la présidentielle de 2017, et porte aujourd’hui son bilan : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, report de l’âge de la retraite à 64 ans, centaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, affaiblissement des services publics et de la Sécurité sociale, attaques contre le droit du travail…

La bataille du maire de Pau pour l’enseignement privé

Dès 2013, François Bayrou fustigeait d’ailleurs la trop large épaisseur à ses yeux du Code du travail, en le faisant tomber avec dédain sur un plateau télévisé. En 2017, après l’adoption des ordonnances Pénicaud, le cadre du Modem Patrick Mignola plastronnait même que « la lutte des classes est terminée », puisque le patronat se voyait clairement avantagé dans son rapport de force avec les salariés.

Et c’est encore le député Modem Nicolas Turquois qui avait été nommé rapporteur de la réforme des retraites d’Édouard Philippe de 2019 dont le système à points visait à supprimer toute garantie d’âge et de pension pour les départs à la retraite…

Le bilan de Bayrou dans des gouvernements n’est guère plus « ni de droite, ni de gauche ». Avec Édouard Balladur puis Alain Juppé à Matignon, entre 1993 et 1997, le maire de Pau soutient les privatisations par 49.3 de la BNP, d’Elf et de Rhône-Poulenc, affaiblissant le pouvoir et les recettes de l’État. En tant que ministre de l’Éducation, sa grande bataille a été de défendre – sans succès – la hausse des subventions publiques locales envers les établissements d’enseignement privé.

« François Bayrou est une girouette »

Des marqueurs de droite, quand bien même l’intéressé prône « une volonté de dépassement de l’affrontement stupide droite contre gauche et de prendre le monde tel qu’il va. Avec, comme priorité, l’activité économique. Pour que la vitalité économique serve un projet social et républicain ».

Mais alors, au-delà de politiques de droite, qu’est-ce qui caractérise le centrisme ? « François Bayrou est une girouette dans le discours. Comme le personnage d’Ubu, il évite les rochers en zigzaguant de gauche à droite dans son bateau », observe André Chassaigne.

À la tête de l’UDF fondée par Valéry Giscard d’Estaing (formation de droite qui quand elle a été au pouvoir l’a été avec le RPR, autre parti de droite), François Bayrou vote avec les socialistes en 2006 une motion de censure contre Dominique de Villepin. Il crée en 2007 le Modem, et appelle à voter François Hollande contre Nicolas Sarkozy en 2012. Une façon pour lui d’essayer de se placer comme point médian et « central » de la vie politique française, qui masque très mal les choix politiques clairs qui sont les siens au sein des exécutifs.

« Le Modem se dit centriste, mais sur quelles propositions ? »

« Emmanuel Macron, François Bayrou, les gouvernements successifs… Aucun n’est centriste. Et par ailleurs, le centrisme n’a jamais existé. Ou du moins, il n’existe plus puisqu’il penche relativement très à droite », témoigne Jean-Luc Bennahmias, ancien vice-président du Modem entre 2007 et 2014.

Comme un symbole, lors de son discours de politique générale, le 14 janvier, devant une Assemblée nationale éclatée en trois blocs, François Bayrou a surtout donné des gages à la droite. « Nous voilà avec un premier ministre souhaitant rassembler la gauche et la droite mais qui, dans les faits, est de droite. Devant les députés, il n’a nullement parlé de mesure de redistribution des richesses, de la pauvreté en France, de l’accès à l’emploi », pointe Jean-Luc Bennahmias, qui fustige également la composition du gouvernement : « Il a nommé Gérald Darmanin à la Justice et Bruno Retailleau à l’Intérieur. Si ce n’est pas de droite, ça ! Le Modem se dit centriste, mais sur quelles propositions ? »

Si l’arrivée de François Bayrou à Matignon porte pour certains la promesse d’un retour aux « origines » du macronisme, qui serait teinté de « pragmatisme » et d’« humanisme », l’illusion risque là encore d’être de courte durée. « En surfant sur l’attente de modernité, le président a mis en œuvre une politique de classe, libérale et conservatrice », dépeint André Chassaigne. Une stratégie déjà utilisée par Giscard d’Estaing en son temps.

« Sur les mœurs, il prenait des mesures qui pouvaient, à l’époque, paraître progressistes par rapport à la droite traditionnelle. Le centrisme a toujours porté le sociétal avec sincérité. Mais derrière, il serrait les boulons avec une politique libérale », ajoute le chef de file des députés communistes, qui résume la situation avec un exemple : « Le centre ne veut jamais s’attaquer aux plus riches. La gauche avait calculé qu’une taxation des plus grosses fortunes de France aurait pu rapporter 15 milliards d’euros, et François Bayrou a préféré la limiter à 2 milliards. » Voilà une forme de « modération » qui tient de l’obligeance.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/andre-chassaigne/francois-bayrou-est-une-girouette-pourquoi-le-centrisme-est-une-imposture-politique

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