Glyphosate : la famille Grataloup perd au tribunal contre Bayer-Monsanto (reporterre-31/07/25)

Théo Grataloup à la sortie du tribunal de Vienne (Isère), le 3 avril 2025. – © Matthieu Delaty / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le tribunal de Vienne a décrété que le glyphosate ne pouvait pas être tenu responsable des malformations congénitales de Théo Grataloup, dont la mère avait utilisé l’herbicide sans savoir qu’elle était enceinte.

Par Lorène LAVOCAT.

C’est une immense déception pour la famille Grataloup. Le tribunal de Vienne, en Isère, a rendu son jugement jeudi 31 juillet dans l’affaire qui oppose la famille et le géant de la chimie Bayer-Monsanto. Il a décrété que le glyphosate n’était pas directement responsable des malformations congénitales de Théo Grataloup, aujourd’hui âgé de 18 ans.

En août 2006, ignorant qu’elle était enceinte de quelques semaines, Sabine Grataloup a désherbé sa carrière d’équitation avec un produit à base de glyphosate, substance produite par Bayer-Monsanto. Le jeune Théo est né avec de graves malformations : jusqu’à l’âge de 3 ans, il a dû s’exprimer par gestes et a été nourri par une sonde jusqu’à ses 6 ans. Aujourd’hui, il a toujours une trachéotomie, c’est-à-dire un trou dans la gorge, qui lui permet de respirer et de parler, mais qui donne un timbre métallique à sa voix.

Mais selon le jugement du tribunal, que Reporterre a consulté, les éléments fournis par la famille Grataloup « ne permettent pas de retenir avec la certitude requise que le désherbant était du Glyper », un herbicide à base de glyphosate.

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Pour les juges, les photographies d’un bidon Glyper prises par Sabine Grataloup « ne peuvent correspondre à un produit utilisé à l’été 2006 ». Et pour cause : à cette date, le Glyper était commercialisé sous le nom de Capiscol. La mère de Théo a donc dû utiliser un autre désherbant total à base de glyphosate. Mais sans savoir quel est précisément le produit incriminé, impossible pour les juges de condamner Bayer-Monsanto.

Dans un communiqué, la famille a dit prendre acte de la décision. « Nous avons fait tout notre possible pour apporter des preuves, mais Sabine ne pouvait pas avoir un huissier derrière elle quand elle a épandu du glyphosate », ont expliqué les parents. « Une certitude à 100 % n’est pas possible », ont-ils précisé.

« C’est évidemment une grande déception pour la famille Grataloup et pour nous, ont déclaré les avocats de la famille, William Bourdon, Bertrand Repolt et Alice Gourlay-Duplessis, dans un communiqué. Nous n’ignorions pas les obstacles juridiques de ce dossier, tenant notamment à l’ancienneté des faits et à la difficulté probatoire que Monsanto a su exploiter. »

Pour Générations futures, cette décision « illustre les limites d’un système judiciaire qui exige une preuve impossible à apporter », a affirmé l’ONG dans un communiqué. Elle « contribue à l’impunité d’industriels qui, comme Monsanto, ont trop souvent dissimulé ou minoré les dangers du glyphosate, en France comme ailleurs ».

Autre regret, pour les requérants, le fait que Monsanto ait minoré la toxicité du glyphosate — un scandale révélé aux États-Unis par les Monsanto Papers — n’a pas non plus été sanctionné par le tribunal isérois. La filiale française du géant des pesticides « ne pouvant être assimilée » à la société étasunienne, selon les juges.

Il s’agit pour Générations futures d’« une stratégie bien rodée de dilution des responsabilités » dans les grands groupes chimiques, où « chaque filiale se dédouane du rôle qu’elle joue dans la fabrication, la commercialisation ou la promotion de substances dangereuses ».

Le glyphosate, cancérogène avéré depuis 2004

« Cette décision n’est pas totalement négative, estime Alice Gourlay-Duplessis, contactée par Reporterre. Notamment, la qualité de fournisseur de Monsanto est reconnue par le tribunal. » Autrement dit, la justice a reconnu que le géant agrochimique avait bien participé à la chaîne de production du glyphosate, un point nié par l’entreprise.

Dans un communiqué, relayé par Ici Isère, la société Bayer a tenu « d’abord à exprimer toute sa compassion à la famille Grataloup. Le drame que vit leur enfant, né avec une malformation rare, suscite légitimement de l’émotion ».

Selon la société, « le glyphosate fait l’objet d’un consensus scientifique validé par les autorités sanitaires européennes et françaises ». Pourtant, en 2022, le comité d’experts scientifiques du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reconnu « la possibilité d’un lien de causalité » entre les graves malformations du larynx, de l’œsophage et du système respiratoire de Théo et l’exposition aux pesticides durant la période prénatale. Le Centre international de recherche contre le cancer a classé le glyphosate comme cancérogène avéré en 2004.

Malgré ce revers judiciaire, la famille refuse de baisser les bras : « Le combat ne fait que commencer, ce procès n’était qu’une bataille dans une lutte qui sera encore longue pour la santé de nos enfants », ont écrit les parents. Pour Générations futures, ce procès marque tout de même « une avancée majeure sur le plan sociétal » : « Il a mis en lumière les conséquences réelles des pesticides sur la santé des enfants et mobilisé une large part de la société civile, des scientifiques, des médecins, des journalistes et des associations. »

Une mobilisation qui a pris une ampleur inédite au moment de la loi Duplomb, qui facilite l’usage de pesticides cancérigènes : les parents Grataloup se sont fortement engagés contre le texte, aux côtés d’autres familles touchées par les pesticides. « Nous étions seuls, David contre Goliath, disent les parents de Théo, nous sommes maintenant des millions. »

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Source: https://reporterre.net/Glyphosate-la-famille-Grataloup-perd-au-tribunal-contre-Bayer-Monsanto

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