
Les syndicats réunis en un front commun ont décrété une journée de grève nationale ce jeudi. Hélène Mayans, secrétaire générale de la CGT Afpa, détaille les enjeux de cette mobilisation face aux menaces de coupes budgétaires sèches mettant en péril la pérennité même de l’organisme public de formation pour adultes.
Entretien réalisé par Hayet KECHIT.
Des « décisions radicales ». La note confidentielle de Bercy révélée il y a deux semaines par l’Humanité a confirmé les menaces pesant sur l’avenir de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), reléguée par le gouvernement au rang de boulet budgétaire. Jugé pas assez rentable, l’établissement public qui, à travers plus de 900formations et un maillage territorial dense, joue un rôle déterminant dans l’accès à l’emploi, pourrait ainsi perdre sa subvention annuelle d’équilibre de 210 millions d’euros et voir ses missions « resserrées » sous le couperet du budget 2026.
Mobilisée depuis plusieurs mois face au flou entretenu par la gouvernance de l’Afpa, l’intersyndicale regroupant la CGT, la CFDT, la CFE-CGC, FO et Sud appelle à une grève nationale ce 26 juin. Pour Hélène Mayans, secrétaire générale de la CGT Afpa, l’enjeu est de rappeler à l’exécutif l’utilité sociale de l’organisme public, fort d’un taux de retour à l’emploi de 70 %, dans un contexte où les besoins sont criants.
Elle pointe aussi la responsabilité de l’État dans ses difficultés économiques, notamment suite à sa décision d’ouvrir à la concurrence le secteur de la formation et de transférer aux régions une partie de ses missions. Les premiers à en pâtir sont ses salariés, passés de 11 000 en 1995 à moitié moins aujourd’hui.
Quelle est l’origine de cette journée de mobilisation nationale ?
L’intersyndicale était en place dès février 2025 pour interpeller le conseil d’administration sur le sort de l’Afpa, à l’aune des arbitrages budgétaires annuels. Très vite s’est imposée la nécessité de mobiliser largement le personnel face à la volonté de cibler nos ressources pour faire des économies et au flou pesant sur l’avenir de nos missions puisque le COP, (le Contrat d’objectif et de performance, NDLR) n’était pas arbitré à cette date et que nous n’avions donc aucune visibilité quant à l’impact des restrictions budgétaires.
Le tout sur fond d’alertes qui se multiplient dans toute la France : une politique de gestion par les coûts imposée par les tutelles, une baisse continue des moyens, qui génère une souffrance croissante des salariés face à une charge accrue de travail. Cette absence de cap stratégique entraîne une crise profonde dont ils sont les premiers à payer le prix. En 1995, l’Afpa comptait 11 000 salariés, nous sommes désormais passés sous la barre des 6 000.
Vous pointez également les conséquences de l’ouverture au marché du secteur de la formation…
Quand on met en concurrence les organismes de formation sous appel d’offres, comme c’est le cas depuis les années 2000, il faut aussi avoir conscience que, derrière, il y a des missions, des activités, et donc des emplois qui sont en jeu. Par exemple dans les Hauts-de-France, l’Afpa a récemment perdu un marché dans les transports routiers, qui a mis une centaine de salariés sur le carreau en les privant d’activité.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur a également subi de plein fouet ces pertes de marché qui ont pesé sur son équilibre économique. Voilà ce qui arrive quand on marchandise le secteur de la formation. Or l’Afpa n’est pas un organisme de formation comme un autre, elle a une histoire particulière, née des aspirations du Conseil national de la Résistance à une plus grande justice sociale en donnant à tous les moyens de leur émancipation.
Que vous inspirent les préconisations de Bercy révélées par l’Humanité, qui évoquent « des décisions radicales » quant à l’avenir de l’Afpa ?
Nous avons perçu cette note comme une attaque directe. Les salariés ont ressenti une injustice profonde, d’autant que l’État se défausse complètement de ses responsabilités alors qu’il est censé être garant de notre équilibre économique. Toutes les restructurations décidées par les gouvernements successifs se sont soldées par des échecs et nous voilà aujourd’hui réduits au statut de gouffre financier. Les mesures censées redresser durablement l’Agence n’ont abouti qu’à une réduction de son activité et de ses marges de manœuvre, tout en exerçant une pression intenable sur les salariés dont les conditions de travail se sont fortement dégradées au fil des années.
Or, nous avons malgré tout assuré toutes les missions confiées par l’État avec une capacité de modernisation et d’adaptation assez remarquable. L’Afpa a permis de donner une seconde chance à des pans entiers de la population, avec un certain nombre de parcours formidables, dans tous les domaines, dont on peut avoir un aperçu y compris à travers nos formateurs. Certains d’entre eux étaient maçons, plombiers, électriciens avant de se reconvertir et enseigner leur métier, avec un geste professionnel qu’on ne retrouve pas dans d’autres organismes privés.
Au-delà de cette préoccupation budgétaire, même si les difficultés sont réelles, le gouvernement balaie d’un revers de main l’utilité sociale de l’Afpa et tout ce qu’elle apporte en termes de justice sociale. Nous travaillons avec des publics dont personne d’autre ne veut s’occuper : des demandeurs d’emploi de longue durée, des élèves en décrochage scolaire… Notre taux de retour à l’emploi est évalué à 70 %, bien supérieur à celui des autres organismes de formation. Et ça, le gouvernement qui ne fonctionne qu’à travers des tableaux Excel, ne veut pas le voir. Il laisse se creuser un gouffre entre des besoins sociaux qui galopent et des moyens toujours plus dérisoires.
Quelles sont vos craintes aujourd’hui ?
Nous anticipons plusieurs scénarios catastrophe. Si les préconisations de Bercy se concrétisaient, notre crainte est de voir une suppression croissante de centres de formation, ce qui porterait un coup fatal à notre maillage territorial, à travers nos 126 centres répartis sur 156 sites, et donc à notre capacité de répondre aux besoins de la population.
Si la suppression de l’Afpa ne me paraît pas une hypothèse crédible, nous pouvons toutefois craindre un démantèlement, avec la perte de certaines prestations dans l’accompagnement, l’ingénierie, la formation, qu’on vendrait au plus offrant. Il faut que le gouvernement cesse de nous voir qu’à travers le prisme financier, en reconnaissant la singularité et les atouts de l’Afpa, et qu’il mette les moyens nécessaires à son développement. Ce n’est pas parce qu’elle a une histoire vieille de 80 ans qu’elle n’est pas en capacité de se moderniser, de répondre aux besoins de la population, aux enjeux de transition écologique et énergétique.
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/greve-nationale-a-lafpa-nous-sommes-reduits-au-statut-de-gouffre-financier-sans-egard-pour-lutilite-sociale-de-nos-missions-h-fr-25-06-25/