
De 1960 à 1996, la France a procédé à 210 essais nucléaires, dix-sept au Sahara et 193 en Polynésie. Quartier-Maître dans la Marine Nationale, Christian Goineau, qui vit à Guenrouët (Loire-Atlantique), a assisté de très près à plusieurs essais.
C’est en 1972 que Christian Goineau est envoyé dans le Pacifique et affecté à Mururoa, atoll situé à plus de 1 200 km de Tahiti. Il prend son poste sur le bateau, appelé gabare de mer, Scorpion.
Il y rejoint ses nouveaux collègues, principalement des appelés du contingent ainsi qu’un civil polynésien. Il s’occupe de l’approvisionnement, du courrier ou des colis en tant que vaguemestre, est également désigné par ses chefs, responsable du poste d’équipage et de la pharmacie.
Ils portaient short, chemisette et sandalettes
Christian, alors âgé de 21 ans, étant arrivé après la campagne d’essais de 1972, découvre les missions sur le navire, consistant en des travaux de réparation, des poses ou relevages de barges, pontons, bouées, ravitaillement des populations sur les îles ou encore surveillance de la zone et du trafic maritime.
Mais l’année suivante, une nouvelle campagne est menée, en juillet et août, et, sur le Scorpion, tous assistent aux tirs. « Le déroulement d’un essai était pour nous bien rodé, témoigne Christian Goineau. Le Scorpion appareillait et se positionnait dans une zone éloignée du point zéro (le ballon qui supportait la charge). À l’heure H, nous tournions le dos au ballon pour que le flash de l’explosion n’endommage pas notre vue. »
Seule précaution, car les hommes portaient un short, une chemisette et des sandalettes ! « Nous étions assez loin pour ressentir le souffle, mais après la déflagration, nous entendions un grondement sourd. »
Les jours suivants, le travail consistait à remettre en état les ancres des barges de tir, les pontons et coffres coulés, les bouées de balisage. « Nous avions là un risque majeur de contamination. » Et, lors de temps libre, les militaires faisaient de la planche à voile, profitaient de la plage, ou, lorsqu’ils étaient en mer, pêchaient. Personne ne s’inquiétait, « on n’en parlait pas ».
Christian Goineau, membre de deux associations, l’Aven, association des vétérans des essais nucléaires, et l’AMNDVEN, association du Mémorial national des vétérans des essais nucléaires, a fait des recherches et consulté des rapports déclassifiés du CEA (commissariat à l’énergie atomique), plutôt optimistes.
Des taux anormaux de cancers
Mais le récit paru sur le site d’investigation, Disclose, concernant des chercheurs de l’université de Princetown qui ont étudié la modélisation des retombées radioactives liées aux explosions atomiques des essais Sirius (1966) et Pallas (1973), est bien plus alarmant.
D’ailleurs, des taux anormaux de cancers ont été constatés chez des hommes et femmes, civils ou militaires. À ce jour, une liste des cancers susceptibles d’être en rapport avec les essais est définie et devrait s’élargir. De même une enquête sur les descendants des vétérans est en cours.
Depuis quelques années, des voix s’élèvent et les deux associations se sont données pour objectif de faire connaître cette période oubliée, contribuer au devoir de mémoire, faire reconnaître les préjudices causés, et faire attribuer aux vétérans un vrai statut.
« J’ai la chance de ne pas être malade, conclut Christian Goineau, mais je pense à tous les vétérans touchés par la maladie et qui doivent se battre pour faire reconnaître leur statut de victimes. Je pense aussi à toutes les populations touchées par les retombées ainsi qu’à la nature, atolls, coraux, fonds marins et zones terrestres, aussi gravement touchés. »