GUERRE EN UKRAINE : COMMENT LA RUSSIE PARVIENT À CONTOURNER LES SANCTIONS. ( Elucid – 22/03/23)

Une véritable armada de navires fantômes achemine le pétrole russe vers le reste du monde,
avec la bénédiction de la Chine, de la Turquie ou de l’Inde. De ce fait, l’économie russe
souffre très peu, au point qu’elle pourrait connaître une légère croissance en 2023.

Une véritable armada de navires fantômes achemine le pétrole russe vers le reste du monde,
avec la bénédiction de la Chine, de la Turquie ou de l’Inde. De ce fait, l’économie russe
souffre très peu, au point qu’elle pourrait connaître une légère croissance en 2023. La Russie
a beaucoup plus d’amis que l’Occident ne le croit : l’Arménie, qui importe des milliers de
téléphones portables ; les Émirats arabes unis, qui expédient aux Russes des semi-
conducteurs américains ; ou encore la Chine, qui expédie des équipements militaires à des
sociétés russes frappées par les sanctions.
Grâce à une véritable armada de navires « fantômes », qui arrivent vides et repartent chargés de
pétrole, la Russie semble bien supporter les sanctions occidentales et pourrait même connaître
une croissance en 2023. Selon les estimations de janvier du FMI, le PIB de la Russie pourrait
croître de 0,3 % en 2023, alors que les prévisions d’octobre annonçaient une baisse de 2,3 % en
conséquence des lourdes sanctions économiques.
Selon le FMI, l’économie russe est soutenue par les exportations de pétrole qui continuent à lui
procurer des gains importants, et parce qu’elle parvient à contourner les sanctions commerciales.
Différentes enquêtes ont en effet montré que la Russie avait réussi à contourner les sanctions au
fil du temps, notamment grâce à l’aide de pays tiers (qui eux n’ont aucune obligation à respecter
ces sanctions) tels que la Chine, l’Inde et la Turquie.

Comme l’explique Bloomberg, une petite armada de pétroliers est apparue pour aider la Russie à
contourner les sanctions. Aujourd’hui, des centaines de navires-citernes prennent des mesures
pour dissimuler leur destination aux regards indiscrets. Mais leurs itinéraires détournés
n’échappent pas à la vigilance des analystes des routes commerciales. Selon les données
collectées par Kpler, un nombre record de 311 navires de taille moyenne ont récemment été vus
en train de naviguer sans cargaison ni destination, tels des vaisseaux fantômes, contre une
moyenne de 14 navires de ce type à n’importe quel moment avant cette année. Selon CNN, la
taille de cette flotte fantôme atteindrait environ 600 navires, soit environ 10 % du nombre total de
grands pétroliers. Et les chiffres continuent de grimper.
D’autres produits connaissent le même cheminement tortueux ; les machines à laver par exemple
et les puces informatiques, qui arrivent en Russie via trois pays d’Asie : Arménie, Kazakhstan,
Kyrgyzstan. Le Kazakhstan, notamment, importe quatre fois plus de machines à laver
européennes qu’à la même période l’année dernière. Et ses échanges avec la Russie ont doublé.
Selon les informations recueillies par Trade Monitor et compilées par Bloomberg, les
importations russes en général sont largement revenues à leur niveau d’avant-guerre (2020), et
l’analyse des données commerciales suggère que des circuits intégrés avancés fabriqués dans
l’UE et dans d’autres pays alliés sont expédiés en Russie via des pays tiers tels que la Turquie ou
les Émirats arabes unis (EAU).
À propos Émirats arabes unis, Elizabeth Rosenberg, secrétaire adjointe au Trésor américain
chargée du financement du terrorisme, s’est déclarée « préoccupée » du fait que des entreprises
basées aux EAU avaient exporté pour plus de 18 millions de dollars de marchandises vers des
entités russes entre juillet et novembre 2022 – des choix qui n’arrangent certes pas les intérêts
états-uniens, mais qui s’avèrent tout à fait légaux puisque les EAU sont, faut-il le rappeler, un État
souverain. En outre, a-t-elle ajouté, des entreprises émiraties ont expédié vers la Russie plus de
5 millions de dollars de marchandises d’origine américaine dont l’exportation est contrôlée, y
compris des semi-conducteurs.
Bref, la pluie de sanctions a généré une myriade de stratagèmes astucieux pour les contourner.
Les sanctions imposées par l’Occident à la Russie sont, effectivement, nombreuses – l’UE à elle
seule a approuvé 10 tranches de mesures – mais les Occidentaux, si prompts à théoriser des
punitions toujours plus sévères, vérifient-ils si celles-ci sont réellement respectées ?
Apparemment non, ce qui entraîne, entre autres, l’essor d’un marché noir mondial qui comprend
des armes, du pétrole, des puces électroniques et même des produits de luxe.
« Il ne suffit pas de signer de nouvelles sanctions », a déclaré à Bloomberg Daniel Tannebaum,
responsable mondial de la lutte contre la criminalité financière au sein de la société de conseil
Oliver Wyman. « Les gouvernements ont maintenant besoin de mécanismes d’application ». Mais
ce précepte est anathème dans l’UE, capable de légiférer à tout va en se désintéressant des
implications réelles. Pendant ce temps, la Russie continue de contourner les sanctions, au nez et
à la barbe des Occidentaux. À titre d’exemple, citons une enquête du New York Times qui relate
l’arrivée en Arménie, l’été dernier, d’un volume disproportionné de téléphones portables, environ
10 fois supérieur à ce qui avait été importé les mois précédents, puis exporté vers la Russie. Une
stratégie à la fois légale et logique, mais qui montre bien les capacités d’adaptation de la Russie
face à la politique des sanctions occidentales.

La Russie, pour sa part, a cessé depuis longtemps de publier des données sur le commerce
international, mais les analystes et les économistes parviennent encore à le reconstituer à partir
des données que d’autres pays publient sur leurs exportations vers la Russie. Et il semble que la
Russie soit en train d’opérer une véritable réorientation de sa politique commerciale. Une
analyse réalisée par le centre de recherche américain Silverado Policy Accelerator sous le titre
emblématique « Russia Shifting Import Sources Amid U.S. and Allied Export Restrictions » (La
Russie change de sources d’importation en raison des restrictions à l’exportation imposées par
les États-Unis et les alliés) estime que les importations de la Russie en provenance du reste du
monde (à l’exclusion des États-Unis et de l’UE) sont nettement plus élevées que les flux d’avant-
guerre.
Quant à la Chine, elle a su profiter de cette occasion historique pour avancer ses pions et
défendre ses intérêts commerciaux. Selon le WSJ, la Chine fournit actuellement des technologies
dont l’armée russe a besoin pour poursuivre la guerre en Ukraine. Les registres douaniers
montrent que des entreprises publiques chinoises de défense expédient des équipements de
navigation, des technologies de brouillage et des pièces d’avions de chasse à des entreprises
publiques russes de défense frappées par des sanctions.
Selon un rapport de la Free Russia Foundation intitulé « Effectiveness of U.S. sanctions targeting
Russian companies and individuals », les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine ont
augmenté de quelque 27 milliards de dollars entre mars et septembre de l’année dernière, par
rapport à la même période en 2021, pour atteindre 99 milliards de dollars. La Russie a non
seulement augmenté ses importations de semi-conducteurs et de puces électroniques en
provenance de Chine, mais elle y a également exporté d’importantes quantités de gaz et de
pétrole, ce qui a partiellement compensé la baisse des exportations vers l’Occident. La politique
des sanctions occidentales aura ainsi donné l’opportunité historique à la Chine de sécuriser un
approvisionnement en gaz (relativement) bas carbone et peu cher.
Le durcissement des sanctions semble donc loin d’avoir porté les fruits escomptés. La Russie a
beaucoup plus d’amis que l’Occident ne le croit, et l’OTAN a sans doute bien trop d’ennemis. Il
est donc normal que dans un contexte aussi chaotique, la Russie parvienne à contourner les
sanctions et maintenir son économie à flot. La guerre en Ukraine a ainsi contribué à créer un
« nouvel ordre mondial », et cette nouvelle configuration est loin d’être avantageuse pour les
Européens. Certains pays et entreprises du reste du monde (non sanctionnés) n’hésitent pas à
saisir les opportunités commerciales du moment en fournissant à la Russie ce dont elle a besoin
pour tenir économiquement. L’Occident va-t-il finir par réaliser l’impasse stratégique que
représentent ces sanctions, pour rouvrir la porte de la diplomatie et éviter une marginalisation
trop importante sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr…

Auteur ; Marco Cesario

Source: https://elucid.media/

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