
États européens et partis politiques s’opposent sur l’idée de saisir ou non les plus de 210 milliards d’euros gelés par l’UE pour soutenir Kiev face à Moscou.
Par Aurélien SOUCHEYRE.
Un tas d’or bien au chaud suscite toujours de nombreuses convoitises. Alors que les États membres de l’Union européenne (UE) ont validé le plan de 800 milliards d’euros pour « réarmer l’Europe » et soutenir l’Ukraine face à Moscou, de plus en plus de voix se prononcent pour saisir les plus de 210 milliards d’euros d’avoirs russes gelés dans des banques européennes.
« Assez parlé, il est temps d’agir ! » insiste Donald Tusk. Le premier ministre polonais appelle à se servir dès à présent, soutenu par la cheffe de la diplomatie européenne, l’Estonienne Kaja Kallas, qui considère que s’approprier ces milliards ne serait que justice face à « tous les dommages que la Russie a causés à l’Ukraine » et déjà évalués à plus de 450 milliards d’euros.
« Capturer ces avoirs serait un acte contraire aux accords internationaux »
En tout, 24,9 milliards d’euros d’avoirs privés ont été gelés dans la foulée de l’agression militaire russe en Ukraine en 2022, en plus des 210 milliards d’euros d’actifs de la banque centrale de Russie stockés en Europe, dont 183 milliards placés chez Euroclear, société de dépôt de fonds basée à Bruxelles.
Taper ici les Russes au portefeuille pour financer l’effort de réarmement et le soutien à Kiev est « possible, souhaitable et même urgent », affirme Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. « Avant d’envisager de faire payer les Français, utilisons ces milliards d’avoirs russes pour aider l’Ukraine », insiste Gabriel Attal, chef de files des députés macronistes. « On ne peut pas accepter qu’ils nous fassent la guerre et que nous la payions. C’est à la Russie de payer les conséquences de ses actes », argumente pour sa part Olivier Faure, premier secrétaire du PS.
Mais la question divise à la fois les États européens et les forces politiques françaises. « Une telle décision aurait des conséquences désastreuses pour la France : plus aucun investisseur ne prendrait le risque d’y placer son argent si ses avoirs pouvaient être saisis en cas de crise internationale », défend le député FI Bastien Lachaud.
« Capturer ces avoirs serait un acte contraire aux accords internationaux », souligne aussi le ministre de l’Économie Éric Lombard, et même une violation du principe « d’immunité souveraine des avoirs », tranche Emmanuel Macron. Lors du dernier Conseil européen, la France et la Belgique se sont fermement opposées à une saisie des avoirs, contre l’avis des Britanniques, des Polonais et des États baltes.
Les intérêts de ces avoirs gelés déjà fléchés vers le soutien à l’Ukraine
Un désaccord juridique et un désaccord de fond les opposent. D’un côté, la convention de 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens n’a pas été pleinement ratifiée. Mais de l’autre, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé en 2011 que cette convention reflète le droit international coutumier. La Russie pourrait donc attaquer toute saisie devant la Cour internationale de justice de La Haye.
Mais l’emporterait-elle ? Certainement pas, selon un collectif d’universitaires et de juristes auteurs d’une tribune dans le Monde, qui relèvent que la Russie, en commettant un crime d’agression contre l’Ukraine, s’expose à de telles sanctions dès lors que l’Ukraine les réclame.
Une saisie serait donc légale « dans un contexte où l’État propriétaire des actifs en agresse un autre et viole manifestement le droit international », selon l’eurodéputée PS Chloé Ridel, qui rappelle que « la Russie ne s’est pas privée de mettre en place des mesures de spoliation des actifs européens sur son territoire ». L’élue mesure par ailleurs que les investisseurs étrangers n’auraient rien à craindre pour leurs avoirs en Europe dès lors qu’ils respectent le droit international.
Mais « la confiscation pure et simple de ces actifs représenterait pour la zone euro, pour la Banque centrale européenne, un risque financier trop important qui fragiliserait les États membres », prévient le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. Plusieurs chefs d’État craignent notamment que des avoirs européens puissent en représailles être saisis dans des pays proches de la Russie.
Reste que pour le moment, les plus de 200 milliards d’avoirs russes ne dorment pas. L’UE, depuis le 8 mai 2024, s’approprie et utilise les intérêts dégagés par ces avoirs, qui génèrent 3 milliards d’euros par an. Le prêt européen de 45 milliards d’euros accordé à l’Ukraine est notamment remboursé par les revenus des actifs russes gelés. Et une enveloppe française de 195 millions d’euros pour fournir des armes à l’Ukraine a été débloquée dimanche grâce à ces mêmes avoirs, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu.
En outre, Emmanuel Macron a fait savoir qu’il souhaitait conserver ces fonds comme moyens de pression au moment de négocier un accord de paix. Le débat n’est cependant pas terminé. Mercredi, l’Assemblée nationale débattra d’une proposition de résolution du groupe Liot visant à saisir les avoirs russes.
°°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/guerre-en-ukraine-les-europeens-divises-sur-lavenir-des-210-milliards-davoirs-russes-confisques-h-fr-9-03-25/