La candidate RN en Gironde, protégée de la ponte Edwige Diaz, a déclaré des frais de déplacements cinq fois supérieurs à ceux de ses concurrents pour les législatives de 2022, après une campagne discrète. Ses adversaires soupçonnent une surévaluation.
Par Lisa NOYAL.
Au Rassemblement national (RN), Hager Jacquemin n’est pas la cadre la plus connue. La boss du parti lepéniste dans la Vienne (86) ne fait pas partie du contingent de députés d’extrême droite à l’Assemblée nationale, malgré plusieurs tentatives. Mais StreetPress a découvert qu’il y a bien une chose dont la quadragénaire peut se targuer : sa médaille d’or au concours des candidats les plus dépensiers en frais de transport aux élections législatives de 2022 à l’échelle métropolitaine ! Dans sa 12e circonscription de Gironde, surnommée l’Entre-deux-Mers, car elle borde les fleuves de Garonne et de Dordogne, la candidate a déclaré aux institutions avoir dépensé 17.182 euros pour ses déplacements durant la campagne. Soit le top 1 de l’Hexagone, rien que ça, seulement battue par des aspirants députés d’Outre-Mer ou des Français de l’étranger. Un sacré score pour cette directrice de production dans le négoce de vin, qui a fait son premier marché le 21 mai 2022 et a arrêté sa campagne 21 jours plus tard, à la veille du premier tour – elle n’a pas atteint le second.
À titre de comparaison, le député et ex-ministre macroniste Roland Lescure qui convoitait à la même époque les votes des Français des États-Unis et du Canada, circonscription un poil plus large que la Gironde, n’a déclaré « que » 10.289 euros de frais de transport pour deux tours d’élections. Et au sein d’une des plus grandes circonscription de France métropolitaine, celle de Creuse qui couvre tout le département, le montant total des frais de transport de la candidate la plus dépensière est de… 8.869 euros (2). Alors qu’a bien pu faire la RN Hager Jacquemin pour dépenser autant ? Cette protégée de la députée et ponte du parti lepéniste Edwige Diaz, dont elle est actuellement assistante parlementaire, a dû écumer l’Entre-deux-Mers en long en large et en travers ? « Avec un montant pareil, ça veut dire qu’on l’aurait vue tout le temps sur la circo », souligne Pascal Lavergne, élu député Ensemble en 2022 sur ledit territoire :
« Mais on ne l’a quasiment jamais croisée… »
Un constat qui interroge ses concurrents : certains soupçonnent la candidate RN d’avoir gonflé ce chiffre kilométrique pour obtenir un plus gros remboursement des frais de campagne de la part de l’État. Les dépenses élevées de Hager Jacquemin, qui n’a pas plus répondu que le RN aux sollicitations de StreetPress, rappelle les révélations des Jours sur le candidat lepéniste Pascal Markowsky, élu lors des élections législatives anticipées de 2024. Il aurait pour sa part affirmé parcourir lors des trois semaines de campagne 25.000 kilomètres – soit plus de la moitié de la circonférence de la Terre – pour… 11.971 euros de frais de déplacements. Une somme tout de même inférieure de 5.000 euros par rapport à Hager Jacquemin… (1)
Le grand écart des chiffres
« Ce chiffre me paraît largement exagéré, même si la circo est grande ça me paraît assez délirant », réagit Mathilde Feld, candidate La France insoumise (LFI) de la Nupes, dans la même circonscription. Après vérification, cette dernière affirme avoir déclaré environ 4.000 kilomètres de frais kilométriques pour un montant de 3.189 euros. Elle est le deuxième montant le plus élevé au sein du même territoire, après celui de la candidate RN, tout en étant plus de cinq fois inférieur.
Quant à son concurrent du second tour, Pascal Lavergne, du parti présidentiel Ensemble, rit à la découverte des chiffres : « C’est hallucinant, c’est du grand n’importe quoi ! » Ce dernier atteint les 2.481 euros de dépenses avec son équipe de quatre membres et plusieurs véhicules :
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« On faisait nous-mêmes le collage, la distribution dans les boîtes aux lettres, on allait voir des maires, les élus… »
Une candidate discrète
Ses opposants en 2022 mentionnent spontanément que les frais de dépenses semblent d’autant plus curieux qu’ils l’ont rarement croisée sur le terrain. « On ne l’a vu qu’une fois sur le marché de Créon », se souvient Mathilde Feld, candidate LFI – Nouveau Front populaire. Même son de cloche du côté du candidat Ensemble, Pascal Lavergne. Preuve de sa bonne foi, ce dernier souligne « par contre » que son adversaire de gauche et son équipe étaient eux « extrêmement présents partout, on les voyait bien ». Sur son compte Facebook, la candidate Hager Jacquemin n’a d’ailleurs fait que cinq petits posts pour annoncer sa venue sur des marchés ou à des réunions publiques.
Deux ans plus tard, lors des législatives anticipées de 2024, celle qui a été parachutée dans la 4e circonscription de la Vienne se présente cette fois comme « une militante attachée au terrain ». Manque de chance, elle aurait vécu à plus de 200 kilomètres de Châtellerault. Difficile d’être présente au quotidien. « Elle ne connaissait pas du tout le territoire et personne ne la connaissait », se souvient un journaliste d’un média local.
« Elle n’était pas souvent disponible car elle était chez elle, ça interroge un peu quand tu fais une campagne de ne pas être sur place… »
Le journaliste raconte qu’il était aussi difficile de l’avoir en interview. Hager Jacquemin aurait décliné un débat organisé par France Bleu et France 3, puis aurait annulé la veille en pleine nuit le débat de l’entre deux tours prétextant avoir attrapé le Covid. La rédaction lui aurait proposé des alternatives : faire l’interview par téléphone, inviter son suppléant, en vain. « Tout ça pour que dans la soirée on découvre que son gros meeting s’est bien tenu, elle était tout sourire sans masque sur les photos », raconte le journaliste, amer.
Des pratiques courantes au RN
« De manière globale, le RN fait campagne grâce au national sans se donner la peine d’être présent sur le terrain, souvent le nom de Le Pen suffit pour être élu », analyse Simon Barthélémy, rédacteur en chef de Rue89 Bordeaux.
Depuis la dernière campagne, Hager investit les réseaux sociaux et se prépare pour les prochaines élections, notamment les municipales de mars 2026, où elle songe à une candidature dans la ville de Naintré.
Pour Pascal Lavergne, les montants de la candidate RN de 2022 ressemblent bien à de la surévaluation. « J’ai l’impression que ça fait partie des pratiques un peu particulières du RN », commente-t-il. Et pour cause, la même année, la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a retoqué plus de 820.000 euros des dépenses du RN pour l’élection présidentielle. Même rengaine pour les législatives anticipées de 2024, avec le fameux député Pascal Markowsky épinglé dans Les Jours, à qui la commission a retiré 3.500 euros aux 11.000 remboursés pour une « surévaluation du coût de ces déplacements ».
Contactés, Hager Jacquemin et le Rassemblement national n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
(1) La CNCCFP n’avait pas pu revenir vers StreetPress avec des informations précises sur le kilométrage exact déclaré par la candidate Hager Jacquemin ce 3 juillet 2025.
(2) Edit le 04/07 à 14h19 : Nous avions parlé de la 1ere circonscription du Pas-de-Calais, qualifiée de la « plus vaste de France » par France 3, ce n’est en réalité pas le cas et nous avons remplacé l’exemple par la circonscription unique de Creuse, qui fait tout le département.
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