
Le Nouveau Front populaire n’a toujours pas soumis au président de la République une proposition de premier ministre. La présidente de La Réunion tenait sérieusement la corde, vendredi, jusqu’au refus des socialistes samedi soir, bloquant la situation. Récit d’un week-end tendu.
Par Florent LE DU & Emilio MESLET.
La pression populaire monte. Depuis la victoire aux législatives, le peuple de gauche exige un nom. Mais le Nouveau Front populaire (NFP) n’y arrive pas : le conclave des dirigeants de partis traîne en longueur. Vendredi, pourtant, communistes et insoumis pensaient avoir trouvé la perle rare, qui mettrait tout le monde d’accord : Huguette Bello.
C’est dans la nuit de mardi à mercredi que son profil sort du chapeau, alors que les négociations se fracassent sur les ambitions des socialistes, qui poussent leur premier secrétaire Olivier Faure, et des insoumis, lesquels posent quatre noms sur la table (Manuel Bompard, Mathilde Panot, Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon).
Cette nuit-là, en petit comité, entre chefs de parti, Olivier Faure (PS) et Manuel Bompard (FI) campent sur leurs positions. « Alors, ça ne sera ni l’un ni l’autre, soufflent Marine Tondelier et Fabien Roussel, vers 2 heures du matin. Donc, ce sera un premier ministre soit communiste soit écologiste. Ou une troisième voie : un élu local ou une personnalité issue des mondes syndical ou associatif. »
La numéro un des Écologistes avance le profil de Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement aujourd’hui à la tête d’Oxfam France. Le secrétaire national du PCF propose Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Les autres font la moue. C’est alors que Fabien Roussel abat la carte Huguette Bello, actuelle présidente du conseil régional de La Réunion. « Une personnalité politique nationale, connue, respectée et dont l’engagement à gauche ne fait douter personne », dit-il.
Tensions autour de l’attitude des socialistes
Dans un premier temps, les homologues ne réagissent pas. Le blocage dure jusqu’aux révélations de l’Humanité,vendredi matin, annonçant la proposition Huguette Bello. La France insoumise finit par étudier l’option de sortie de crise. « On voit ça d’un bon œil », glisse une cadre de la FI.
Huguette Bello présente un avantage pour eux : elle est proche de Jean-Luc Mélenchon, qu’elle a soutenu à la présidentielle, et figurait sur la liste de Manon Aubry aux européennes. Dans la journée, Marine Tondelier s’entretient au téléphone avec la Réunionnaise de 73 ans. « Ce qui compte, c’est de faire rapidement consensus sur un nom. Elle a des atouts : femme, outre-mer… » glisse alors un proche de la secrétaire nationale des Écologistes.
En plus des symboles qu’elle charrie – elle serait devenue la première afrodescendante et la première femme ultramarine à Matignon –, Huguette Bello semble donc cocher un maximum de cases. L’expérience : cette ancienne directrice d’école a été députée de 1997 à 2020 et dirige depuis 2021 un exécutif à La Réunion, avec des socialistes dans sa coalition.
Des convictions profondes : la communiste met sa verve indignée au service de ses combats – féministe, anticolonialiste, social – depuis plus de cinquante ans. Une stature et une reconnaissance certaine au-delà de la gauche : en attestent les mots de Gabriel Attal saluant il y a quelques mois une « grande républicaine », ou d’Aurore Bergé (Renaissance) qui, la rencontrant en avril 2024, l’a qualifiée de « combattante de la dignité humaine et des droits des femmes ».
Vendredi, son nom semble s’imposer. Peu de griefs lui sont opposés, hormis son vote contre la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école, et son absence, en 2013, lors du vote pour le mariage pour tous. Argument battu en brèche par le fait qu’elle a été la première à célébrer un mariage homosexuel sur son île, et qu’elle œuvre sans ambiguïté à la reconnaissance des droits LGBTQI + à La Réunion et en outre-mer – comme une tribune de 2018 sur le sujet et plusieurs prises de parole publiques en attestent.
Mais le PS reste réticent, bien que la présidente de la région Occitanie, Carole Delga (sans pour autant valider la proposition), et l’ancienne députée Valérie Rabault disent, sur X, tout le bien qu’elles pensent d’Huguette Bello. « Ils bloquent d’abord parce qu’ils veulent un premier ministre venant de chez eux. Ils manquent de souplesse », enrage alors un participant aux discussions. Vendredi soir, l’appui de Jean-Luc Mélenchon à la proposition Huguette Bello accentue la pression sur les socialistes, qui renvoient alors à leur conseil national du samedi le soin de trancher la question.
Jugée « trop radicale » pour le PS
Prévu à 11 heures, puis repoussé à 17 heures, celui-ci tourne rapidement autour d’une position : ne pas accepter la proposition Huguette Bello. Elle est jugée « trop radicale », trop proche de la France insoumise et pas à même d’empêcher la censure des macronistes et des « Républicains » – qui, pour la plupart, ont annoncé rejeter tout gouvernement dans lequel siégeraient insoumis et écologistes, quelle que soit la couleur du premier ministre.
« Je pense qu’une candidature socialiste est susceptible de rassurer les uns et de rassembler les autres », estime le président du groupe socialiste Boris Vallaud dans la Tribune dimanche. De plus, le PS estime pouvoir disposer du plus grand groupe à gauche, la condition établie avant les élections pour « proposer » un nom pour Matignon.
Mais comment ne pas passer pour les diviseurs, pour ceux qui bloquent les négociations par orgueil et soutien à leur chef, toujours candidat ? « Si on est seuls contre trois, on va devoir céder », aurait lancé Olivier Faure en début de réunion, selon Mediapart.
Le PS attend alors qu’une brèche s’ouvre du côté des Écologistes, réunis dans le même temps en conseil politique. Vers 19 h 40, Olivier Faure aurait annoncé que les Écologistes s’en tiendraient à une position « ni pour ni contre ». Le PS en profite pour balayer l’option Huguette Bello de façon irrémédiable. La présidente de La Réunion « ne fait consensus ni chez les socialistes, ni chez les Écologistes », assure Olivier Faure dans le Parisien, dans la foulée.
Huguette Bello « prend acte » que sa candidature ne fait pas « consensus »
Pourtant, le lendemain, Marine Tondelier contredit ce récit orchestré par les socialistes pour justifier leur refus. « Nous avions demandé à Huguette Bello de pouvoir la recevoir de manière collective chez les Verts pour faire plus ample connaissance pour pouvoir bien défendre sa candidature, assure-t-elle sur France Inter, visiblement agacée par l’attitude des socialistes ces derniers jours. Le problème que j’ai eu avec le PS, c’est qu’ils n’ont mis qu’un nom sur la table, Olivier Faure. »
Globalement, les cadres d’EELV n’auraient guère apprécié d’être instrumentalisés pour faire patiner les négociations, pendant que les insoumis fustigent les « blocages constants du Parti socialiste contre toute candidature autre que celle de son premier secrétaire, Olivier Faure ».
Dimanche matin, Huguette Bello déclare finalement « prendre acte » que sa candidature « ne fait pas l’objet d’un consensus entre toutes les composantes du Nouveau Front populaire, et notamment qu’elle n’est pas soutenue par le Parti socialiste ». « Dans ces conditions et soucieuse d’un accord rapide au sein du NFP, j’ai décidé de décliner sans plus attendre l’offre qui m’a été faite », ajoute-t-elle.
Et maintenant ? Ce week-end de tractations a ravivé les tensions au sein du Nouveau Front populaire et lui a fait perdre du temps, au profit d’Emmanuel Macron qui n’en attendait pas tant pour jouer la montre et éviter de nommer une personnalité de gauche à Matignon.
Dimanche soir la situation était au point mort
Fabien Roussel, pour qui la décision d’Huguette Bello est « le résultat du manque de clarté de plusieurs forces dans le soutien à cette proposition », a demandé dimanche « une réunion aux chefs de parti au plus vite pour sortir par le haut de la situation de blocage actuelle ».
« Il faut arrêter le double langage et les ambiguïtés. Chacun doit faire preuve de sérieux et de responsabilité, sans intentions dissimulées », a ajouté le secrétaire national du PCF, assurant « ne mettre aucun veto sur aucune candidature ».
De leur côté, les socialistes assurent avoir mis d’autres noms que celui de leur premier secrétaire sur la table, ce que les autres forces du NFP n’ont pas confirmé. « Le PS n’a avancé aucun autre nom dans la semaine et a même plutôt repoussé l’idée de Johanna Rolland », la maire de Nantes, rapporte un participant aux négociations.
Dimanche soir, la situation était donc au point mort. Les noms de Cécile Duflot, voire de Marine Tondelier elle-même restent sur la table mais n’ont pas, ces derniers jours, suscité une attention particulière. Olivier Faure, qui n’a pas gagné d’alliés depuis vendredi, a donné une nouvelle date butoir au 18 juillet pour trouver un nom. En attendant, le peuple de gauche s’impatiente et le temps presse, alors que le gouvernement Attal pourrait démissionner ce mardi.
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