
Depuis le mardi 1er juillet, les membres d’un groupe de 13 travailleurs sans-papiers manifeste devant le siège de Suez dans le quartier de la Défense, à Paris. Ils accusent l’industriel de traitement de déchets d’avoir fermé les yeux sur leur exploitation par son prestataire NTI.
Par Mathilde TEXIER.
« NTI esclavagiste, Suez complice. » Craché en boucle par une enceinte Bluetooth, le slogan des travailleurs sans-papiers dénote dans l’ambiance feutrée du quartier des affaires de la Défense. Un comité d’accueil composé de huit anciens salariés de NTI, bouches scotchées d’un ruban adhésif de chantier, attend les employés de Suez, à l’heure de pointe matinale, le jeudi 3 juillet.
Ils sont treize à manifester depuis le 1er juillet devant le siège de l’industriel de traitement des déchets. Leur objectif ? « Mobiliser les salariés de Suez et mettre la direction face à ses responsabilités », détaille Ali Chaligui, animateur de la branche des activités des déchets de la CGT. Ces anciens employés de NTI, prestataire de Suez, accusent le groupe d’avoir fermé les yeux sur leurs conditions de travail indignes dans les centres de tri des déchets d’Île-de-France. En compensation, ils réclament leur embauche en CDI.
« Nous sommes capables de rester ici des mois s’il le faut », assure Youssef. T-shirt arboré de l’inscription « Silencieux dehors, en colère dedans », il a travaillé pour la société sous-traitante de 2017 à fin 2022, date de l’intervention de l’inspection du travail, alertée par les salariés. NTI a ensuite été liquidée en mai 2023. « Nous ne travaillons pas depuis presque trois ans. Certains n’arrivent pas à nourrir leurs familles, d’autres squattent à droite, à gauche, et passent parfois leurs nuits dehors », s’indigne Youssef.
Une action en justice a été engagée en juin 2024 contre NTI et les donneurs d’ordre. L’une aux Prud’hommes, l’autre au pénal pour « traite d’êtres humains ». Suez et d’autres entreprises de gestion des déchets sont accusées d’avoir « failli à leur devoir de vigilance » vis-à-vis de leur sous-traitant. Suez nie avoir été au courant de la situation de ces travailleurs en situation irrégulière. « Nous avons arrêté nos activités avec NTI dès que nous avons eu connaissance de ces pratiques », souligne la direction auprès de l’Humanité.
Avant eux, un premier groupe de onze travailleurs sans-papiers, également exploités par NTI, ont saisi la justice. L’enquête est toujours en cours. Ces derniers ont néanmoins obtenu gain de cause auprès du donneur d’ordre, Veolia. Après avoir manifesté en août 2023 devant l’un des centres de tri de ce donneur d’ordre pour lequel ils avaient principalement travaillé, « ils ont obtenu des promesses d’embauche et des Cerfa, pour aboutir à une régularisation par la voie du travail », relatent Maître Katia Piantino, avocate des deux groupes d’ex-salariés.
« Nous demandons que justice soit faite pour notre dignité »
À ce jour, trois réunions de négociations entre la CGT et Suez ont été tenues au sujet des treize travailleurs mobilisés actuellement devant le siège de l’industriel. À l’issue de ces discussions, « Suez a accepté d’embaucher les salariés, à condition qu’ils retirent leur action en justice et en échange d’une compensation financière », affirme la CGT. « Nous avons refusé ce marché car cette compensation est une manière d’acheter notre organisation syndicale. Retirer le contentieux était également impossible pour les salariés car ils ont besoin d’une garantie pour leur régularisation », explique Ali Chaligui.
Pour les travailleurs sans-papiers, il est en effet hors de question de retirer leur plainte. « Nous demandons que justice soit faite pour notre dignité », soutient Abdellah. Comme Youssef, celui qui arbore sur sa tenue de travail « Suez veut acheter notre silence, mais on ne se taira pas », a été employé par NTI pendant cinq ans.
Autant d’années de « travail indigne, sans contrat, sans fiche de paie. Nous étions payés 60 euros par jour et 80 euros par nuit et faisions des doubles journées », dénonce-t-il. Des années aussi de chantage et de racket. « Les chefs d’équipe prenaient un pourcentage sur notre salaire. Si nous refusions, nous n’avions pas de travail la semaine d’après », se souvient Abdellah.
« Leur situation était ultra-précaire. Ils n’avaient d’autre choix que d’être soumis aux chefs dont ils dépendaient pour avoir du travail », précise leur avocate. Leurs collègues salariées étaient, elles, obligées de se rendre chez leurs chefs d’équipe pour faire le ménage. Hind est l’une d’entre elles. « J’ai dû travailler jusqu’à mes huit mois de grossesse », confie-t-elle.
Les ex-salariés affirment également qu’ils n’étaient pas dotés des mêmes équipements de sécurité que les effectifs déclarés. Dépourvus de masques ou de gants adaptés, ils étaient chargés des tâches les plus ingrates, à l’image du nettoyage annuel des fours. « C’est très difficile. Ils le faisaient sans formation, sans protection, ni respect des normes », explique Ali Chaligui. Autre exemple de leur traitement différencié : leurs cadences étaient plus rapides sur les tapis de tri des déchets. « Ils nous traitaient comme des esclaves », résume, amer, Youssef.
Suez affirme tenter « ces derniers jours d’apaiser la situation par le dialogue « et déclare avoir » proposé de recevoir chacune de ces personnes, en présence de leur avocat, pour trouver une solution appropriée à chaque situation individuelle. »
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