« Je ne veux plus m’appeler Retailleau » (StreetPress-25/07/25)

À 31 ans, Antoine Retailleau, éducateur spécialisé, a entamé les démarches pour changer de nom de famille. Le militant de gauche ne supporte plus d’être associé au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, trop à droite à son goût.

Par Elisa VERBEKE.

« J’ai arrêté de signer mes mails avec mon nom de famille », lance Antoine. L’éducateur spécialisé en santé mentale de 31 ans vit dans « la honte » de son patronyme depuis la nomination du ministre de l’Intérieur, en septembre dernier. Bruno et Antoine partagent le même nom : Retailleau. Tous les deux sont aussi originaires de Vendée, où leur patronyme serait d’ailleurs fréquent : ils seraient environ 80 dans le département à se le partager. Mais les points communs s’arrêtent là, insiste Antoine. Sur son lieu de travail, ses collègues lui demandent régulièrement s’ils ont des liens de parenté. Lui assure que non, ils n’ont pas le même sang. Quand l’un incarne la droite conservatrice, et est connu pour être proche de Philippe de Villiers ou pour avoir soutenu le candidat d’extrême droite Éric Zemmour à la présidentielle ; l’autre, anonyme, est un militant de gauche qui a grandi en opposition aux valeurs « conservatrices » de sa région. Le travailleur social lance :

« Bruno Retailleau, c’est le ministre dont la politique inspire la fachosphère. Moi je suis l’exact inverse : Militant antiraciste, féministe et écologiste. »

Au fur et à mesure des prises de position sécuritaires du ministre, Antoine rêve de faire disparaître son nom de naissance. Il y a eu l’opération place nette, surnommée par certaines associations de « rafles d’exilés », en juin dernier, ou le surnom de « barbares » donnés aux auteurs des violences et des dégradations suite à la victoire du PSG à la ligue des champions, ou encore ses positions « anti-voile ». Alors, le blond à lunettes, qui se définit comme « agenre » [personne qui ne s’identifie à aucun des genres] commence à ne plus mentionner son nom au travail. « À l’hôpital, j’ai des patients racisés. La simple mention de “Retailleau” pourrait altérer la relation de confiance », pense-t-il. Et assure :

« La prise en soin est impactée par mon nom de famille. »

Ce mardi 22 juillet 2025, il a déposé sa demande de changement de nom pour prendre celui de sa mère. « C’est une charge mentale que je ne veux plus supporter. »

Changer de nom, un acte militant ?

Le déclic survient au printemps, à la pride de Lille : « Je n’oublierai jamais cette pancarte, levée haut dans une manif : “Retailleau au cachot”. Je me suis figé », se remémore Antoine :

« J’ai senti la rage monter contre ce nom-là, mon nom. Il est devenu un symbole de haine, d’exclusion et de répression. »

En 2013, Bruno Retailleau avait défilé lors du mouvement de la Manif pour tous qui s’opposait au mariage des couples du même sexe. Le locataire de Beauvau avait également voté contre l’interdiction des thérapies de conversion qui prétendent « guérir » de l’homosexualité en 2021. À ce moment-là, quelque chose en Antoine « cède ». Son nom lui « colle à la peau », honteusement, et le ramène à son enfance en Vendée.

Quand Bruno, à partir de la fin des années 80, enchaîne toutes sortes de mandats – d’élu départemental, à député ou sénateur – Antoine traverse une enfance très solitaire, et fait tout pour s’en échapper. « Je me sentais clairement isolé en tant qu’enfant queer. » Après le bac, il s’enfuit à Nantes pour ses études de psychologie, puis atterrit dans le Nord, où il vit actuellement. C’est à Lille qu’il découvre un climat plus agréable pour vivre tel qu’il est, loin de la Vendée et « des idées conservatrices ».

Peu à peu, le travailleur social se détache de sa famille et s’épanouit : « J’ai imposé des barrières en prenant de la distance. » Jusqu’à ce que son nom le rattrape et le ramène aux valeurs qui l’ont tant blessé. Alors, pour le trentenaire, changer de nom, c’est aussi tirer un trait sur son passé : « C’est le stade supérieur et une barrière symbolique entre moi et ma famille. »

Antoine revendique « le droit à l’autodétermination identitaire totale ». « Mon changement de nom n’est pas une lubie. C’est une rupture politique et un positionnement éthique », insiste-t-il dans un texte qu’il a écrit en guise d’exutoire. Le trentenaire ajoute :

« Je ne suis pas Retailleau. Je ne le serai jamais. »

Dans un mois, il pourra pour re-confirmer sa demande de changement de patronyme et changer officiellement de nom de famille.

°°°

Source: https://www.streetpress.com/sujet/1753358842-bruno-retailleau-nom-temoignage-antoine-ministre-interieur

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/je-ne-veux-plus-mappeler-retailleau-streetpress-25-07-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *