Un vendredi 13 janvier 2023 dont ils se souviendront. À Ploufragan (Côtes-d’Armor), les salariés de Place du Marché (ex-Toupargel) encaissent, avec un sentiment de « gâchis et de colère », la prononciation de la liquidation de leur entreprise spécialisée dans la livraison à domicile de produits surgelés. Quatre d’entre eux témoignent.
« On forme une petite famille. On a vu les enfants des uns et des autres grandir… » À Ploufragan (Côtes-d’Armor), Stéphanie, Véronique, Lionel et Nathalie (1) partagent le même sentiment trois jours après la prononciation de la liquidation judiciaire de Place du Marché, mettant 1 600 personnes sur le carreau. Vendredi 13 janvier 2023, les salariés d’ex-Toupargel, ce groupe spécialisé dans la livraison à domicile de produits surgelés qui a connu son heure de gloire dans les années 2000, ne se berçaient plus d’illusion sur l’issue du naufrage de leur entreprise. À tour de rôle, les employés soufflent ce qu’ils ressentent. Des mots qui se détachent avec gravité et désarroi : « Gâchis, colère, déception, brutalité, arnaque. »
Un premier PSE évité
« Comment peut-on arriver, en trois ans, à liquider une société qui a soixante-quinze ans d’histoire, s’interrogent Nathalie et Lionel. Il y a un an et demi, la direction du groupe souhaitait lancer un PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) dans tous les secteurs de l’entreprise, alors qu’elle avait été reprise en 2020. »
Une remise à l’eau manœuvrée par les frères Léo et Patrick Bahadourian, actionnaires de la florissante enseigne Grand Frais. « On s’est battu pour éviter ce premier PSE. Nous étions alors 2 200 », rappelle Lionel. Aujourd’hui, le chauffeur livreur est élu Force ouvrière au CSE (comité social et économique). Depuis, « tout s’est dégradé et ils ont dégraissé… », résument les salariés. Les effectifs ont réduit au fil des mois. « Beaucoup de ruptures conventionnelles. »
« Tous des seniors »
Sur le site des Châtelets, toujours au nom de Toupargel sur la devanture, « nous étions sept téléprospectrices et six livreurs (et trois à Pleslin-Trigavou) », retracent d’une même voix Véronique, Stéphanie et Nathalie, âgées de 50 à 57 ans. Lionel, lui, a 49 ans. « Nous sommes tous des seniors », pointent-ils. Avec une moyenne de vingt ans d’ancienneté au compteur. Un environnement de travail et une tranche de vie aussi. « Au plus fort, nous étions une trentaine ici. » Ici, l’équipe était chargée de prospecter les nouveaux clients, « relancer ceux qui étaient inactifs », mais ne faisait pas de la vente.
« Une désorganisation complète »
Ces trois derniers mois ont été « difficiles, nous n’avons pas du tout été soutenus, considèrent les salariés. Oui, on peut le dire, on nous a abandonnés. Depuis juillet 2022, il n’y avait plus de responsable d’agence localement. C’était une désorganisation complète… »
Un cadre professionnel déjà déstabilisé par « un discours de la direction qui a évolué plusieurs fois : on se présentait comme Place du marché, ex-Toupargel, avec un catalogue de produits aux mêmes fournisseurs que Grand Frais. On jonglait sur plusieurs tableaux ». Aux références de produits surgelés, s’ajoutaient l’épicerie, les fruits et les légumes… « L’ambition était que les clients commandent toutes les semaines. C’était une sorte de drive à domicile. » Des clients « âgés de 50 à 100 ans, en milieu rural ». Pour les salariés, « le groupe a tout misé sur le web. Ils se sont plantés ».
« Il fallait vider les stocks »
Au début, « on croyait à une reprise, on l’espérait. On avait déjà vécu un redressement. Puis, de moins en moins… On en vient à se demander si les dirigeants voulaient réellement un repreneur ». Jusqu’au bout, « on nous a mis la pression, il fallait vider les stocks. On est passé de 1,3 million de clients en 2003 à 280 000 aujourd’hui ». Jusqu’à ce dernier jour, « très étrange », mercredi 4 janvier 2023. « La veille, on nous a demandé de remercier les clients pour leur fidélité et de leur proposer des produits, avec des prix réduits de 30 %. On a refusé de le faire et on est parti, comme ça. »
« On dort mal »
Les liens sont soudés et se sont renforcés dans l’équipe. Ils se soutiennent. « Des collègues ont craqué. La nuit, on cogite, on dort mal. » Parler au futur reste délicat. « C’est l’inconnu, le néant total. On ne peut pas encore se projeter. » À l’horizon, la bataille sur les modalités de départ, avec une indemnité supralégale de 100 000 € demandée par salarié. « Ce n’est pas une récompense. On a bossé pour eux pendant vingt ans. Il faut que les actionnaires mettent les mains à la poche. »
(1) Les salariés ont souhaité seulement voir leur prénom apparaître.
Auteur : Soizic QUÉRO.